Je m’accorde une pause hivernale de quelques semaines. Je reviendrai en janvier pour des lectures concentrées sur Un hiver polar chez Je lis, je blogue (tout est dans le titre 😁 : 👮⛄) et sur Les gravillons de l’hiver proposés par Sibylline qui nous encourage ainsi à sortir de nos placards et des rayonnages des bibliothèques les romans de moins de 200 pages.
J’ai listé quelques titres qui me tentent tout particulièrement. Vous pouvez d’ailleurs jeter un œil sur la page de ma PAL actuelle et me dire si une lecture commune vous intéresse. J’ai par exemple déjà prévu de participer à la LC proposée par Alexandra autour de Proies d’Andrée Michaud le 10 janvier.
Bonne fin d’année à toutes et à tous et bon passage à 2026 !
Le hasard (ou pas) a fait que j’ai enchaîné deux lectures canadiennes, dans de grands espaces presque inhabités. Et cette fois encore, je me suis régalée.
Il pleuvait des oiseaux est un magnifique roman sur la liberté, la vie et l’amour. Dit comme ça, c’est ronflant et cul-cul-la-praline alors que ce roman est tout sauf ça. Et pourtant, c’est pour moi la manière la plus juste de le résumer.
Tout commence avec une photographe à la recherche des derniers survivants des grands feux qui ont ravagé plusieurs villes de l’Ontario au début du 20e siècle. Au fil de ses pérégrinations, elle va rencontrer un petit groupe hétéroclite, et pourtant soudé, qui vit en marge de la société. Un groupe qui va vivre de grands bouleversements.
« Elle en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. Elle aimait leurs voix usées, leurs visages ravagés, elle aimait leurs gestes lents, leurs hésitations devant un mot qui fuit, un souvenir qui se refuse, elle aimait les voir se laisser dériver dans les courants de leur pensée et puis, au milieu d’une phrase, s’assoupir. Le grand âge lui apparaissait comme l’ultime refuge de la liberté, là où on se défait de ses attaches et où on laisse son esprit aller où il veut. »
Jocelyne Saucier a un talent de conteuse hors pair. En 200 pages seulement, elle fait naître tout un monde, celui de vieillards qui ont décidé de quitter la société des hommes, et fait surgir devant nous les images de ces incendies terriblement meurtriers. On passe d’une époque à l’autre avec fluidité, et on côtoie des personnages âgées comme on en croise rarement en littérature. L’émotion affleure, nous prend parfois à la gorge, mais il n’y a aucun pathos et, au contraire, de la joie pure. Une réussite !
PS : Ce roman, qui date de 2011, a été adapté au cinéma mais on a visiblement fait le choix de rajeunir sensiblement les personnages, ce que je trouve extrêmement regrettable !
Les Presses de la Cité – (Paru au Canada sous le titre Tous des loups)
« Callwood les observe de loin et s’étonne de voir les marques d’amitié que les jeunes Cris prodiguent à Suchenko. Ils doivent connaître ses idées, pourtant. L’échelle des races. La supériorité des Blancs. Mais tous les mâles se ressemblent. La force et l’adresse, voilà ce qu’ils admirent. Le courage est la seule vraie vertu. »
Aujourd’hui, je vous emmène dans les grands espaces du Nord canadien à une époque où trappeurs et bouilleurs de cru faisaient tourner la police en bourrique et où la population autochtone avait déjà été tragiquement affaiblie. À la lisière du monde est un roman haletant dont les personnages, quasiment mythiques, me resteront longtemps en tête.
Nous sommes à la veille de la Première Guerre mondiale. Matthew Callwood, fils de bonne famille pétri d’idéaux, prend ses fonctions de policier dans ce coin « à la lisière du monde », où son quotidien est loin d’être celui dont il rêvait. En effet, point d’aventures glorieuses, ni de rapports susceptibles de lui valoir des éloges de ses supérieurs, pas plus que d’opérations lui attirant le respect de ses concitoyens. Désœuvré et raillé par la population locale, il ne rêve que d’une chose lorsque la guerre éclate en Europe : rejoindre les rangs des combattants, sous la bannière de la Couronne britannique. Cette échappatoire lui étant refusé, il se lance sur les traces d’un criminel notoire en cavale, un certain Moïse Corneau, accusé d’avoir tué sa femme et leur enfant.
Difficile d’en dire plus sans divulgâcher, donc je me contenterai de vous dire qu’il y a de l’attente et de l’action, des personnages plus complexes et plus attachants qu’on ne le penserait, mais aussi des réflexions très bien vues sur la nature humaine, les rapports de classe, le bien et le mal… La nature est omniprésente, à la fois hostile et grisante, sans que l’on soit vraiment dans du nature writing, me semble-t-il. En tous cas, ce genre a tendance à m’ennuyer alors qu’ici, j’ai tourné les pages avec avidité.
Une lecture notée chez Je lis je blogue, dévorée en un rien de temps et que je ne vais pas oublier de sitôt !
PS : Ronald Lavallée a remporté de nombreux prix avec son premier roman (1987) intitulé Tchipayuk ou le chemin du loup, décrit comme « la grande saga des indiens métis du Canada au 19e siècle ». Très tentant, bien sûr…
Traduction de l’allemand (Autriche) par Stéphanie Lux – Éditions Le Quartanier
Eva nous avait prévenues, Le poids des choses est une lecture déstabilisante. Si je ne parlerais certainement pas de « catastrophe éditoriale » comme l’a fait Thomas Bernhard en son temps, j’ai d’abord été décontenancée avant d’être impressionnée par la force de ce court roman. Et je suis très curieuse de savoir ce qu’en a pensé Ingannmic, ma co-lectrice.
Une journée bien particulière, celle du 13 janvier 1963, voit Wilhelm et Wilhelmine à la fois célébrer leur 3e anniversaire de mariage et rendre visite à Berta, la 1re femme de Wilhelm. À partir de ce double événement, on découvre ces 3 personnages à différentes époques : lorsque Wilhelmine et Berta étaient 2 jeunes voisines et amies, tandis que Wilhelm combattait sur le front ; lorsque Berta et Wilhelm avaient fondé une famille, et enfin lors de ladite visite du « jeune » couple à l’ex-femme, Berta.
En quelques petites touches et dialogues percutants, Marianne Fritz rend ses protagonistes extrêmement vivants. Elle en montre les côtés les plus agaçants (que Wilhelm est obséquieux et quelle mégère, cette Wilhelmine !), avant de nous retourner comme des crêpes et de nous en révéler de tout autre facettes, que j’ai trouvées bouleversantes.
Le titre original nous donne des pistes pour comprendre ce trio, puisqu’il y est question du poids des Verhältnisse, autrement dit des liens, des rapports, entre les gens et les choses. Chaque événement est intimement lié à un autre, avec des conséquences longtemps latentes qui se révèlent dans le drame, lorsque le « poids des choses » est devenu trop lourd. Mais je pense qu’une partie du sens du roman m’échappe, sans que cela soit désagréable. C’est même très stimulant !
Marianne Fritz est une autrice intrigante et à découvrir.
Traduction de l’allemand par Isabelle Liber – Éditions Le Quartanier
Pour le rendez-vous des Feuilles allemandes l’an dernier, j’avais sorti de ma PAL La diplomate de Lucy Fricke, un roman qui m’avait beaucoup plu. L’acidité et le regard très contemporain de l’autrice m’ont poussée à piocher à nouveau dans sa bibliographie et à lire cette fois-ci Les occasions manquées. L’avis plus que mitigé de Luocine m’avait déjà mise en garde, mais je voulais me forger ma propre opinion. Bilan des courses : j’aurais pu me passer de cette lecture et je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
Un policier italien résume assez bien les choses dans le roman : « Est-ce que toutes les femmes allemandes sont aussi barrées que vous ? » (traduction libre, je l’ai lu en VO). Martha et surtout Betty sont en effet un peu « fracassées », ce qui aurait pu/dû me les rendre sympathiques. À force de beuveries et de scènes caricaturales, elles m’ont en réalité agacée et jamais touchée. J’en ai aussi voulu à l’autrice de cumuler les clichés à la fois sur les Allemands, les Italiens et les Grecs, tout en essayant – maladroitement à mon humble avis – de montrer l’envers du décor.
Le titre allemand Töchter (« Filles ») souligne bien ce qui se joue dans ce roman pour ses héroïnes : les relations avec leur père ou leur absence de relations, et en filigrane avec leur mère. Pourquoi pas, mais à l’exception d’une ou deux analyses pertinentes (la génération des mères a lutté pour obtenir une liberté dont les filles ne savent pas vraiment quoi faire), ça traîne en longueur, ça se noie dans le brouillard qui entoure Betty soit à cause de son sevrage médicamenteux, soit de ses cuites monumentales.
J’ai bien failli abandonner en route parce que j’ai trop de livres qui m’attendent pour perdre du temps avec ceux qui m’ennuient (même quand ils font moins de 300 pages comme ici). J’ai néanmoins poursuivi vaillamment, espérant que la fin rattraperait le reste du roman. Las, j’en ai été pour mes frais.
Ma conclusion toute personnelle : Lisez La diplomate, il vaut le coup, et oubliez Les occasions manquées !
Traduction de l’allemand (Suisse) par Delphine Meylan – Éditions Hélice Hélas
Qu’ont en commun un orphelin anglais devenu missionnaire en Patagonie « par hasard » et un éminent ethnolinguiste allemand perclus d’habitudes tenant du TOC ? Tout simplement un amour des langues et des cultures qui leur fera affronter mille périls pour sauver un livre, et donc l’humanité.
Vous remarquerez que le nom de la traductrice est indiquée sur la couverture : ça, c’est la classe !
L’enthousiasme de La livrophage était diablement contagieux. Et puis, une histoire de dictionnaire, c’était irrésistible ! J’ai simplement eu à patienter pendant quelques mois, histoire de chroniquer Terres de feu pour le rendez-vous des Feuilles allemandes chez Eva et Patrice. Et ma patience a été largement récompensée : Quel bonheur de lecture, un vrai régal !
Il y a de l’aventure, de l’humour, de l’émotion, du suspense, des gentils et des méchants (ah, l’exécrable anthropologue suisse, et bien sûr les Nazis), et surtout un talent fou de l’auteur pour rendre toutes les situations et tous ses personnages plus vrais et plus grands que nature. C’est une formidable histoire, merveilleusement imaginée à partir de faits réels, et qui rend justice à la poésie de ce dictionnaire absolument incroyable. C’est un coup de cœur !
Ingannmic a lu ce roman elle aussi, me rappelant au passage que nos billets pouvaient s’inscrire dans les Escapades européennes de Cléanthe qui nous emmènent ce mois-ci à la découverte d’auteurs et autrices suisses. Lisez son billet du jour pour en savoir plus sur ce court, mais formidable roman. Pour ma part, je vous en ai volontairement dit le moins possible tout en espérant avoir éveillé votre curiosité !
PS : Je ne l’ai pas encore écouté, mais un podcast très prometteur est à retrouver sur le site de la RTS. Il réunit l’auteur, sa traductrice et Geremia Cometti, l’anthropologue qui a signé la passionnante postface de Terres de feu.
Traduction de l’allemand par Matthieu Dumont – Actes Sud
Avec Nouvel An, j’avais embarqué aux Canaries grâce à Juli Zeh que j’ai suivie avec encore plus d’enthousiasme dans le Brandebourg quelques temps plus tard. Dans Décompression, nous voici de retour à Lanzarote, mais cette lecture a fait pschitt pour moi.
Je vous résume l’histoire : Sven, qui approche de la quarantaine, a quitté l’Allemagne à la fin de ses études (pour des raisons que j’ai trouvées franchement légères). Il s’est établi comme moniteur de plongée sur l’île espagnole de Lanzarote où il vit et travaille avec Antje, adorable jeune femme sans laquelle il aurait du mal à faire tourner la boutique (et dont je me demande bien ce qu’elle lui trouve 🙄). Arrive un couple de Berlinois pas clairs qui réserve ses services exclusifs pendant 2 semaines complètes. En gros, la relation de ces touristes est complètement toxique et rapidement, Sven, qui est le narrateur, ne sait pas sur quel pied danser avec eux.
Sauf que Jola, la jeune et fascinante actrice qui forme la moitié de ce duo – que je qualifierai d’infernal -, nous donne aussi son point de vue régulièrement à travers des extraits de son journal. Et Sven y apparaît sous un jour très différent de celui qu’il nous présente 🤨. Ajoutez à cela des scènes de tension extrême, notamment lors de séances de plongée où tout peut évidemment basculer en une seconde, et vous aurez compris qu’il est difficile de ne pas tourner les pages pour savoir comment cette histoire va pouvoir se terminer, qui dit vrai, qui manipule l’autre (et les lecteurs au passage), etc.
Bref, c’est habilement construit, mais manque singulièrement d’originalité. J’ai eu une désagréable impression de déjà-vu ou plutôt de déjà-lu, en particulier avec ces personnages-narrateurs peu fiables, voire borderline. J’avais probablement trop d’attentes vis-vis de Juli Zeh qui a écrit beaucoup plus fin et plus fort à mon avis.
Keisha a lu Décompression l’an dernier et son avis était beaucoup plus positif que le mien, donc n’hésitez pas à aller sur son blog pour un autre son de cloche. D’ailleurs, grâce son billet, je vois que je peux inscrire cette petite chronique non seulement aux Feuilles allemandes, mais aussi au Book trip en mer de Fanja 🚣♀️.
PS : Arte.tv diffuse en ce moment Juli Zeh, forte tête de la littérature, un portrait de cette écrivaine qui se confronte aux réalités sociales de son pays et de son époque dans ses romans, mais aussi dans son travail de juge.
Traduction du grec par Lucile Arnoux-Farnoux – Actes Sud
Voilà un polar qui commence de manière plutôt classique, et même en clin d’œil aux romans noirs, avec un détective au bord de la faillite et pas mal alcoolique auquel il ne manque qu’un imperméable et un chapeau de feutre. Le vent, le froid et la pluie sont aussi de la partie : nous ne sommes certes pas à Chicago ou New-York, mais la météo à Hambourg en plein mois de janvier n’est pas clémente non plus.
Chris Papas (dont l’assistante est une certaine Mme Queneau) se voit confier une mission de surveillance a priori banale, et l’enquête comme le roman démarrent plutôt doucement. Mais les choses vont s’accélérer avec la mort soudaine du client de Papas. Ce dernier retourne alors dans son Péloponnèse natal en espérant fuir les questions de la police allemande et retrouver l’objet de sa filature. Là, les événements s’enchaînent à toute allure, l’auteur tissant sa toile avec une grande habileté jusqu’aux révélations finales aussi atroces que passionnantes.
Au-delà de l’enquête, ce portrait d’une Grèce du début des années 2000 en proie à la crise financière et malmenée par ses partenaires européens, l’Allemagne en tête, est extrêmement intéressant. Minos Efstathiadis évoque habilement les relations complexes entre la Grèce et l’Allemagne, notamment grâce à plusieurs de ses personnages ayant un pied dans chaque pays, à l’image de son détective binational, mais aussi en revenant sur l’histoire tourmentée de ces deux pays, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale.
Carole Raddato (CC BY-SA)
La tragédie grecque est un autre fil rouge de ce roman. De manière explicite avec des références à l’Agamemnon d’Eschyle et un dilemme moral central dans les événements abordés, et de façon plus subtile avec une évocation à double sens de la « Maison de la vérité ».
Autant dire que ce roman est riche, en action comme en réflexion, malgré ses quelque 200 pages seulement.
Une idée piochée chez Doudoumatous dont vous trouverez l’avis ici.