Catégories
Lectures audio

Filles de l’Est, femmes à l’Ouest

Podcast France culture

Elles sont écrivaines, vivent en France ou en Belgique, et ont aussi en commun d’être nées de l’autre côté du Rideau de fer dans les années 1970 et 1980. À force d’entendre les mêmes questions de la part du public « occidental » qu’elles rencontrent lors de lectures et débats, elles ont voulu donner à entendre leur vision de ce qu’était la vie, en particulier la vie des femmes, dans les ex-pays de l’Est.


Albena Dimitrova, née en Bulgarie, Lenka Horňáková-Civade, née en Tchécoslovaquie (Tchéquie), Katrina Kalda, née en Estonie, Grażyna Plebanek, née en Pologne, Sonia Ristić, née en ex-Yougoslavie (Serbie), Andrea Salajova, née en Tchécoslovaquie (Slovaquie), Marina Skalova, née en Russie, et Irina Teodorescu, née en Roumanie, ont donc chacune écrit (en français, à l’exception de Grażyna Plebanek) une des nouvelles qui composent le recueil Filles de l’Est, femmes à l’Ouest paru aux éditions Intervalles et adapté par France culture en une série de 10 podcasts passionnants.

« Ce nouveau monde de filles fortes, qui paraissaient si sûres d’elles et si insouciantes, elle n’en connaissait que trop le revers. Elle repensait souvent, seule sur le canapé de la petite cuisine d’été, aux années de sa jeunesse. Elle avait suivi la route toute tracée de ses aînées : un peu d’études, puis mari, foyer, enfants. Fidélité, obéissance, patience. Mais surtout, il y avait l’État socialiste, la construction d’un monde meilleur, cette pensée tout simple : le même bonheur pour tout le monde.
Depuis que personne ne montrait plus de direction dans cette société démocratique, les gens faisaient n’importe quoi. Elle n’en parlait jamais avec ses filles. Elles ne pouvaient pas comprendre. »
(Andrea Salajova, épisode 3)

Elles racontent leur enfance, leur jeunesse, leur pays avant et après la chute des régimes socialistes et communistes, avec du positif et du négatif, et battent ainsi en brèche autant les images caricaturales de l’Est que celles de la « vie de rêve » qu’a voulu vendre l’Occident. C’est instructif, émouvant, drôle, en un mot vivifiant ! Et comme toujours, ai-je envie de dire, c’est formidablement adapté (mention spéciale à la chanson utilisée en guise de générique et qui a toujours le don de me mettre la larme à l’œil quand je pense au tournant de 1989).


C’est à écouter ou à lire, comme vous préférez !


PS : Le podcast est réalisé par Volodia Serre, avec Emmanuelle Chevrière comme conseillère littéraire, Sophie Bissantz au bruitage, et les voix de Miglen Mirtchev, Tereza Kelka, Maria Zachenska, Maya Sarac, Aleksandra Yermak, Radoslav Majerik, Matej Hofmann, Natalia Pujszo, Grégory Kristoforoff, Anton Yakovlev, Galina Vincenot, Liza Paturel, Malgorzata Virgili Karcz, Emma Ciazynski, Robert Sahin, Roustem Khaibrakhmanov et Jacqueline Pierre.

Catégories
Danemark Romans

Les jours sont comme l’herbe – Jens Christian Grøndahl

Traduction du danois par Alain Gnaedig – Éditions Gallimard

Si je n’avais pas déjà trouvé un auteur-chouchou pour le challenge proposé par Géraldine, j’aurais sans doute choisi Jens Christian Grøndhal. Car, avec Les jours sont comme l’herbe, je viens de découvrir un auteur d’une grande élégance qui se frotte à l’Histoire comme aux sujets de société les plus contemporains (politique migratoire, criminalité en col blanc) avec sobriété et sensibilité.

Six courts romans ou longues nouvelles forment Les jours sont comme l’herbe. Six récits qui se passent à des époques et dans des lieux différents. Leur point commun : des protagonistes qui vivent ou ont vécu avec les conséquences d’un choix, le leur ou celui d’un(e) proche. Les chemins qui sont pris ne permettent pas de retour en arrière et rien ne sera plus jamais comme avant. Pourtant, à l’exception de la nouvelle intitulé Villa Ada, ces choix n’ont a priori rien de spectaculaire. C’est là que l’auteur est très fort : l’air de rien, il sait insuffler une véritable tension et nous plonger dans la psyché humaine.

« Quand je raconte ce qui s’est passé ensuite, chacun comprendra que nous n’aurions jamais pu imaginer que les choses auraient pu tourner ainsi. À mesure que les semaines et les mois se sont écoulés, j’ai pu voir, peu à peu, comment une chose en a appelé une autre, mais les événements décisifs qui ont changé le cours de l’histoire sont arrivés de manière totalement inattendue. »

Pour moi, ces « courts romans » (terme employé par l’éditeur) parlent avant tout de valeurs humaines et de la déception, et même de la mélancolie qu’on peut ressentir lorsqu’on les voit bafouées ou qu’on constate le prix qu’il faut payer lorsqu’on s’y tient. Étrangement, j’ai trouvé ce roman très réconfortant et lumineux. Peut-être parce qu’il donne le sentiment de pas être seul(e) avec certaines pensées dans ce monde souvent désespérant…

Retrouvez le bilan des lectures scandinaves recensées par Céline pour son challenge illimité : https://meschroniquesdelectures.wordpress.com/2022/12/20/bilan-du-challenge-auteurs-des-pays-scandinaves/

Grâce à ma co-lectrice du jour, j’ai nommé Jostein (merci à elle de m’avoir accompagnée), j’ai déjà en vue un autre roman extrêmement prometteur signé par cet écrivain danois : Les Portes de fer. Mes petites recherches m’ont aussi conduite à noter le titre de son essai L’Europe n’est pas un lieu, qui me semble d’une actualité plus brûlante que jamais.

PS : Kathel et Ingannmic ont elles aussi chroniqué plusieurs romans de ce Danois qui s’est visiblement taillé un beau succès auprès du public français. N’hésitez pas à lire leurs avis sur les romans Quatre jours en mars (également chroniqué par Jostein ici), Les complémentaires, Les mains rouges, Piazza Bucarest. Patrice a lui aussi lu et aimé Les mains rouges dont le sujet me tente beaucoup également. Le choix de ma prochaine lecture grøndahlienne sera cornélien !

Catégories
Croatie Romans

Le collectionneur de serpents et autres nouvelles – Jurica Pavičić

Traduction du croate par Olivier Lannuzel – Agullo Éditions

De Jurica Pavičić, j’ai déjà lu il y a quelques mois l’excellent roman policier L’eau rouge (mon avis sur Babelio est à retrouver ici). J’ai très vite repéré son recueil de nouvelles au titre mystérieux : Le collectionneur de serpents. Dans ces 5 récits, l’auteur aborde des destins individuels dans lesquels la guerre n’est jamais loin et se trouve même parfois au centre de l’intrigue.

La nouvelle éponyme est pour moi l’une des plus poignantes. Elle montre toute la banalité et le tragique du quotidien des soldats en temps de guerre, et surtout l’absurdité de voir de jeunes hommes arrachés à leurs vies pour aller affronter leurs voisins et vivre des atrocités. Ceux qui en reviennent ne seront évidemment plus jamais les mêmes, à commencer par le collectionneur de serpents.

La seconde nouvelle, Le tabernacle, m’a presque autant bouleversée que la première. Niko apprend un matin la mort de l’occupant de l’appartement familial qu’il a lui-même dû quitter à l’adolescence. Le partage des appartements était monnaie courante sous Tito et le locataire imposé à sa famille n’a jamais pu être délogé. Son décès permet enfin à Niko de revenir dans les lieux. Il y fait alors une étrange découverte qui l’ébranlera.

La patrouille sur la route retrace les destinées opposées de deux frères amoureux de la même femme. Une fois démobilisés, ils vont se retrouver chacun d’un côté de la loi : l’un gendarme, l’autre voleur. Tout cela risque évidemment de mal finir…

Les relations familiales sont elles aussi au cœur de La soeur. Si la guerre est plus lointaine dans cette nouvelle, elle explique en partie les liens distendus entre Margita et sa sœur, qui vit à Belgrade depuis de nombreuses années. Je l’ai trouvée plaisante à lire et juste dans l’analyse des sentiments, mais elle m’a moins touchée et me laisse un souvenir plus vague que les autres nouvelles du recueil.

Les lendemains de la guerre reviennent en force dans Le héros, le récit qui clôt le livre. Jurica Pavičić y crée une atmosphère digne d’un western : un personnage taiseux et solitaire vient travailler dans un village littéralement enroulé sur lui-même et largement laissé à l’abandon. Cet homme est-il bien celui qu’il prétend être ? J’ai été tenue en haleine jusqu’au bout par cette nouvelle qui fait ressurgir des événements très médiatisés des années 2000.

En résumé, je ne peux que conseiller ces très, très bonnes nouvelles de ce formidable auteur qui mêle avec talent récits intimes et histoire de son pays. D’ailleurs, son 2e roman policier, La femme du 2e étage, figurera sans aucun doute dans ma PAL 2024.

Aifelle et Kathel vous conseillent aussi ce recueil, lu pour Les Bonnes nouvelles également.

Catégories
Hongrie Romans

Échec et mat ou Le Gambit hongrois

Recueil de nouvelles hongroises traduites (sauf une) par des élèves de l’INALCO – Éditions Cambourakis

Le titre du recueil n’en fait pas mystère : ces nouvelles ont pour point commun le jeu d’échecs, comme thème central ou secondaire. Plusieurs datent du 19e siècle et dégagent un irrésistible charme très Mitteleuropa. Souvent cocasses, parfois tragiques ou mélancoliques, elles parlent des rivalités dans un couple et entre deux mondes, d’amitié, de la folie des hommes … En mêlant habilement absurdité et sagesse, certaines d’entre elles ne sont pas sans rappeler les contes orientaux à la Nasreddine Hodja.

J’ai déniché ce format poche au hasard d’une razzia (le mot n’est pas trop fort ici, je crois :-)) en librairie. Coup de chance, il réunit une douzaine d’auteurs hongrois de premier plan. J’avoue humblement que je ne les connaissais pas avant, à l’exception de Sándor Márai. La littérature hongroise fait en effet partie des mondes que je veux explorer avec ce blog et la tâche qui m’attend s’annonce immense. Et c’est tant mieux !

Dans l’une de mes nouvelles préférées, Une histoire d’échecs, deux joueurs entament un tournoi au café. L’un deux étant saisi de la fièvre du jeu et l’autre devant prendre un train, ils poursuivent leur affrontement dans une gare et jusque dans un wagon où la dernière partie s’achèvera brutalement sur un coup très irrégulier. Ce texte réunit tout ce que j’aime dans une nouvelle : en quelques lignes, on est au cœur de l’histoire et quelques phrases plus loin, la chute vous saisit. Tout y est concentré, intense.

Que vous y jouiez ou non, que vous aimiez ou non le jeu d’échecs, je recommande chaudement cette lecture légère en apparence mais profonde en réalité, comme le sont les contes !

La liste des auteurs comme des traducteurs et traductrices est longue, mais il faut rendre à César ce qui lui appartient :

Auteurs : Endre Ady, Sándor Márai, Gyula Krúdy, Mór Jókai, Dezsö Kosztolány, Lajos Grendel, István Örkény, Jenö Heltai, Frigyes Karinthy, Géza Gárdonyi, Lajos Biró & Gyula Juhász 


Traduction : Elena Bernard, Gabriella Braun, Laurent Dedryvère, Michael Delarbre, François Giraud, Laurent Goeb, Judith et Pierre Karinthy, Bálint Liberman, Yves Sansonnens, Philippe Stollsteiner, Gabrielle Watrin, Sara Weissmann, sous la direction d’András Kányády