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Allemagne Romans

La huitième vie (pour Brilka) – Nino Haratischwili

Traduction de l’allemand par Monique Rival et Barbara Fontaine – Éditions Folio poche

Quel roman, quelle autrice (oui, Nino est une femme) et quelle traduction ! Ce livre est absolument ébouriffant. Porté par un souffle littéraire incroyable, il balaie plus d’un siècle d’histoire de la Géorgie et suit sur 5 générations les femmes de la famille Iachi (ainsi que quelques hommes). Si leurs destins sont bouleversés par les événements politiques comme par la violence ou la lâcheté des hommes ou leurs propres choix parfois hâtifs, elles se battent et résistent toutes à leur manière, pour le meilleur et pour le pire.

Dans cette saga familiale et historique, pas le moindre temps mort ni la moindre mièvrerie. Les relations entre les hommes et les femmes comme entre les parents et les enfants sont marquées par l’incompréhension, la révolte, le poids du silence, en miroir de la tension qui traverse la région du Caucase au fil des décennies.

Comme la Géorgie, l’écriture de Nino Haratischwili (d’origine géorgienne mais qui écrit en allemand) est au carrefour de ce que l’on pourrait appeler « l’âme russe » – je veux parler d’un souffle épique et tourmenté à la fois – et d’une douceur et d’une mélancolie qu’on pourrait attribuer à l’Orient. Elle a en tous cas emportée l’Européenne que je suis !

Tbilissi – Image par Kakha Mchedlidze de Pixabay

J’ai retrouvé dans ce roman des accents de La maison aux esprits d’Isabel Allende avec les fantômes que Stasia, l’arrière-grand-mère, voit régulièrement dans son jardin ou encore avec le Chocolat chaud qui serait à l’origine de la malédiction familiale. Il a aussi fait écho chez moi au film, bouleversant et très puissant sorti cet été, Les filles d’Olfa. Il y est en effet question du cycle infernal de la violence qui se répète de génération en génération : violence des hommes, mais aussi des mères envers leurs filles, violences sociales et politiques, violences physiques et psychologiques. Comme dans le documentaire de Kaouther Ben Hania, La huitième vie s’achève sur l’espoir que la jeune génération brisera ce cercle vicieux. En connaissant son histoire familiale, elle saura peut-être enfin s’en libérer grâce à la parole et à l’écriture.

Sois tout ce que nous avons été et n’avons pas été. Sois lieutenant, funambule, pianiste, amante, mère, infirmière, écrivain, sois rouge et blanche, et bleue, sois le chaos et sois le ciel, sois eux et sois moi, et ne sois rien de tout cela, danse surtout d’innombrables pas de deux.
Passe à travers cette histoire, laisse-la derrière toi.

S’il entre incontestablement dans les catégories des Pavés de l’été (chez Sibylline) et des Épais de l’été (challenge organisé par tad loi du cine) avec ses 1189 pages, La huitième vie fait surtout partie des romans qu’on dévore et dont les personnages vous suivent longtemps. C’est à coup sûr un de mes coups de cœur de l’année. D’autres avis chez Sunalee et Livr’escapades.

PS : Je vous recommande le documentaire La Géorgie ne m’a jamais quittée consacré à Nino Haratischwili disponible sur Arte.tv. Attention : Il donne très envie de lire le prochain roman de Nino Haratischwili (pas encore traduit en français) et de voyager en Géorgie !

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Classiques français Romans

Les Trois mousquetaires – Alexandre Dumas

Éditions Livre de poche – Classiques

Je vous épargnerai le détail de ma passion pour Les Trois mousquetaires, d’autant que certain(e)s d’entre vous ont déjà lu mon brouillon d’article envoyé par inadvertance 😀 Sachez simplement que je projetais de relire sa suite, Vingt ans après, pour ce rendez-vous des #Classiquesfantastiques. Mais d’actes manqués (oublis systématiques de l’emprunter en médiathèque) en coup du destin (je suis tombée sur Les Trois mousquetaires en boîte à livres), j’ai cédé à la tentation de relire le premier opus des aventures de d’Artagnan et ses comparses.

J’avais d’emblée exclu Dickens. David Copperfield, M. Pickwick et Oliver Twist m’ont plutôt ennuyée (ou je les ai peut-être lus trop jeune). Je prévois malgré tout de lire un jour le fameux Conte de Noël de l’auteur britannique, dont j’ai vu une réjouissante adaptation dans un épisode de Docteur Who qui lui rendait hommage.

L’essentiel de l’histoire des Trois Mousquetaires est archi-connu et il me semble superflu de le résumer ici. Voici plutôt mes impressions après cette énième lecture, mais la première depuis au moins 15 ans.

J’ai rapidement constaté que j’avais subi une telle influence des adaptations de ce roman au cinéma que j’avais oublié bien des choses, à commencer par des passages qui m’ont paru fort longs, mais aussi le fait que la fameuse affaires des ferrets de la reine était résolue dès le milieu du roman. Après ce trépidant aller-retour en Angleterre, il y a nettement moins d’action, ce qui explique que la 2e partie du roman soit survolée au cinéma et que je l’ai effacée de ma mémoire. J’imagine aussi que l’édition pour la jeunesse que j’ai lue et relue dans mon enfance opérait d’importantes coupes dans les passages les plus descriptifs du roman original…

J’ai également été surprise par la quasi absence de certains personnages ou encore par leur personnalité bien plus ambiguë que dans mon souvenir. Ainsi, Madame Bonacieux disparaît pendant plusieurs centaines de pages sans que cela ne gêne nos héros, puis elle réapparaît de manière fort opportune à la toute fin du récit. Celui qui est censé être l’ennemi juré de d’Artagnan, le fameux comte de Rochefort, est finalement un personnage très anecdotique. J’ai par contre trouvé extrêmement intéressant de redécouvrir les incontournables Capitaine de Tréville et Cardinal de Richelieu, bien différents de mon souvenir là encore. Ils s’avèrent tous les deux extrêmement ambitieux, et les intrigues de palais ne sont pas l’apanage de Son Éminence, bien au contraire. M. de Tréville est très proche du roi, qu’il sait lui aussi manipuler pour obtenir ce qu’il veut. Il est très attaché à ses mousquetaires et les défend envers et contre tous, quitte à couvrir des agissements puérils voire objectivement répréhensibles, simplement parce qu’il s’agit de ses hommes. Quant à Richelieu, je l’ai redécouvert admiratif d’Athos, Porthos, Aramis et encore plus de d’Artagnan, au point qu’il aimerait les voir rejoindre ses troupes et qu’il ne manquera pas de les récompenser lorsqu’il en aura l’occasion. Il est beaucoup moins machiavélique, et donc moins caricatural, que dans bien des adaptations là encore. Bref, une agréable surprise sur ce point car ces deux personnages sont plus complexes et intéressants que dans mon souvenir.

En résumé, j’ai retrouvé la véritable intrigue et la vraie personnalité des protagonistes de ce roman foisonnant et truculent. Sa première moitié était à la hauteur de mes attentes avec des personnages flamboyants (ce qui va de pair avec d’inévitables exagérations, mais elles ont leur charme), et de nombreux rebondissements. La deuxième partie s’enlise cependant, à l’image du siège de La Rochelle qui occupe bien trop de pages à mon goût. J’ai peiné dans les deux ou trois cents dernières pages.

Image par chrisbromley0 de Pixabay

Certains défauts sont probablement liés à la forme initiale du roman (publié en feuilleton, ce qui peut expliquer que Dumas ait parfois fait du « remplissage ») ou encore à l’époque et au genre. Ces quatre mousquetaires me sont en tous cas apparus comme de grands enfants (voire de petits garnements), perdant systématiquement leur argent au jeu ou en boisson, devant donc se faire entretenir par leurs maîtresses ou employer des méthodes peu honnêtes pour pouvoir survivre ou s’acheter l’équipement nécessaire à leur travail (= la guerre). Leur code d’honneur est à géométrie variable, leur susceptibilité frôle le grotesque et leur côté potache m’a quelque peu lassée. Je passerai sur le fait que la supercherie de d’Artagnan envers Milady de Winter, est 1) peu crédible, 2) franchement écœurante. Difficile de lui en vouloir de chercher à se venger après ça !

Alexandre Dumas vu par l’artiste Rast

J’attendais plus de cette relecture, c’est certain. Dumas garde cependant toute mon affection car j’aime son ironie, ses descriptions si piquantes et l’esprit d’aventure qu’il insuffle.

Pour connaître le résultat du match Dumas/Dickens, rendez-vous chez Moka et Fanny !

Les vacances étaient bienvenues pour venir à bout de ce Pavé de l’été (chez Sibylline), qui fait aussi partie de la catégorie des Épais de l’été (gérée par ta d loi du cine, squatteur chez Dasola) avec ses près de 700 pages.

PS : Si vous vous demandez s’il vaut mieux lire Les Trois mousquetaires ou aller voir le film (si ce n’est déjà fait), je vous recommande le podcast Pourquoi aller voir le film alors que le livre est tellement bien ? ou de lire d’autres avis comme celui de Petite Plume, Maud, Charlotte Parlotte et bien sûr celui des blogueurs et blogueuses qui auront chroniqué ce monument dans le cadre des #Classiquesfantastiques.

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Angleterre Romans

Loin de la foule déchaînée – Thomas Hardy

Traduction de l’anglais et édition par Sophie Chiari – Éditions Le Livre de poche

C’est par un autre classique que je conclus ma participation au Mois anglais puisque j’ai décidé d’enfin lire un roman de Thomas Hardy. Et quelle belle surprise : je ne m’attendais pas à sourire autant en tournant les pages de ce grand classique, romanesque à souhait.

Car Thomas Hardy fait preuve d’une ironie mordante et les portraits qu’il dessine avec une délectation évidente sont souvent très drôles, tout comme les conversations entre journaliers (au pub en particulier, c’est à mourir de rire). Il se révèle également un observateur attentif et un admirateur presque lyrique de la nature et des saisons. Il donne envie de battre la campagne dans la région du Wessex, qu’il a pourtant inventée de toutes pièces.

Dans Loin de la foule déchaînée, Gabriel, qui a réussi à devenir son propre patron, tombe amoureux de la belle Bethsabée. Elle l’éconduit et quitte peu après la région. Quelques temps plus tard, brutalement réduit à redevenir simple berger, Gabriel finit par travailler pour elle qui vient d’hériter de la propriété d’un oncle. Par jeu et sans souci des conséquences, Bethsabée fait un jour en sorte d’attirer sur elle l’attention de son voisin, le taciturne fermier Boldwood, dont la passion devient vite dévorante. Mais voilà qu’intervient un troisième homme, le séduisant mais bien peu fiable sergent Troy… Gabriel, lui, s’est fait une raison, mais n’en est pas moins toujours amoureux de l’impétueuse Bethsabée. Comment tout cela finira-t-il ? Vous le saurez en lisant cet excellent roman (ou en regardant un des films qui en ont été tirés, si tant est qu’ils soient fidèles à l’œuvre originale).

La vision des femmes que livre ici Thomas Hardy n’est pas dénuée de stéréotypes, mais si Bethsabée est vaniteuse, elle a bon fond et son indépendance d’esprit n’est jamais présentée comme un défaut ( un très bon point pour lui !). Et l’auteur n’est pas plus tendre avec le tempérament de nombreux personnages masculins. Pour moi, il s’attache donc surtout à décrire des caractères humains dont les excès lui permettent de jalonner le roman de multiples rebondissements, quel que soit le sexe de la personne concernée. Le discours que tient Bethsabée lors de la demande en mariage de Gabriel est d’ailleurs très moderne et d’une franchise sans doute déconcertante pour l’époque :

Bethsabée se tourna vers lui d’un air décidé.
« Non, rien à faire, dit-elle. Je ne veux pas vous épouser.
– Essayez !
– J’ai fait un gros effort en y réfléchissant ; en un sens, un mariage, ce serait bien. Les gens parleraient de moi et penseraient que j’ai remporté la partie, et je pourrais me sentir victorieuse, et ainsi de suite. Mais un mari…
– Eh bien !
– Alors il serait toujours là, comme vous dites : chaque fois que je lèverais les yeux, il serait là.
– Bien sûr que oui. Moi en tous cas.
– Eh bien, ce que je veux dire, c’est que ça ne me gênerait pas d’être une jeune mariée à un mariage à condition que je ne doive pas prendre un mari, si la chose était possible. Mais, étant donné qu’une femme ne peut pas se présenter ainsi toute seule, je n’ai aucune intention de me marier, du moins pas pour l’instant. »

Ce premier roman de Thomas Hardy m’a beaucoup plu et j’ai très envie de voir à présent sa dernière adaptation au cinéma avec Carey Mulligan et Matthias Schoenhaerts, et pourquoi pas la plus ancienne avec Julie Christie (so seventies si j’en crois son affiche). Et bien sûr, il faudra que je me plonge dans d’autres romans de Thomas Hardy, même s’ils sont notoirement plus sombres, comme Tess d’Uberville et Jude l’Obscur.

Un grand merci aux organisatrices du #Moisanglais : j’ai découvert une foule de romans, essais, recettes, créations artistiques grâce aux contributions de la blogosphère anglophile et anglo-curieuse !

Les quelque 672 pages de ce roman (après avoir décompté la préface et les notes !) me permettent aussi de participer au challenge Pavé de l’été créé par Brize et repris cette année par Sibylline. Si vous avez vous aussi un livre de 550 pages minimum dans vos étagères et que vous réussissez à en venir à bout entre le 21 juin et le 23 septembre, n’hésitez pas à y participer !

Mise à jour : Ta d loi du cine, du blog de Da Sola, m’a très justement fait remarquer que l’épaisseur du roman me permettait de m’associer également au challenge Les Épais de l’été, réservé aux ouvrages de 600 pages minimum. Je ne sais pas si je réussirai à relever le défi une nouvelle fois cet été, mais j’ai théoriquement ce qu’il faut dans ma PAL…