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Bulgarie Romans

Rhapsodie balkanique – Maria Kassimova-Moisset

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions des Syrtes

En musique classique, une rhapsodie ou rapsodie (du grec ancien ῥάπτω / rháptō, « coudre », et ᾠδή / ōidḗ, « chant », littéralement couture de chants) est une composition pour un soliste, un ensemble de musique de chambre ou un orchestre. De style et de forme très libres, souvent en un seul mouvement et assez proche de la fantaisie, la rhapsodie repose presque toujours sur des thèmes et des rythmes régionaux, folkloriques ou traditionnels. (source : Wikipedia).

Une couture d’histoires marquées par des superstitions et des croyances religieuses poussant à l’intolérance, par la pauvreté mais aussi par la fantaisie, la joie de vivre, l’amour : Rhapsodie balkanique est un titre parfait pour ce très beau roman aux accents turcs, grecs et bulgares :


« Contrairement à son frère, Haalim comprenait bien cette langue. Il aimait sa sonorité ferme, parfois aiguë, ses mots anguleux s’accrochant lourdement les uns aux autres, comme quelqu’un qui essaie d’atteler des chevaux fougueux. « Mon petit garçon », lui disait sa mère, et ce m avec ce p, ensuite ce r avec le ç roulaient comme ces billes en verre bigarrées un peu bosselées et s’ordonnaient joliment malgré leur vilaine apparence. »

Cette rhapsodie, c’est l’histoire de la famille de Maria Kassimova-Moisset, et plus particulièrement celle de sa grand-mère paternelle Miriam. Miriam qui – par amour pour Ahmed – n’a pas cédé d’un pouce face aux conventions et aux malédictions, qui a quitté sa chère Bulgarie pour la Turquie, qui a trimé pour élever ses enfants et qui a dû prendre un jour une décision terrible que sa petite-fille cherche encore à comprendre.

« Elle n’était pas comme les autres, cette enfant, ça non. Elle la regardait droit dans les yeux et ne cillait pas. Elle pleurait rarement – depuis ce premier vagissement, lorsque pour la première fois elle avait entendu son prénom, ses pleurs choisissaient eux-mêmes pourquoi ils devaient être versés. Elle se comportait comme si tout lui était familier. Elle n’avait peur de rien ni de personne. »

Avec une très belle langue, servie par une remarquable traduction, Maria Kassimova-Moisset parvient à faire de petits gestes, d’infimes détails un récit palpitant qui nous transporte dans les Balkans du début du 20e siècle. Fluide, délicate et imagée, son écriture m’a envoûtée. J’ai adoré Miriam, Ahmed et Haalim, et même Theotitsa, véritable personnage de tragédie grecque. Je ne suis pas prête de les oublier !

Si je ne vous ai pas convaincu(e)s, lisez les avis de Doudoumatous, Luocine, Patrice et Ally 😉.

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Nouvelle-Zélande Romans

La baleine tatouée – Witi Ihimaera

Traduction de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol – Éditions Au vent des îles

Avec La baleine tatouée, j’ai retrouvé avec plaisir la maison d’édition Au vent des îles et la traductrice Mireille Vignol qui m’ont déjà offert deux coups de cœur ces derniers mois avec Bones Bay et Stasiland. Cette fois, c’est un autre roman néo-zélandais que j’ai voulu découvrir après avoir vu son adaptation il y a quelques mois et lu l’avis enthousiaste de Cyan. Paï, l’élue d’un peuple nouveau (The Whale Rider – 2002) est un film magnifique à voir en famille (dès 10 ans, même s’il est assez dur), idéalement en VO pour savourer l’accent rocailleux de la population néo-zélandaise et l’alternance entre anglais et maori. Bilan de cette lecture : Le roman est tout aussi beau que son adaptation et je vous le recommande chaudement.

Kahu a le malheur d’être née fille alors que son arrière-grand-père attendait un héritier mâle pour lui transmettre son savoir et ses responsabilités de chef de clan. Assurer la survie des traditions et défendre les intérêts maoris dans un monde en constante évolution n’est pas simple. Si le vieux Koro Apirana s’arc-boute sur ses convictions, c’est donc sans doute une question de génération mais aussi par peur face aux bouleversements que subissent son peuple et sa terre. L’équilibre entre les trois mondes (mer, terre et humains) menace en effet de s’effondrer.

« J’imagine que cette histoire, s’il faut lui trouver un début, commence avec Kahu. Après tout, c’est Kahu qui était là à la fin, et son intervention nous a peut-être tous sauvés. Nous avions toujours attendu la venue d’un tel enfant, mais, à sa naissance, eh bien, disons seulement que nous regardions ailleurs. On était chez nos grands-parents, les cousins et moi, on buvait et on faisait la fête, lorsque le téléphone sonna.
− Une fille, cracha notre grand-père, Koro Apirana, dégoûté. Je ne veux pas en entendre parler. Elle a rompu la lignée masculine de notre tribu.
 »

Avec ce récit sous forme de conte, Witi Ihimaera nous parle de la nécessité d’une relation respectueuse entre les humains et la nature, du besoin de préserver les traditions mais aussi de savoir embrasser le changement. Il évoque aussi le racisme dont sont victimes les Maoris, et on perçoit en filigrane leur manque de perspectives et les dérives dans lesquelles ils peuvent tomber.


L’espoir vient en grande partie des femmes, à commencer par Kahu bien sûr, mais aussi l’inénarrable Nani Flowers, son arrière-grand-mère :

« Et quand il partit bouder en mer, il prit mon canot, celui qui avait un moteur.

Vas-y, ça ne me fait ni chaud ni froid, lui lança-t-elle.
Il faut dire que plus tôt dans la journée, elle avait eu la malveillance de siphonner la moitié du carburant, s’assurant ainsi que le grand-père ne puisse pas revenir. Il passa l’après-midi à crier et à gesticuler, mais elle fit simplement semblant de ne pas le voir. Puis, elle le rejoignit en ramant et lui annonça qu’il était trop tard, qu’il ne pouvait plus rien faire. Elle avait téléphoné à Porourangi pour l’autoriser à nommer le bébé Kahu, en honneur de Kahutia Te Rangi. »

Image par Pexels de Pixabay

Empreint de légendes intemporelles, ce court roman est néanmoins parfaitement contemporain. Il déborde de tendresse et d’humour, et lance un cri d’amour pour ces créatures majestueuses que sont les tohorā, les baleines. Il donne d’ailleurs furieusement envie de s’engager pour la défense des cétacés et des océans en général. C’est aussi un joli hommage à la puissance des femmes et tout simplement une très belle histoire.

Lire aussi l’avis d’Ingannmic.

PS : Près de 40 ans après la parution de La baleine tatouée, les Maoris continuent le combat : https://reporterre.net/Le-roi-des-Maoris-veut-accorder-une-personnalite-juridique-aux-baleines

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Espagne Romans

Tea rooms – Luisa Carnés

Traduction de l’espagnol par Michelle Ortuno – Éditions La contre allée

Après l’excellent recueil de nouvelles La femme à la valise, j’avais très envie de continuer à lire Luisa Carnés. Son roman Tea rooms, femmes ouvrières correspondant parfaitement à la thématique des mondes du travail proposée cette année par Ingannmic, je n’ai pas hésité longtemps avant de me lancer dans sa lecture.

Hélas, ce qui faisait la force et la qualité de La femme à la valise s’est avéré gênant dans ce roman. Dans ses nouvelles, la concision et la sobriété de Luisa Carnés allaient à l’essentiel et ont su me bouleverser tandis qu’ici, les personnages manquent de chair. Luisa Carnés se centre certes sur quelques-uns d’entre eux, mais ils restent nombreux et trop survolés. D’ailleurs, était-il judicieux d’avoir un Paco et une Paca dans le personnel du salon de thé dont il est question ? Il faut déjà rester concentré(e) pour mémoriser qui est à tel comptoir et qui à tel autre… Surtout, l’autrice a voulu être exhaustive au risque d’un manque d’épaisseur qui crée à mon avis de la distance et un manque d’intérêt vis-à-vis de ses personnages. Malgré leurs vies difficiles et leurs destins souvent tragiques, je n’ai pas été touchée. Sans doute aussi à cause du message trop didactique, qui atteint son paroxysme dans la dernière page :

« « Maintenant, devant la femme s’ouvre un nouveau chemin… » (…) « Ce nouveau chemin, à travers la misère et le chaos actuel, est celui de la lutte consciente pour l’émancipation prolétaire internationale. » La femme nouvelle, « sans allure », a parlé et a fait réagir la petite Matilde. Mais la femme nouvelle a aussi parlé pour toutes les innombrables Matilde de l’univers. »

Comme dans cet extrait, j’ai parfois eu l’impression de lire un tract ou un article de presse engagé et non un roman. Le fond est cependant très intéressant : le constat de Luisa Carnés est lucide et son analyse de la situation des femmes m’a semblé très moderne. Elle nous montre très bien l’ampleur de la crise et de la misère qui touchaient alors l’Espagne, comme une grande partie de l’Europe, et, comme dans La femme à la valise, ce sont avant tout les Espagnoles de petite condition que Laura Carnés évoque : les mères de familles nombreuses, les veuves, les grenouilles de bénitier, mais aussi les petites bourgeoises qui subissent elles aussi les avanies de leur sexe (avortements clandestins risqués) et les jeunes femmes pauvres qui n’ont le plus souvent que deux choix, c’est-à-dire le mariage ou la prostitution, et qui, avant d’en arriver à l’un ou l’autre, cherchent à travailler pour soutenir leur famille.

Luisa Carnés au Mexique, où elle vécut en exil – Crédits famille Puyol-Carnés

J’adhère tout à fait au propos féministe et social qui est d’ailleurs le fruit de l’expérience personnelle de Laura Carnés (née dans une famille ouvrière, elle a commencé à travailler à l’âge de 11 ans et s’est formée en autodidacte). La forme, trop sèche, ne m’a en revanche pas convaincue.

PS : D’autres avis sont à retrouver chez Kathel et Lorenztradfin. 

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Romans Tchéquie

La guerre des salamandres – Karel Čapek

Traduit du tchèque par Claudia Ancelot – Éditions Cambourakis

Avant toute chose, je remercie infiniment Patrice de m’avoir proposé cette fabuleuse lecture commune. La guerre des salamandres est un véritable coup de cœur pour moi !

L’adaptation audio de La maladie blanche m’avait convaincue de la modernité des sujets abordés par Karel Čapek. Pourtant, pour être honnête, je craignais un style éventuellement un peu poussiéreux avec La guerre des salamandres, roman paru en 1936. J’ai peut-être été induite en erreur par l’édition très rétro de 1986 trouvée dans la réserve de ma bibliothèque (Cambourakis l’a réédité récemment et c’est sans doute cette version que vous le trouverez désormais). Eh bien, je peux vous dire qu’en réalité, il se lit comme s’il avait été écrit hier et qu’il « décape » ! Magnifiquement traduit par Claudia Ancelot, Karel Čapek dénonce toutes les idéologies (nationaliste, communiste, nazie, capitaliste, humaniste…) et les bassesses humaines avec un humour, une lucidité et un talent inouïs.

« Ajoutons à ce propos que, surtout dans la presse américaine, on trouvait de temps en temps des informations sur des jeunes filles qui auraient été violées par des salamandres alors qu’elles se baignaient. C’est pourquoi, de plus en plus fréquemment, on lynchait et l’on poursuivait des salamandres aux États-Unis et surtout on les brûlait sur un bûcher. C’est en vain que les savants
s’élevaient contre ces pratiques populaires en affirmant qu’un tel crime était physiologiquement impossible pour des raisons anatomiques ; de nombreuses jeunes filles affirmèrent sous serment qu’elles avaient été importunées par des salamandres : l’affaire était donc claire aux yeux de tout bon Américain. »

L’histoire commence comme un roman d’aventures, à bord d’un bateau dont l’équipage cherche de nouveaux sites pour récolter des perles sous-marines. Dans une baie que la population locale fuit, le capitaine van Toch découvre une créature jusqu’alors inconnue : la fameuse salamandre. Sujet d’étude scientifique, main d’œuvre docile et bon marché, elle sera scrutée, goûtée, livrée en pâture aux négociants, parfois éduquée mais surtout exploitée et maltraitée. Jusqu’où le genre humain ira-t-il ? Et jusqu’à quand les placides salamandres vont-elles supporter tout ça ?

« Puis, lentement, presque religieusement, le professeur Van Dieten décrivit les troubles qui se manifestent chez la salamandre quand on lui enlève le lobe cervical frontal droit ou bien encore la circonvolution occipitale sur le côté gauche du cerveau. Ensuite, le professeur américain Devrient présenta… Excusez-moi, je ne sais vraiment pas ce qu’il a présenté ; c’est à ce moment-là que je me mis à me demander quels troubles se manifesteraient chez le professeur Devrient si on lui ôtait le lobe
cervical droit ; comment le souriant Dr Okagawa réagirait à une irritation électrique et comment se comporterait le professeur Rehmann si on lui écrasait le labyrinthe auriculaire ; je fus aussi saisi d’une certaine incertitude quant à ma propre aptitude à discerner les couleurs et quant au facteur de mes réflexes moteurs. »

Sans véritables protagonistes et avec seulement quelques personnages récurrents, ce roman est fait de carnets de bord de marins, procès-verbaux d’assemblée générale et de conférence internationale, articles de journaux, extraits d’essais philosophiques factices, notes de bas de page généralement aussi fines qu’hilarantes… Il multiplie les narrateurs et se conclut même sur une conversation de l’auteur avec lui-même. Il est donc difficile de résumer ce texte passionnant qui se dévore. J’ai d’ailleurs marqué un nombre incalculable de pages dans ce livre. À vrai dire, il faudrait tout citer pour lui rendre justice.

« Au bout de quelques semaines, une pénurie désespérée de produits alimentaires se fit sentir dans les Îles britanniques. (…) ; la nation britannique endura ces souffrances avec un courage sans exemple, même si elle tomba assez bas pour être amenée à manger tous ses chevaux de course. »

Les thèmes abordés sont on ne peut plus forts et révoltants (esclavage, racisme, colonisation, expérimentations au nom de la science, ravages de l’ultra-capitalisme…). Pourtant, j’ai énormément ri en lisant ce roman, d’un rire incrédule devant tant de clairvoyance (il a été écrit avant la Deuxième Guerre mondiale, ce qui semble assez incroyable à sa lecture) et d’un rire se transformant régulièrement en hoquet d’horreur ou d’effroi, il faut bien le dire. Tout le monde en prend pour son
grade : Américains, Français, Anglais, Allemands et Tchèques, scientifiques, journalistes, industriels, politiques, simples citoyens… Le tout avec une intelligence et une ironie saisissantes. Bref, je suis officiellement fan de Karel Čapek !

Un roman incontournable, qui n’a pas pris une ride (hélas).

D’autres avis sur La guerre des salamandres et différents romans de cet auteur tchèque majeur qu’est Karel Čapek sont à retrouver chez Patrice et Eva, mais aussi Fanja, Keisha, Marie-Anne, Kathel et L’Ourse bibliophile.

PS : La préface de l’édition Marabout de 1986 signée par Philippe Ganier-Raymond nous révèle un fait tragique qui prouve une fois de plus que la réalité et la bêtise mais aussi la cruauté humaine
dépassent souvent la fiction, aussi visionnaire soit-elle : « Čapek mourut en 1938, le jour de Noël, depuis longtemps malade (…). Les nazis entraient dans Prague 3 mois plus tard. La gestapo de Reinhardt Heydrich avait un ordre, parmi les plus urgents : « Tuez Čapek ». Rien de pire que des assassins mal renseignés. Karel était mort, mais il leur fallait un Čapek. Ils allèrent chez son frère Josef, l’arrêtèrent, l’envoyèrent à Bergen-Belsen, où il mourut en 1945 du typhus. »

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BD et romans graphiques Espagne

Des maux à dire – Bea Lema

Traduction de l’espagnol par Jean-Marc Frémont – Éditions Sarbacane

La couverture très colorée et très intrigante de cette BD, ainsi que le jeu de mots de son titre m’ont poussée à l’emprunter sans même lire sa quatrième de couverture. En l’occurrence, dès les premières pages, on découvre qu’il s’agit de santé mentale : Depuis qu’elle est enfant, la mère de Bea Lema est en proie à des comportements paranoïaques qu’elle tente de résoudre à coup d’exorcismes, de décoctions suspectes et de traitements plus traditionnels. Pourtant, rien ne semble avoir de prise sur le monstre qui la terrifie et qui étend peu à peu son ombre sur toute la famille.

Ce que vit cette fillette est tragique (sans parler de sa mère bien sûr). Son grand frère a lâché l’affaire, son père est dépassé et évite de plus en plus de se trouver en présence de sa femme. La petite Bea est donc le plus souvent seule pour tenter de maintenir sa mère dans un quotidien normal, pour la soigner et résister à ses pressions et à ses délires. Cet album retrace un parcours de la combattante, pour la mère comme pour la fille, éclairé par un indéfectible lien mère-fille.

Bea Lema multiplie les formes et les techniques. La majorité de l’album est largement décloisonnée avec des dessins de tout petit format ou au contraire des personnages occupant toute une page, avec une présence écrasante. Ce n’est que lorsque sa famille connaît un quotidien plus structuré qu’on trouve des cases « classiques ». Les couleurs pimpantes, presque enfantines, dominent et tranchent avec la gravité du sujet, ce qui le rend moins oppressant mais tout aussi puissant. Les quelque pages en noir et blanc sont, elles, glaçantes.

Photo personnelle

Autre particularité, l’autrice recourt à la broderie et à la couture pour recréer des scènes aussi lumineuses qu’inquiétantes, parfois sur des pages entières. Ainsi, la couverture est une très belle broderie représentant une sainte qui s’apprête à avaler non pas une hostie, mais une gélule… La beauté et l’étrangeté sont réunies, comme chez la mère de Bea Lema. Je vous conseille de feuilleter quelques pages sur le site de l’éditeur pour mieux apprécier le travail de l’autrice : https://editions-sarbacane.com/bd/des-maux-a-dire

Une BD d’une jeune bédéiste espagnole de grand talent, à lire pour le fond comme pour la forme !

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Angleterre Romans

The murder of Mr Wickham – Claudia Gray

Éditions Vintage Books – Penguin Random House LLC

Ça ne saute peut-être pas aux yeux sur ce blog, mais je suis une authentique Austen-head, autrement dit une inconditionnelle de Jane Austen. J’ai bien entendu lu tous ses romans, même inachevés, vu la quasi totalité des adaptations cinéma et TV ainsi que plusieurs « produits dérivés » dont Lost in Austen (Orgueil et quiproquos en VF). Cette mini-série au décor kitsch digne des Doctor Who, qui a fait hurler les puristes, m’a d’ailleurs beaucoup amusée. Tout ça pour dire que quand Émilie d’À livre ouvert a présenté The murder of Mr Wickham, ma CB n’a fait qu’un tour 🤣. Et quel meilleur moment que Le Mois anglais de Lou et Titine pour vous en parler ?

Même si je suis la plupart du temps très bon public quand il s’agit de Jane Austen, j’étais un peu sur mes gardes. Comment l’autrice allait-elle réunir de manière crédible les personnages des différentes romans d’Austen, qui plus est autour d’une intrigue policière ? Le pari est tenu ici, et de haute main ! On retrouve avec un immense plaisir une grande partie des héroïnes et héros des romans austeniens, rassemblés pour ce qui s’annonçait comme un agréable séjour chez les Knightley. Cette house party tourne cependant au cauchemar dès le premier jour en raison de l’arrivée de Wickham, vil personnage que les fans d’Orgueil et préjugés connaissent bien, et qui ne va pas tarder à mourir. De nouveaux venus font leur apparition dans ce roman : le fils des Darcy, quasi phobique social, et la pétulante Juliet, fille de la follement imaginative Catherine Tilney, née Morland.

Pour mon plus grand plaisir, Claudia Gray a joué ici avec les traits de caractère bien connus des personnages austeniens tout en ajoutant de nombreuses touches de modernité bienvenues (sauf une, incongrue à mon goût mais dont je comprends la nécessité pour l’intrigue dramatique). J’ai retrouvé ce qui fait tout le charme des romans de Jane Austen : un romantisme toujours tempéré d’une délicate ironie, avec un féminisme sous-jacent qui ne se cache plus vraiment dans cette version moderne. Côté enquête, l’autrice mène habilement l’affaire, nous égarant de fausse piste en nouvelle révélation, jusqu’aux toutes dernières pages. Et bien sûr, les clins d’œil aux œuvres originales parsèment ce roman de cosy mystery historique. Claudia Gray allie parfaitement un incontestable respect pour la grande Jane et une légère irrévérence qui n’aurait pas manqué de la ravir.

Alors qu’aucune traduction n’est – hélas – encore en vue, je découvre que Claudia Gray a signé 2 autres tomes de ce qui est donc devenu une série : The Late Mrs. Willoughby et The Perils of Lady Catherine de Bourgh. De quoi alimenter encore mon Austen-mania 🤗…

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Chine Romans

Le maître a de plus en plus d’humour – Mo Yan

Connaissez-vous Mo Yan, lauréat du Prix Nobel de littérature 2012 ? C’est Doudoumatous qui m’a rendue curieuse de découvrir cet auteur extrêmement prolifique (il a quelque 80 essais, nouvelles et romans à son actif). J’avoue que l’idée de pouvoir ajouter la Chine l’an prochain à la carte des pays visités avec ce blog a pu jouer (vu la surface occupée par son territoire, ce sera visuellement très satisfaisant !).

Autant par hasard (trouvaille en bouquinerie) que par sécurité (je suis très novice en littérature chinoise), j’ai opté pour Le maître a de plus en plus d’humour (moins de 100 pages). Doudoumatous ayant envie d’explorer plus avant la bibliographie de Mo Yan, elle s’est jointe à moi pour cette lecture et vous pourrez donc trouver son avis sur son blog aujourd’hui.

Pour ma part, je ne m’attendais pas à une critique aussi franche de la Chine moderne et c’était très réjouissant ! Dans Le maître a de plus en plus d’humour, les entreprises ont subi rachat sur rachat, les directeurs s’en mettent de toute évidence plein les poches tandis que même les ouvriers modèles se retrouvent à la porte du jour au lendemain. Les chômeurs sont livrés à eux-mêmes et la police est corrompue, bref ce n’est pas la joie dans la République populaire.

« Le maire adjoint s’en alla au volant de son Audi, suivi du directeur de l’usine dans sa Santana rouge, et même le directeur adjoint partit, tout débraillé, au volant de sa Cherokee blanche. Après tout ce tapage, chaque ouvrier se dirigea vers son destin. Lü Xiaohu pissa un grand coup contre le panneau d’affichage, puis il déclara à Lao Ding qui se tenait appuyé contre un arbre : « Maître, allons-y, ce n’est pas en restant ici qu’on trouvera de quoi manger, quand le père est mort et que la mère est remariée, c’est chacun pour soi ! » »

Seule une initiative audacieuse digne d’un start-uper (qui sait saisir l’air du temps et optimiser une solution jusqu’alors gratuite) permettra à Maître Ding de subsister et même de connaître une aisance inédite pour lui. Mais en bon élève du maoïsme, il est taraudé par la culpabilité face au succès de son business plan

Ce court roman a des airs de conte : il est émaillé de proverbes, son héros est un vieil homme naïf doté d’un apprenti bien plus dégourdi qui lui enseigne le b.a.-ba du commerce, et surtout c’est l’histoire d’un homme intègre et pauvre qui doit sa survie à l’abandon de ses valeurs (voilà pour la morale). Moi qui aime beaucoup les contes, je l’ai donc lu avec plaisir. Je vous le recommande pour une initiation en douceur à la littérature chinoise !

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Danemark Romans

Les jours sont comme l’herbe – Jens Christian Grøndahl

Traduction du danois par Alain Gnaedig – Éditions Gallimard

Si je n’avais pas déjà trouvé un auteur-chouchou pour le challenge proposé par Géraldine, j’aurais sans doute choisi Jens Christian Grøndhal. Car, avec Les jours sont comme l’herbe, je viens de découvrir un auteur d’une grande élégance qui se frotte à l’Histoire comme aux sujets de société les plus contemporains (politique migratoire, criminalité en col blanc) avec sobriété et sensibilité.

Six courts romans ou longues nouvelles forment Les jours sont comme l’herbe. Six récits qui se passent à des époques et dans des lieux différents. Leur point commun : des protagonistes qui vivent ou ont vécu avec les conséquences d’un choix, le leur ou celui d’un(e) proche. Les chemins qui sont pris ne permettent pas de retour en arrière et rien ne sera plus jamais comme avant. Pourtant, à l’exception de la nouvelle intitulé Villa Ada, ces choix n’ont a priori rien de spectaculaire. C’est là que l’auteur est très fort : l’air de rien, il sait insuffler une véritable tension et nous plonger dans la psyché humaine.

« Quand je raconte ce qui s’est passé ensuite, chacun comprendra que nous n’aurions jamais pu imaginer que les choses auraient pu tourner ainsi. À mesure que les semaines et les mois se sont écoulés, j’ai pu voir, peu à peu, comment une chose en a appelé une autre, mais les événements décisifs qui ont changé le cours de l’histoire sont arrivés de manière totalement inattendue. »

Pour moi, ces « courts romans » (terme employé par l’éditeur) parlent avant tout de valeurs humaines et de la déception, et même de la mélancolie qu’on peut ressentir lorsqu’on les voit bafouées ou qu’on constate le prix qu’il faut payer lorsqu’on s’y tient. Étrangement, j’ai trouvé ce roman très réconfortant et lumineux. Peut-être parce qu’il donne le sentiment de pas être seul(e) avec certaines pensées dans ce monde souvent désespérant…

Retrouvez le bilan des lectures scandinaves recensées par Céline pour son challenge illimité : https://meschroniquesdelectures.wordpress.com/2022/12/20/bilan-du-challenge-auteurs-des-pays-scandinaves/

Grâce à ma co-lectrice du jour, j’ai nommé Jostein (merci à elle de m’avoir accompagnée), j’ai déjà en vue un autre roman extrêmement prometteur signé par cet écrivain danois : Les Portes de fer. Mes petites recherches m’ont aussi conduite à noter le titre de son essai L’Europe n’est pas un lieu, qui me semble d’une actualité plus brûlante que jamais.

PS : Kathel et Ingannmic ont elles aussi chroniqué plusieurs romans de ce Danois qui s’est visiblement taillé un beau succès auprès du public français. N’hésitez pas à lire leurs avis sur les romans Quatre jours en mars (également chroniqué par Jostein ici), Les complémentaires, Les mains rouges, Piazza Bucarest. Patrice a lui aussi lu et aimé Les mains rouges dont le sujet me tente beaucoup également. Le choix de ma prochaine lecture grøndahlienne sera cornélien !