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Le pays des phrases courtes – Stine Pilgaard

Traduction du danois par Catherine Renaud – Éditions Le bruit du monde

Les vacances estivales du blog sont terminées. Heureusement, la littérature nous fait voyager toute l’année ! Après De l’argent à flamber, je reprends la direction du Danemark avec un court roman très drôle qui change des polars nordiques.

Le pays des phrases courtes, c’est le Jutland, région de l’ouest du Danemark, où une jeune mère suit son conjoint qui vient d’accepter un nouveau poste. On retrouve ici l’image d’Épinal du Danemark avec ses écoles alternatives où profs et élèves vivent en communauté, ses crèches familiales où les enfants sont « certifiés nature », où tout le monde semble doté d’un self-control et d’un sens de la pédagogie hors du commun. Tout le monde, sauf la narratrice (on ne connaît pas son nom) qui se sent totalement déconnectée et incompétente.

Image par Dorothe de Pixabay

Trop bavarde et abordant tous les sujets sans filtre, épuisée par les nuits sans sommeil et les injonctions faites aux jeunes parents, elle s’accroche désespérément à son amie joyeusement terrifiante Krisser, à ses profs d’auto-école et à un reporter télé qu’elle idolâtre. Cette anti-héroïne dont on ferait bien sa meilleure copine fait voler en éclats l’image lisse et parfaite que l’on se fait parfois des Danois(es).

Avec beaucoup d’humour, l’autrice met à nu de nombreux travers de nos sociétés modernes. Elle s’en donne à cœur joie en faisant tenir à son personnage principal la rubrique Boîte aux lettres d’un journal. Au moyen d’exemples tirés de sa propre expérience et de conseils pas toujours académiques, notre héroïne mi-survoltée mi-déprimée répond aux questions existentielles de la population locale, sans prendre de gants et avec une dose prononcée d’auto-dérision.

Politiquement incorrecte, d’une franchise déconcertante et d’une vulnérabilité qui tempère son côté péremptoire, elle se révèle très attachante. Surtout, son discours est totalement décomplexant, que ce soit pour les jeunes parents, les « pièces rapportées » ou celles et ceux qui se sentent décalé(e)s en société. On compatit, on rit et (pour ma part) on se sent enfin compris !

Un roman repéré chez Kathel grâce au challenge Auteurs scandinaves de Céline auquel je m’associe une nouvelle fois aujourd’hui. Et pour un avis supplémentaire, rendez-vous chez Mademoiselle Maeve.

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De l’argent à flamber – Asta Olivia Nordenhof

Traduction du danois par Hélène Hervieu, Les Argonautes Éditeur

Une toute nouvelle maison d’édition est née dans ma ville ! Sa vocation : mieux faire connaître la littérature européenne traduite. Une véritable manne pour la lectrice férue de romans étrangers que je suis. Je me suis donc jetée sur les trois premières publications des Argonautes Éditeur, à commencer par un roman danois annoncé comme politique et engagé : De l’argent à flamber. Traversé par la violence aussi bien sociale, financière, psychologique que physique, ce court roman est aussi, et surtout, d’une grande beauté.

Asta Olivia Nordenhof s’est lancée dans l’écriture de sept romans consacrés à l’incendie d’un ferry qui reliait la Norvège et le Danemark en 1990, un drame qui avait fait près de 160 victimes et secoué toute la Scandinavie. De l’argent à flamber est le premier de ces sept ouvrages, les autres étant encore à paraître (ndlr : d’après mes sources, l’écriture du deuxième tome vient de s’achever, j’ai hâte qu’il soit traduit et publié en français !).

Sans être un prétexte, l’histoire du Scandinavian Star ne forme pas le nœud de ce roman. En découpant son récit en plusieurs courtes parties, l’autrice mêle ses propres réflexions et recherches sur ces événements aux souvenirs de Kurt et Maggie, un couple dysfonctionnel dont l’histoire personnelle n’est qu’en partie liée à cet incendie d’origine criminelle. Maggie et Kurt n’y apparaissent d’abord pas sous leur meilleur jour et je les ai jugés peu attachants au début, voire parfaitement méprisable pour Kurt. Rapidement pour Maggie, plus tardivement pour Kurt, ils se révèlent d’une grande vulnérabilité et tout simplement humains. Leur solitude et l’immense tendresse dont ils sont capables m’ont profondément émue, en particulier leur amour pour leur fille Sofie.

De l’argent à flamber m’a « remuée » parce qu’il illustre avec brio les violences à petite et grande échelle, leurs conséquences et leur cycle sans fin, tout en insufflant une saine indignation. Le roman devrait être sombre, et il l’est aussi. Pourtant, je l’ai avant tout trouvé beau et lumineux. Asta Olivia Nordenhof appelle un chat un chat, et son style direct tient le drame à la bonne distance. Dans ce magnifique roman, elle sait capter les petits riens de la vie qui lui donnent sa beauté, et touche au cœur.