Traduction du tchèque par Xavier Galmiche – Éditions Denoël
Suite à une recommandation d’Anne-Yès, j’ai lu Vivre avec une étoile, roman du Tchèque Jiří Weil, à l’occasion de la Journée internationale dédiée à la mémoire des victimes de l’Holocauste. Un roman à mettre entre toutes les mains, qui vient en plus d’être réédité (cf. le récent article de Passage à l’Est).

Vous vous en doutez, cette lecture n’a pas été légère et m’a laissée, pour dire franchement les choses, véritablement accablée. Aucun regret cependant, lire de tels romans est une importante et précieuse piqûre de rappel. Comme le dit son titre, il s’agit ici de la vie d’un Juif dans une ville (que l’on devine être Prague) occupée par les Nazis et sous le coup de lois antisémites de plus en plus virulentes, jusqu’aux départs des convois. Si le roman ne parle pas de la vie dans les camps, il n’en est pas moins bouleversant et révoltant.
Son personnage, Josef Roubíček, vit seul et misérablement dans une maison qui fuit, impossible à chauffer (et avec quoi la chauffer quand on n’a plus le droit d’acheter de charbon ?). Il n’a gardé que quelques livres, se réjouissant de ce qu’« Ils » ne pourront rien lui prendre lorsqu’« Ils » viendront le chercher. Seule source de réconfort dans son maigre abri : un chat errant qui s’installe au mépris des lois nazies interdisant aux Juifs de posséder un animal domestique.

Pendant le premier tiers du roman, j’ai eu très envie de secouer Josef pour qu’il tente de s’enfuir, même s’il est déjà tard pour ça : son apathie est irritante car on sait ce qui va se passer et qu’on veut lui éviter ce terrible sort. Il se réfugie dans ses souvenirs, mettant à distance la réalité de sa situation de plus en plus sombre. Et peu à peu, on se retrouve englué avec lui dans la bêtise crasse et la cruauté des mesures qui s’accumulent, dans les drames qui se multiplient autour de lui et qu’il raconte d’un ton léger, comme détaché, ajoutant encore au tragique de la situation. On comprend de l’intérieur la déshumanisation, l’annihilation de la volonté humaine, et c’est évidemment très éprouvant. En ne nommant jamais directement ni les Nazis, ni les Juifs, Jiří Weil rend d’ailleurs son propos encore plus universel pour dénoncer le racisme, l’intolérance et l’oppression quelles qu’en soient les cibles.
Les moments d’une relative légèreté, lorsque la vie d’avant ressurgit le temps d’une rêverie ou d’une vraie cigarette, sont rares, tout comme les personnes qui tendront la main à Josef (main qu’il est souvent incapable de saisir). La ville vit sous une chape de plomb permanente, l’eau et l’air y sont sales, tout est gris. Et je ne parle même pas des nombreuses scènes qui déchirent le cœur : les anecdotes racontées par les fossoyeurs juifs, les derniers mots avant leur départ des – pourtant détestables – oncle et tante de Josef, le moment où Josef s’offre un miroir de poche…
Vous l’avez compris, il faut bien choisir son moment pour lire ce roman sobrement mais très élégamment écrit et d’une grande intelligence. Un indispensable.
Jusqu’au 3 février, retrouvez des chroniques littéraires autour de la Shoah recensées chez Nathalie, sur le blog Chez Mark et Marcel. À noter : Sandrine et Patrice ont lu ce roman eux aussi pour ce rendez-vous. N’hésitez pas à lire leurs avis !
