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Les âmes de feu – Annie Francé-Harrar

Traduction de l’allemand (Autriche) par Erwann Perchoc – Belfond

Les âmes de feu, quel beau titre mais quelle affreuse réalité dans ce roman puisqu’il s’agit des conséquences du réchauffement climatique et de la destruction de la nature !

Les humains vivent dans des métropoles comparables à des fourmilières dotées de noms laissant peu de place à l’imagination : A15, G12, F24 … Seuls de rares paysans occupent des territoires encore à l’état naturel qu’ils cultivent et où ils élèvent du bétail. Lorsque le roman commence, ces habitants de la campagne sont rapatriés de force dans les métropoles car leur travail est devenu inutile : toute l’alimentation nécessaire est désormais extraite de l’air ambiant. Au même moment, le jeune Daniel et sa compagne décident de faire le chemin inverse et de quitter la ville pour la campagne où ils pourront vivre librement la relation amoureuse qui leur est interdite dans la métropole.

De son côté, avec l’aide de son assistant Alfred 6720, le professeur Henrik 19350 mène des recherches sur les conséquences du mode de vie de ces métropoles et, grâce aux observations de Daniel, voit ses craintes se confirmer : le monde court à sa perte. À force d’exploiter la nature, l’humanité a créé une sorte de golem incandescent.

Objectif SF 2025, c’est chez Sandrine, alias Tête de lecture.

Dans cet univers futuriste, l’autrice a anticipé (ou imaginé) un réchauffement climatique (qui serait dû ici à l’exploitation de l’azote). Cette vision d’un monde sans véritables saisons et avec des vagues de chaleur écrasantes nous est douloureusement familière. Chose appréciable pour moi qui ne suis pas une grande lectrice de SF et encore moins de hard science SF : les aspects scientifiques sont tout à fait accessibles, et de toute façon en partie obsolètes, donc inutile de s’y attarder. Ce qui compte ici, ce sont les conséquences de cet usage de la science.

Si l’idée de départ était prometteuse, je dois cependant dire que je me suis ennuyée à cette lecture. Le style est soigné mais plat, avec uniquement quelques envolées descriptives curieusement décalées par rapport au reste du texte. Les personnages sont sans substance. Qu’ils s’en sortent ou pas, cela m’était totalement égal. Certains fils de l’intrigue m’ont également semblé artificiels. Je n’ai pas compris l’intérêt de l’attachement d’Alfred 6720 pour Aïne notamment. Une nécessité éditoriale d’histoire semi-romantique peut-être ? De manière générale, il y a probablement trop de personnages, mal exploités, et l’intrigue pourrait tenir plus efficacement sous forme de novela. Je me suis aussi demandée si un récit à la première personne ne lui aurait pas donné plus de corps. Pour terminer, la fin est un peu plan-plan, avec une vision trop idyllique (à mon goût) de la vie paysanne.

Bref, une déception pour moi, mais ce n’est que l’avis d’une néophyte en SF. D’ailleurs, Je lis je blogue, chez qui j’ai pioché cette idée, a aimé !

PS : Dans Les âmes de feu, les citadins ne se déplacent plus qu’en « autinos ». Conséquence inévitable : ils se ramollissent et faire plus de 2 pas leur est quasiment impossible physiquement. Toute ressemblance avec une trottinette électrique était certainement fortuite à l’époque (1920), mais aujourd’hui elle saute aux yeux !

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Tout va bien – Arno Geiger

Traduction de l’allemand par Olivier Le Lay – Éditions Gallimard

En 2005, l’auteur autrichien Arno Geiger a remporté le prestigieux Prix du livre allemand (Deutscher Buchpreis) avec le roman que j’ai choisi pour cette lecture commune avec Eva et Anne-Yès pour les Feuilles allemandes. Le concept de Tout va bien est original et plutôt séduisant : Chaque chapitre est le récit d’une seule journée fait par un des membres de la famille Sterk, sur une période allant de 1938 à 2001.

En 2001, Philipp doit vider la maison de sa grand-mère Alma, récemment décédée. En 1938, son grand-père Richard, par une chaude journée d’été, observe ses enfants jouer dans le jardin tout en ressassant son sentiment de culpabilité dû à son infidélité (avec la bonne d’enfants), ses inquiétudes face aux menaces nazies … En 1982, Alma constate que Richard perd décidément la tête. En 1945, Peter, le père de Philipp, connaît la guerre, la vraie, au sein des jeunesses hitlériennes. En 1960, Ingrid, sa femme, finit sa garde à l’hôpital, subit une fois de plus la misogynie des chefs de service et la charge mentale des femmes actives qu’on n’appelait pas encore ainsi, etc.

Une palette de personnages intéressants, et des réflexions très pertinentes forment donc l’ossature de ce roman au style par ailleurs heurté, avec des passages du coq à l’âne (puisqu’on suit le fil des pensées des protagonistes, particulièrement décousues pour certains). Les journées évoquées ne le sont pas dans l’ordre chronologique, ce qui n’est pas gênant en soi, mais ce découpage et l’alternance des points de vue fait qu’on ne s’attache à aucun personnage, à l’exception peut-être d’Alma qui m’a davantage touchée. Cette famille m’a même franchement agacée et l’écriture de Geiger m’a paru chercher l’originalité à tout prix. C’est probablement ce qui lui a valu le Deutscher Buchpreis qui récompense souvent des plumes atypiques (mais pas toujours des plus agréables).

Ajoutons à cela une édition truffée de coquilles (qu’une lectrice avant moi avait déjà corrigées au crayon à papier, ça m’a fait sourire) et d’erreurs de traductions (« variole » au lieu de « varicelle », le terme inconnu de « craintivité »), sans oublier un usage abusif de l’expression « aussi bien » qui me hérisse le poil d’avance. Je suis curieuse de savoir ce qu’en a pensé Eva qui l’a lu en VO. La responsabilité de certaines étrangetés stylistiques est-elle due au style de Geiger dans sa langue ou à sa traduction ?

L’auteur a de toute évidence beaucoup de talent. Certains passages sont excellents et son regard très neutre sur ses personnages crée un portrait éclairant d’une famille autrichienne sur plusieurs générations. Malgré tout, si je suis allée au bout de ce roman, c’est avant tout pour ne pas laisser tomber Eva, je le reconnais bien volontiers. Je ne peux pas dire qu’Arno Geiger n’est pas un auteur à découvrir. Mais Tout va bien fait partie de ces romans qui enthousiasment ou irritent, et je suis clairement dans le 2e cas !

PS : Le Monde est dans la team enthousiaste, sa critique est à lire ici.

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Le lieutenant Burda – Ferdinand von Saar

Traduction de l’allemand (Autriche) par Jacques Le Rider – Éditions Bartillat

Mais qui est ce Lieutenant Burda tiré à 4 épingles et au regard mystérieux ? Eh bien, ce n’est pas le narrateur de cette nouvelle (ni d’ailleurs l’homme sur la photo de couverture 😋). Ferdinand von Saar a en effet opté pour un regard extérieur de proximité (toujours très pratique en littérature), autrement dit celui d’un ami du héros. Enfin, un ami, c’est un grand mot en l’occurrence car le lieutenant Burda n’est en réalité proche de personne.

Peu à peu, cet « ami » constate que Burda a des attitudes et des convictions de plus en plus étranges. Tout semble aller dans le sens de ses affirmations pourtant farfelues et le narrateur comme le lecteur en vient à s’interroger : Burda est-il plus lucide que son entourage ou bien en train de perdre la raison ?

« La façon dont Burda arrangeait tout à sa convenance, dans les moindres détails, était étonnante. Et de fait, si vraiment il n’était pas victime d’une complète illusion en ce qui concernait les sentiments qu’il avait l’audace de prêter à la princesse, alors ses espoirs, même s’ils semblaient extravagants, n’étaient pas dénués de tout fondement. Mais je me gardai bien de l’encourager dans cette voie et me contentai de dire : « Voilà qui, décidément, fait apparaître la chose sous un jour nouveau, et qu’elle qu’en soit l’issue, sois assuré de mes vœux de succès et de ma sincère sympathie » ».

Ah, ah, quelle habile réponse de celui qui n’ose pas dire à Burda « Mon vieux, tu débloques : tu n’es qu’un sous-officier qui a tout juste de quoi vivre et tu penses qu’une femme de haute naissance à laquelle tu n’as jamais parlé t’aime et va t’épouser ?! ». Il faut dire que Burda est très susceptible et qu’il vaut mieux ne pas l’échauffer, comme on le verra plus tard dans cette histoire…

Nous avons donc là une nouvelle très réaliste sur la folie (pour son éditeur français, von Saar est d’ailleurs « le Maupassant viennois »), mais aussi sur une volonté d’ascension sociale bridée par les conventions de l’époque. Nous sommes par ailleurs dans un empire austro-hongrois qui se remet tout juste de soulèvements populaires et dans lequel « les particularismes nationaux ne s’étaient pas encore transformés en conflits déclarés. Ils fermentaient et frémissaient souterrainement, encore imperceptibles pour un œil non averti. » Beaucoup de choses donc, parfaitement maîtrisées, dans un court texte haletant, à l’écriture fluide et ciselée, dont le contexte et l’approche m’ont très vite évoqué Stefan Zweig et Arthur Schnitzler. Ce dernier a d’ailleurs écrit un roman intitulé Lieutenant Gustl qui semble avoir plusieurs points communs avec Le lieutenant Burda, au-delà de la similitude des titres.

Je vous recommande ce classique signé par un auteur moins connu que ses deux illustres comparses viennois, mais qu’il serait dommage de ne pas découvrir dans cette belle traduction de Jacques Le Rider. Une participation autrichienne aux Feuilles allemandes organisées cette année par Eva et Patrice.