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Japon Romans

La tombe des lucioles – Nosaka Akiyuki

Traduction du japonais par Patrick de Vos – Illustrations de Nicolas Delors – Éditions Philippe Picquier

Le titre de cette novella vous dit peut-être quelque chose. Et pour cause : elle a inspiré au réalisateur Isao Takahata un célèbre film d’animation sorti en France à la fin des années 1990 sous un titre légèrement différent : Le tombeau des lucioles. Je ne l’ai toujours pas vu, ma petite âme sensible craignant de ne pas s’en remettre ;-D J’ai naïvement pensé que passer par le texte original serait moins bouleversant… Eh bien, c’était raté. Mais au moins, je pense maintenant pouvoir regarder le film sans m’effondrer totalement (puisque c’est déjà fait) !

En 80 petites pages accompagnées ici de très belles illustrations de Nicolas Delort, l’écrivain Nosaka Akiyuki s’inspire sa propre expérience pour nous raconter les deux mois de la vie du jeune Seita qui suivent le bombardement de sa ville. Son dévouement et son amour pour sa petite sœur Setsuko illuminent ce roman qui décrit par ailleurs des réalités absolument terribles. Certaines personnes se montrent généreuses et révèlent le meilleur d’elles-mêmes dans ces moments difficiles, d’autres dévoilent au contraire leur mesquinerie et leur égoïsme.

Les deux premières pages m’ont, je l’avoue, fait craindre de ne pas accrocher à cette lecture car l’auteur emploie un phrasé particulier qui peut désarçonner. Rapidement, l’écriture est cependant devenue plus fluide et j’ai été emportée par l’histoire de Seita et Setsuko que j’ai lue d’une traite.

Ce livre est classé au rayon « jeunesse » de ma médiathèque, mais je le réserverai à un lectorat de 12 ou 13 ans au plus tôt parce que ce récit est particulièrement dur. Les événements sont relatés sans fard et les émotions n’en sont que plus fortes. Le destin des orphelins de guerre mérite d’être mieux connu et Nasako Akiyuki y contribue ici de magnifique manière.

PS : Pour découvrir des nouvelles et novellas du monde entier, rendez-vous chez Je lis, je blogue pendant tout le mois de janvier.

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Espagne Romans

La femme à la valise – Luisa Carnés

Traduction de l’espagnol par Michelle Ortuno – Éditions La Contre Allée

Coïncidence ou non, après la guerre dans les Balkans, c’est dans la guerre d’Espagne que je me suis plongée avec le recueil de nouvelles La femme à la valise de Luisa Carnés. L’autrice, qui dut s’exiler au Mexique en 1939, fut contemporaine de célèbres écrivains tels que Federico García Lorca. Comme pour nombre de femmes et plus généralement d’écrivains engagés de cette époque, son rôle a longtemps été effacé de l’histoire de la littérature. Heureusement, elle fait l’objet de rééditions récentes qui la remettent en lumière (merci aux éditions La Contre Allée pour sa publication en France).

Nombreuses (11) et souvent très courtes, ces nouvelles de Luisa Carnés parlent de l’exode des républicains et de leurs familles, du sacrifice d’hommes engagés dans le conflit et des conditions de vie extrêmement difficiles pendant la guerre civile qui a déchiré l’Espagne de 1936 à 1939, mais aussi dans les années qui suivirent. Cet aspect m’a particulièrement intéressée car on connaît moins les lendemains du conflit et les séquelles très profondes qu’ils ont laissées. Il est ainsi question des enfants de républicains enlevés à leurs parents pour être confiés à des institutions franquistes, de l’atmosphère de suspicion et de délation au sein de la population comme de la vie de misère qui attendait les prisonniers politiques à leur libération. Pourtant, plusieurs de ces nouvelles vibrent d’espoir, l’espoir d’une Espagne unie et républicaine.

Les Bonnes nouvelles, c’est chez Je lis, je blogue !

Luisa Carnés était romancière, mais aussi journaliste. Il me semble que cela se retrouve dans son écriture qui va à l’essentiel et s’avère idéale pour des nouvelles. Révoltants, déchirants et profondément humains, ces récits s’attachent principalement à des destins de femmes : des militantes, des femmes qui tentent simplement de survivre, des compagnes, des mères…

Si des exactions ont été commises par les deux camps, l’autrice, elle-même membre du PC espagnol et très active lors des grèves ouvrières, ne cachait pas son rêve de voir une Espagne républicaine renaître après les horreurs de cette guerre fratricide. Morte en 1964, soit une décennie avant la mort de Franco, elle n’a pas vu son pays renouer avec la liberté et la démocratie. Son œuvre puissante, qui rejoint la bien triste actualité de nombreux pays, est indiscutablement à découvrir.

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Croatie Romans

Le collectionneur de serpents et autres nouvelles – Jurica Pavičić

Traduction du croate par Olivier Lannuzel – Agullo Éditions

De Jurica Pavičić, j’ai déjà lu il y a quelques mois l’excellent roman policier L’eau rouge (mon avis sur Babelio est à retrouver ici). J’ai très vite repéré son recueil de nouvelles au titre mystérieux : Le collectionneur de serpents. Dans ces 5 récits, l’auteur aborde des destins individuels dans lesquels la guerre n’est jamais loin et se trouve même parfois au centre de l’intrigue.

La nouvelle éponyme est pour moi l’une des plus poignantes. Elle montre toute la banalité et le tragique du quotidien des soldats en temps de guerre, et surtout l’absurdité de voir de jeunes hommes arrachés à leurs vies pour aller affronter leurs voisins et vivre des atrocités. Ceux qui en reviennent ne seront évidemment plus jamais les mêmes, à commencer par le collectionneur de serpents.

La seconde nouvelle, Le tabernacle, m’a presque autant bouleversée que la première. Niko apprend un matin la mort de l’occupant de l’appartement familial qu’il a lui-même dû quitter à l’adolescence. Le partage des appartements était monnaie courante sous Tito et le locataire imposé à sa famille n’a jamais pu être délogé. Son décès permet enfin à Niko de revenir dans les lieux. Il y fait alors une étrange découverte qui l’ébranlera.

La patrouille sur la route retrace les destinées opposées de deux frères amoureux de la même femme. Une fois démobilisés, ils vont se retrouver chacun d’un côté de la loi : l’un gendarme, l’autre voleur. Tout cela risque évidemment de mal finir…

Les relations familiales sont elles aussi au cœur de La soeur. Si la guerre est plus lointaine dans cette nouvelle, elle explique en partie les liens distendus entre Margita et sa sœur, qui vit à Belgrade depuis de nombreuses années. Je l’ai trouvée plaisante à lire et juste dans l’analyse des sentiments, mais elle m’a moins touchée et me laisse un souvenir plus vague que les autres nouvelles du recueil.

Les lendemains de la guerre reviennent en force dans Le héros, le récit qui clôt le livre. Jurica Pavičić y crée une atmosphère digne d’un western : un personnage taiseux et solitaire vient travailler dans un village littéralement enroulé sur lui-même et largement laissé à l’abandon. Cet homme est-il bien celui qu’il prétend être ? J’ai été tenue en haleine jusqu’au bout par cette nouvelle qui fait ressurgir des événements très médiatisés des années 2000.

En résumé, je ne peux que conseiller ces très, très bonnes nouvelles de ce formidable auteur qui mêle avec talent récits intimes et histoire de son pays. D’ailleurs, son 2e roman policier, La femme du 2e étage, figurera sans aucun doute dans ma PAL 2024.

Aifelle et Kathel vous conseillent aussi ce recueil, lu pour Les Bonnes nouvelles également.

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Romans Tunisie

Bel abîme – Yamen Manai

Elyzad poche

En 2024, Je lis, je blogue lance un nouveau rendez-vous au nom d’excellent augure pour un mois de janvier : les Bonnes nouvelles. Vous l’aurez compris, ce challenge met à l’honneur les nouvelles, mais seront également chroniqués les très courts romans (aussi appelés novellas). J’aime beaucoup les nouvelles et pourtant, je n’en ai chroniqué qu’un recueil depuis la création de ce blog en mai dernier. Je compte bien me rattraper pendant les semaines à venir !

Aujourd’hui, c’est une novella que j’ai choisi de vous présenter. Son auteur d’origine tunisienne vit en France et Bel abîme est publié par elyzad, une formidable maison d’édition tunisienne que je découvre à cette occasion. Modeste par la taille (110 petites pages format poche), ce roman a raflé une foule de prix, notamment le Prix du roman métis des lycéens. Rien d’étonnant à cela car ce texte d’une grande puissance a tout pour plaire à de grands adolescents et jeunes adultes (et moins jeunes d’ailleurs !) : un style oral et direct, tout en étant riche et très évocateur, un récit à la première personne porté par la rage et la fougue que suscitent l’injustice et la situation de la jeunesse tunisienne, sans oublier la révolte vis-à-vis de l’autorité parentale et des gouvernants.

Je ne suis pas fan des monologues, mais je dois bien reconnaître que ce mode de narration est parfait ici. Il permet de maintenir une tension constante et de saisir le lecteur par le col pour ne plus le lâcher. Le jeune homme qui s’exprime, et dont on ignore le nom, s’adresse tout à tour à l’avocat qui lui a été commis d’office et au psychiatre chargé de l’évaluer. Petit à petit, on découvre sa vie, les violences et humiliations sociales et familiales qu’il a vécues, l’amour inconditionnel qu’il a connu aussi. On saura également ce qui lui a valu d’être pris pour un terroriste avant d’être considéré comme un prisonnier de droit commun.


« Dans le quartier, je n’étais pas le seul gamin à me prendre des baffes. Sous mes yeux, les profs en ont humilié et tapé des centaines. Gifles, coups de bâton, coups de pied, mots qui cognent, phrases qui blessent. Tous, du primaire au lycée, et les exceptions, je vous le jure, je les compte sur les doigts d’une main. Vous savez, les profs ne tombent pas du ciel, ils ne sont pas déposés à nos portes par des cigognes, c’est une production locale, marquée comme tout le monde par le sceau de la violence. » 

Yamen Manai n’est pas tendre avec la société tunisienne post-printemps arabe : corrompue, incapable de comprendre et d’aider sa jeunesse qui n’a aucune perspective, elle est gangrenée par la violence domestique et politique. Très sombre, ce constat n’est que faiblement éclairé par le salut que trouve le personnage dans les souvenirs et dans les livres.



« Mais tant qu’il y a des souvenirs et tant qu’il y aura des livres, je ferai mieux que survivre. Vous savez, la tête, c’est une cheminée, la vie un long hiver et les souvenirs et les livres, des morceaux de bois. Les souvenirs, je m’en charge. En trois ans avec Bella, j’ai glané de quoi faire du feu. Mais par Dieu, dites-leur de m’enfermer avec des livres. Promettez-moi des livres, du bois sacré pour les nuits de solstice. »

Malgré sa dureté, je ne peux que recommander cette belle lecture qui permet de mieux comprendre ce que vit la jeunesse de Tunisie, réduite à risquer sa vie en Méditerranée dans l’espoir d’une vie moins désespérante à défaut d’être meilleure.

D’autres avis enthousiastes chez Kathel, Gambadou , Krol, Alex et Jostein.

PS : Belle année à toutes et à tous ! Je vous souhaite bien sûr des lectures passionnantes, surprenantes, bouleversantes, dépaysantes et/ou réconfortantes en 2024.