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Brandebourg – Juli Zeh

Traduction de l’allemand par Rose Labourie – Actes Sud

Le titre de ce roman en VO, Unterleuten, offre un jeu de mots qui résume formidablement cette histoire. En effet, si Unterleuten est le nom du village du Brandebourg où se passe l’histoire, « unter Leuten » en 2 mots signifie littéralement « entre les gens », ou « entre voisins » pourrait-on dire ici. À la manière d’un thriller, Brandebourg nous parle de l’Allemagne des zones rurales délaissées, des oubliés de la réunification, et de notre époque.

Après Nouvel an, chroniqué sur ce blog il y a quelques mois, j’ai à nouveau été bluffée par le talent de Juli Zeh pour faire d’une histoire a priori banale un roman qu’on dévore comme un polar (malgré ses plus de 600 pages). L’autrice prend le temps de planter son décor et de camper ses personnages. On découvre progressivement les différentes facettes, attachantes ou repoussantes, des habitants du cru et des nouveaux arrivants. Très vite, la tension est palpable et on sent que quelque chose va mal tourner dans ce petit village loin de tout. Venant cristalliser des haines quasi ancestrales et des rivalités nouvelles, c’est un projet d’implantation d’éoliennes qui va déchirer cette communauté déjà au bord de l’implosion.

Juli Zeh réunit ici une palette de personnalités hétéroclites et appartenant à plusieurs générations, dont le point commun est sans doute d’appliquer le principe suivant : moi (et ma famille) d’abord. Car personne ici n’est foncièrement mauvais. Pourtant, pour atteindre ses objectifs, assouvir une vengeance, préserver son intégrité et celle de sa famille, ou encore par culpabilité et parfois avec les meilleures intentions (personnelles), la majorité des habitants d’Unterleuten va jouer un rôle dans le drame qui va se produire.

C’est brillamment construit et, jusque dans les dernières pages, j’ai été impressionnée par les retournements savamment orchestrés par Juli Zeh. Elle nous présente avec Brandebourg une radiographie de l’ex-RDA en proie à l’exode et à la spéculation, mais elle décrit avant tout des réalités très universelles, qu’il s’agisse du comportement humain ou des clivages dans nos sociétés contemporaines où le bien commun ne veut plus dire grand-chose.

Encore une lecture réussie pour moi avec cette talentueuse écrivaine allemande que je recommande chaudement. Et vive Les Feuilles allemandes !

PS : Lors des Feuilles allemandes 2021, montagnedazur avait également lu et beaucoup aimé ce roman. Vous trouverez d’autres avis encore ici et .

28 réponses sur « Brandebourg – Juli Zeh »

Malgré ses 600 pages je lirai bien ce livre le monde rural n’est pas si souvent à l’honneur dans les romans sauf pour vanter un retour à la nature auquel je ne crois pas.

Ou pour les pavés de l’été ;-D Peut-être même les épais… Je l’ai lu en allemand et les éditions allemandes aiment bien les polices de caractère nettement plus petites que ce qu’on trouve habituellement en France. Donc la traduction fait peut-être plus de 650 voire 700 pages. Ce serait à vérifier…

Je note Décompression ! Brandebourg est volumineux mais composé de très nombreux et courts chapitres. Ca aide à le lire vite malgré le volume total !

Tu m’impressionnes!!! Je n’ai pas encore terminé mon livre (qui sera mon unique participation aux Feuilles allemandes). Je lis, j’essaye fort! Mais je te félicite pour tous les billets présentés pour l’événement. Je note cette autrice pour l’an prochain. Merci!

Merci ;-D L’allemand, c’est un peu « mon dada » (pour reprendre une expression désuète) mais je connais finalement assez peu la littérature dans cette langue à part quelques grands classiques. Je me rattrape ces derniers temps par goût, mais peut-être aussi parce que cette littérature s’ouvre davantage. En tous cas, je me régale avec Les feuilles allemandes.

J’ai beaucoup aimé ce roman. C’est un « Clochemerle » tragi-comique qui se lit très bien en dépit de ses 600 pages. Je ne me suis pas ennuyée une seule minute.

Je suis tout à fait d’accord, ça se dévore ! J’ai vu qu’une adaptation en mini-série TV en a été tirée (sur une chaîne publique allemande). Elle sera peut-être diffusée un jour sur Arte, mais j’ai peur que cela tourne à la caricature du conflit villageois alors que dans le roman, les personnages ont des ressorts psychologiques bien moins simples qu’il n’y paraît.

Le roman est très bien fait sur ce plan car on comprend très bien les enjeux politiques, historiques et sociaux même si on ne les connaît pas du tout au départ. Pas besoin de connaissances préalables. Et le suspense est très bien entretenu donc ce n’est pas « professoral » du tout. C’est plutôt comme un polar bien ficelé et qui fait découvrir un milieu, des personnages…

J’aime beaucoup cette auteure. Enfin, je n’ai lu qu’un seul de ses romans (L’ultime question) et ça remonte, mais j’en garde un souvenir fort. Le temps a passé et je l’ai un peu perdue de vue, mais il faudrait que je revienne à elle. Ce roman me semble un prétexte idéal !

Ce sont de vraies personnalités et j’ai aimé qu’ils ne soient pas caricaturaux malgré tout. Chacun a ses bons côtés et ses fragilités… Si tu l’avais chroniqué, je mettrai volontiers un lien dans mon billet.

Je l’aime beaucoup aussi ! On y voit un « combattant varié », aussi appelé « chevalier combattant », un oiseau migrateur très présent dans le roman car la zone d’implantation des éoliennes prévue jouxte un espace protégé qui accueille cet oiseau migrateur menacé. Cela accentue bien sûr les tensions !

C’est une écrivaine majeure (et un livre dont j’ai entendu dire beaucoup de bien !) que tu chroniques aujourd’hui. Grâce à toi, elle sera sur le bilan des Feuilles allemandes, ce qui est une excellente nouvelle. Je suis intéressé par ce qui touche la RDA. Il est vrai que l’exode fut massif même si on voit des territoires qui sont aujourd’hui très dynamiques et très « tendance ».

J’ai aimé qu’il soit question de l’est de l’Allemagne d’aujourd’hui mais aussi qu’il y ait des retours dans le passé (sur la collectivisation agricole notamment) qui permettent de mieux comprendre les deux périodes. J’ai vu que Juli Zeh a récemment écrit un roman légèrement dystopique, il sera peut-être pour les Feuilles 2024 ;-D

Je serai contente d’avoir ton avis sur Cœurs vides qui est dans un genre assez différent. Les deux romans de Juli Zeh que j’ai lu sont très réalistes au contraire. Mais elle est tout à fait le genre d’autrice à pouvoir exceller dans la dystopie.

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