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Romans Slovaquie

Bratislava 68, été brûlant – Viliam Klimáček

Traduction du slovaque par Richard Palachak et Lydia Palascak – Agullo Éditions

Avez-vous déjà lu un roman slovaque ? Pour moi, Bratislava 68, été brûlant était une première en la matière. L’auteur s’est inspiré de faits réels pour cette fresque historique et profondément humaine. Avec humour et émotion, il y mêle occasionnellement ses réflexions et expériences personnelles. J’ai adoré !

En 50 tableaux, Viliam Klimáček nous fait revivre l’été 1968, celui de l’invasion de la Tchécoslovaquie par des « pays-frères » qui goûtaient peu le vent de liberté que le nouveau gouvernement faisait souffler sur le pays. Mais il ne s’arrête pas là car nous suivons ses personnages pendant plusieurs années et même décennies. Certains ont dû s’exiler et repartir de zéro. D’autres sont restés, subissant les mesures de rétorsion qui ont invariablement touché les proches des exilés. Tous ont en commun d’avoir été séparés d’une partie de leur famille.

La radio de Bratislava par Thomas Ledl, CC BY-SA 4.0 https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0, via Wikimedia Commons

J’ai découvert le rôle joué par la radio dans les événements d’août 1968, le courage et le calme des Tchécoslovaques face à l’invasion, l’engagement de la maison d’édition Sixty-Eight Publishers, les différentes vagues d’émigration slovaque au 20e siècle et ce que pouvait être la vie quotidienne dans un État du bloc de l’Est en apparence plus libre que d’autres.

On sent que Viliam Klimáček aime son pays, ses compatriotes, qu’il compatit avec eux pour ce qu’ils ont eu à affronter. Et il exprime clairement son admiration et sa reconnaissance pour l’accueil que l’Autriche et le Canada ont réservé aux exilé(e)s. Il n’hésite cependant à se montrer critique et à pointer du doigt les attitudes plus ambiguës voire hostiles de certains, y compris des Tchécoslovaques eux-mêmes.


« Les citoyens tchécoslovaques acceptaient cette aide avec gratitude, ils la trouvaient normale. Puisqu’ils fuyaient l’enfer. Les premiers jours, cette aide leur permet de se remettre un peu du choc et des chars. Mais ils eurent la mémoire courte. Quarante ans plus tard, malheureusement, quand la Tchéquie et la Slovaquie seraient devenues des démocraties, ils ne secourraient pas spontanément les nouveaux réfugiés du tiers-monde, pour qui notre pays représenterait un asile comme l’Autriche pour nous autrefois. » 
Image par Sigurd Rille de Pixabay

J’ai dévoré Bratislava 68, été brûlant, car en plus de nous livrer des faits passionnants, Viliam Klimáček, en bon dramaturge qu’il est également, a le sens du rythme et du suspense. Chaque tableau se termine sur « un personnage suspendu au-dessus du vide » (pour ne pas dire cliffhanger) et j’ai été prise au piège de cette narration addictive.

« Par la fenêtre, Jozef aperçoit des techniciens dans la cour qui emportent des micros et des appareils afin de pouvoir encore émettre. Ce jour-là a accouché de milliers de héros anonymes. S’ils avaient été découverts, les conséquences auraient été fatales. Jozef ne se doutait pas qu’il en ferait partie. »

Je le reconnais bien volontiers : j’ai eu plus d’une fois la gorge serrée. L’auteur a toutefois su me faire sourire grâce à des situations insolites et des traits de caractères de ses personnages, tous terriblement attachants. Ce mélange de destins individuels difficiles et de dérision m’a tout simplement emballée.

Vous ne serez pas surpris(e)s que Patrice ait lui aussi lu ce roman, qu’il a beaucoup apprécié d’ailleurs. Ally, quant à elle, l’a d’abord trouvé déconcertant, puis a été séduite.

PS : Ce roman n’est sans doute pas facile à trouver en bibliothèque, en plus de ne pas être disponible en poche. Pour permettre à au moins l’un(e) d’entre vous de le découvrir, je propose donc de troquer mon exemplaire contre un autre roman, si possible figurant dans ma liste de souhaits. Intéressé(e) ?

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Allemagne Pologne Romans

188 mètres sous Berlin – Magdalena Parys

Traduction du polonais par Margot Carlier et Caroline Raszka – Agullo Éditions

J’avais des attentes vis-à-vis de ce roman et tout a plutôt bien commencé (si j’ose dire) avec un meurtre commis en 2000 mais lié à des événements survenus en 1980, soit près d’une décennie avant la chute du Mur de Berlin. Dix ans après le crime, Peter, ancien fonctionnaire en retraite anticipée, cherche à en savoir plus. Il s’entretient alors avec celles et ceux qui avaient participé – avec lui ainsi que la victime – à la construction d’un tunnel censé permettre des évasions de Berlin-Est vers Berlin-Ouest. Ce sont leurs témoignages respectifs que nous livre Magdalena Parys, des récits fictifs que l’on sent néanmoins nourris par des expériences très documentées.

La construction chorale qui distille les informations au compte-goutte est faite pour nous faire tourner les pages avec avidité et cela fonctionne. J’ai lu ce roman très vite, voulant avoir le fin mot de l’histoire et appréciant d’apprendre de nombreux détails historiques. L’autrice a visiblement beaucoup de choses à dire sur la Pologne derrière le rideau de fer, la Stasi et la RDA, les magouilles des uns et des autres à l’Ouest comme à l’Est pendant la Guerre froide et après. Le propos est donc intéressant. Pourtant, j’ai été déçue.

Les personnages sont nombreux, et plusieurs d’entre eux sont trop survolés pour que leur présence soit utile. Les fils de l’intrigue, multiples et intéressants en eux-mêmes s’entrecroisent par ailleurs d’une manière trop alambiquée à mon goût. C’est surtout le cas dans la dernière partie du roman, comme si Magdalena Parys avait voulu accélérer le rythme, au risque d’en faire trop.

D’autres éléments ont gâché mon plaisir : Tout d’abord quelques choix hasardeux et/ou erreurs de traduction/d’édition tels que « elle avait des visières sur les yeux » (vu le contexte, il s’agissait clairement d’œillères), des noms intervertis ou encore le fait de laisser le terme Hakenkreuz en allemand au lieu de le traduire. « Croix gammée » est quand même plus parlant pour un lectorat francophone, me semble-t-il. Plus embêtant, l’intrigue contient quelques grosses ficelles et incohérences qui m’ont gênée.

Bref, des maladresses, des lourdeurs et des complications scénaristiques superflues m’ont par moments égarée ou fait tiquer. Le but était sans aucun doute de maintenir la tension jusqu’à la révélation finale censée nous laisser bouche bée. Pour ma part, j’ai plutôt eu un sentiment de « tout ça pour ça », l’enjeu de toute cette histoire m’ayant en effet paru moyennement palpitant, même s’il est crédible et indubitablement criminel.

La couverture polonaise du roman

Cette lecture commune avec Patrice (du blog Et si on bouquinait un peu ?) débouche donc sur une déception, peut-être due avant tout à mes attentes initiales. Pour vous faire une idée plus complète à défaut d’être objective, je vous recommande donc de lire l’avis de Patrice ici. Celui-ci avait d’ailleurs déjà chroniqué Le Prince, autre roman de Magdalena Parys.

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Croatie Romans

Le collectionneur de serpents et autres nouvelles – Jurica Pavičić

Traduction du croate par Olivier Lannuzel – Agullo Éditions

De Jurica Pavičić, j’ai déjà lu il y a quelques mois l’excellent roman policier L’eau rouge (mon avis sur Babelio est à retrouver ici). J’ai très vite repéré son recueil de nouvelles au titre mystérieux : Le collectionneur de serpents. Dans ces 5 récits, l’auteur aborde des destins individuels dans lesquels la guerre n’est jamais loin et se trouve même parfois au centre de l’intrigue.

La nouvelle éponyme est pour moi l’une des plus poignantes. Elle montre toute la banalité et le tragique du quotidien des soldats en temps de guerre, et surtout l’absurdité de voir de jeunes hommes arrachés à leurs vies pour aller affronter leurs voisins et vivre des atrocités. Ceux qui en reviennent ne seront évidemment plus jamais les mêmes, à commencer par le collectionneur de serpents.

La seconde nouvelle, Le tabernacle, m’a presque autant bouleversée que la première. Niko apprend un matin la mort de l’occupant de l’appartement familial qu’il a lui-même dû quitter à l’adolescence. Le partage des appartements était monnaie courante sous Tito et le locataire imposé à sa famille n’a jamais pu être délogé. Son décès permet enfin à Niko de revenir dans les lieux. Il y fait alors une étrange découverte qui l’ébranlera.

La patrouille sur la route retrace les destinées opposées de deux frères amoureux de la même femme. Une fois démobilisés, ils vont se retrouver chacun d’un côté de la loi : l’un gendarme, l’autre voleur. Tout cela risque évidemment de mal finir…

Les relations familiales sont elles aussi au cœur de La soeur. Si la guerre est plus lointaine dans cette nouvelle, elle explique en partie les liens distendus entre Margita et sa sœur, qui vit à Belgrade depuis de nombreuses années. Je l’ai trouvée plaisante à lire et juste dans l’analyse des sentiments, mais elle m’a moins touchée et me laisse un souvenir plus vague que les autres nouvelles du recueil.

Les lendemains de la guerre reviennent en force dans Le héros, le récit qui clôt le livre. Jurica Pavičić y crée une atmosphère digne d’un western : un personnage taiseux et solitaire vient travailler dans un village littéralement enroulé sur lui-même et largement laissé à l’abandon. Cet homme est-il bien celui qu’il prétend être ? J’ai été tenue en haleine jusqu’au bout par cette nouvelle qui fait ressurgir des événements très médiatisés des années 2000.

En résumé, je ne peux que conseiller ces très, très bonnes nouvelles de ce formidable auteur qui mêle avec talent récits intimes et histoire de son pays. D’ailleurs, son 2e roman policier, La femme du 2e étage, figurera sans aucun doute dans ma PAL 2024.

Aifelle et Kathel vous conseillent aussi ce recueil, lu pour Les Bonnes nouvelles également.