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Espagne Romans

La femme à la valise – Luisa Carnés

Traduction de l’espagnol par Michelle Ortuno – Éditions La Contre Allée

Coïncidence ou non, après la guerre dans les Balkans, c’est dans la guerre d’Espagne que je me suis plongée avec le recueil de nouvelles La femme à la valise de Luisa Carnés. L’autrice, qui dut s’exiler au Mexique en 1939, fut contemporaine de célèbres écrivains tels que Federico García Lorca. Comme pour nombre de femmes et plus généralement d’écrivains engagés de cette époque, son rôle a longtemps été effacé de l’histoire de la littérature. Heureusement, elle fait l’objet de rééditions récentes qui la remettent en lumière (merci aux éditions La Contre Allée pour sa publication en France).

Nombreuses (11) et souvent très courtes, ces nouvelles de Luisa Carnés parlent de l’exode des républicains et de leurs familles, du sacrifice d’hommes engagés dans le conflit et des conditions de vie extrêmement difficiles pendant la guerre civile qui a déchiré l’Espagne de 1936 à 1939, mais aussi dans les années qui suivirent. Cet aspect m’a particulièrement intéressée car on connaît moins les lendemains du conflit et les séquelles très profondes qu’ils ont laissées. Il est ainsi question des enfants de républicains enlevés à leurs parents pour être confiés à des institutions franquistes, de l’atmosphère de suspicion et de délation au sein de la population comme de la vie de misère qui attendait les prisonniers politiques à leur libération. Pourtant, plusieurs de ces nouvelles vibrent d’espoir, l’espoir d’une Espagne unie et républicaine.

Les Bonnes nouvelles, c’est chez Je lis, je blogue !

Luisa Carnés était romancière, mais aussi journaliste. Il me semble que cela se retrouve dans son écriture qui va à l’essentiel et s’avère idéale pour des nouvelles. Révoltants, déchirants et profondément humains, ces récits s’attachent principalement à des destins de femmes : des militantes, des femmes qui tentent simplement de survivre, des compagnes, des mères…

Si des exactions ont été commises par les deux camps, l’autrice, elle-même membre du PC espagnol et très active lors des grèves ouvrières, ne cachait pas son rêve de voir une Espagne républicaine renaître après les horreurs de cette guerre fratricide. Morte en 1964, soit une décennie avant la mort de Franco, elle n’a pas vu son pays renouer avec la liberté et la démocratie. Son œuvre puissante, qui rejoint la bien triste actualité de nombreux pays, est indiscutablement à découvrir.

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Croatie Romans

Le collectionneur de serpents et autres nouvelles – Jurica Pavičić

Traduction du croate par Olivier Lannuzel – Agullo Éditions

De Jurica Pavičić, j’ai déjà lu il y a quelques mois l’excellent roman policier L’eau rouge (mon avis sur Babelio est à retrouver ici). J’ai très vite repéré son recueil de nouvelles au titre mystérieux : Le collectionneur de serpents. Dans ces 5 récits, l’auteur aborde des destins individuels dans lesquels la guerre n’est jamais loin et se trouve même parfois au centre de l’intrigue.

La nouvelle éponyme est pour moi l’une des plus poignantes. Elle montre toute la banalité et le tragique du quotidien des soldats en temps de guerre, et surtout l’absurdité de voir de jeunes hommes arrachés à leurs vies pour aller affronter leurs voisins et vivre des atrocités. Ceux qui en reviennent ne seront évidemment plus jamais les mêmes, à commencer par le collectionneur de serpents.

La seconde nouvelle, Le tabernacle, m’a presque autant bouleversée que la première. Niko apprend un matin la mort de l’occupant de l’appartement familial qu’il a lui-même dû quitter à l’adolescence. Le partage des appartements était monnaie courante sous Tito et le locataire imposé à sa famille n’a jamais pu être délogé. Son décès permet enfin à Niko de revenir dans les lieux. Il y fait alors une étrange découverte qui l’ébranlera.

La patrouille sur la route retrace les destinées opposées de deux frères amoureux de la même femme. Une fois démobilisés, ils vont se retrouver chacun d’un côté de la loi : l’un gendarme, l’autre voleur. Tout cela risque évidemment de mal finir…

Les relations familiales sont elles aussi au cœur de La soeur. Si la guerre est plus lointaine dans cette nouvelle, elle explique en partie les liens distendus entre Margita et sa sœur, qui vit à Belgrade depuis de nombreuses années. Je l’ai trouvée plaisante à lire et juste dans l’analyse des sentiments, mais elle m’a moins touchée et me laisse un souvenir plus vague que les autres nouvelles du recueil.

Les lendemains de la guerre reviennent en force dans Le héros, le récit qui clôt le livre. Jurica Pavičić y crée une atmosphère digne d’un western : un personnage taiseux et solitaire vient travailler dans un village littéralement enroulé sur lui-même et largement laissé à l’abandon. Cet homme est-il bien celui qu’il prétend être ? J’ai été tenue en haleine jusqu’au bout par cette nouvelle qui fait ressurgir des événements très médiatisés des années 2000.

En résumé, je ne peux que conseiller ces très, très bonnes nouvelles de ce formidable auteur qui mêle avec talent récits intimes et histoire de son pays. D’ailleurs, son 2e roman policier, La femme du 2e étage, figurera sans aucun doute dans ma PAL 2024.

Aifelle et Kathel vous conseillent aussi ce recueil, lu pour Les Bonnes nouvelles également.

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Romans Tunisie

Bel abîme – Yamen Manai

Elyzad poche

En 2024, Je lis, je blogue lance un nouveau rendez-vous au nom d’excellent augure pour un mois de janvier : les Bonnes nouvelles. Vous l’aurez compris, ce challenge met à l’honneur les nouvelles, mais seront également chroniqués les très courts romans (aussi appelés novellas). J’aime beaucoup les nouvelles et pourtant, je n’en ai chroniqué qu’un recueil depuis la création de ce blog en mai dernier. Je compte bien me rattraper pendant les semaines à venir !

Aujourd’hui, c’est une novella que j’ai choisi de vous présenter. Son auteur d’origine tunisienne vit en France et Bel abîme est publié par elyzad, une formidable maison d’édition tunisienne que je découvre à cette occasion. Modeste par la taille (110 petites pages format poche), ce roman a raflé une foule de prix, notamment le Prix du roman métis des lycéens. Rien d’étonnant à cela car ce texte d’une grande puissance a tout pour plaire à de grands adolescents et jeunes adultes (et moins jeunes d’ailleurs !) : un style oral et direct, tout en étant riche et très évocateur, un récit à la première personne porté par la rage et la fougue que suscitent l’injustice et la situation de la jeunesse tunisienne, sans oublier la révolte vis-à-vis de l’autorité parentale et des gouvernants.

Je ne suis pas fan des monologues, mais je dois bien reconnaître que ce mode de narration est parfait ici. Il permet de maintenir une tension constante et de saisir le lecteur par le col pour ne plus le lâcher. Le jeune homme qui s’exprime, et dont on ignore le nom, s’adresse tout à tour à l’avocat qui lui a été commis d’office et au psychiatre chargé de l’évaluer. Petit à petit, on découvre sa vie, les violences et humiliations sociales et familiales qu’il a vécues, l’amour inconditionnel qu’il a connu aussi. On saura également ce qui lui a valu d’être pris pour un terroriste avant d’être considéré comme un prisonnier de droit commun.


« Dans le quartier, je n’étais pas le seul gamin à me prendre des baffes. Sous mes yeux, les profs en ont humilié et tapé des centaines. Gifles, coups de bâton, coups de pied, mots qui cognent, phrases qui blessent. Tous, du primaire au lycée, et les exceptions, je vous le jure, je les compte sur les doigts d’une main. Vous savez, les profs ne tombent pas du ciel, ils ne sont pas déposés à nos portes par des cigognes, c’est une production locale, marquée comme tout le monde par le sceau de la violence. » 

Yamen Manai n’est pas tendre avec la société tunisienne post-printemps arabe : corrompue, incapable de comprendre et d’aider sa jeunesse qui n’a aucune perspective, elle est gangrenée par la violence domestique et politique. Très sombre, ce constat n’est que faiblement éclairé par le salut que trouve le personnage dans les souvenirs et dans les livres.



« Mais tant qu’il y a des souvenirs et tant qu’il y aura des livres, je ferai mieux que survivre. Vous savez, la tête, c’est une cheminée, la vie un long hiver et les souvenirs et les livres, des morceaux de bois. Les souvenirs, je m’en charge. En trois ans avec Bella, j’ai glané de quoi faire du feu. Mais par Dieu, dites-leur de m’enfermer avec des livres. Promettez-moi des livres, du bois sacré pour les nuits de solstice. »

Malgré sa dureté, je ne peux que recommander cette belle lecture qui permet de mieux comprendre ce que vit la jeunesse de Tunisie, réduite à risquer sa vie en Méditerranée dans l’espoir d’une vie moins désespérante à défaut d’être meilleure.

D’autres avis enthousiastes chez Kathel, Gambadou , Krol, Alex et Jostein.

PS : Belle année à toutes et à tous ! Je vous souhaite bien sûr des lectures passionnantes, surprenantes, bouleversantes, dépaysantes et/ou réconfortantes en 2024.

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Islande Romans

Le berger de l’Avent – Gunnar Gunnarsson

Traduction de l’islandais par Gérard Lemarquis & María S. Gunnarsdόttir – Éditions Zulma

Hors romances et cosy mysteries qui ne manquent pas à cette saison, le choix de lectures de Noël peut paraître limité pour les adultes. Pourtant, il est tout à fait possible de dénicher de magnifiques histoires parfaitement de saison pour les moins jeunes. Après D’autres étoiles, un conte de Noël dont je vous ai parlé la semaine dernière, voici un autre court récit plein de neige et surtout de poésie !

Écrit en 1936, Le berger de l’Avent a reparu en poche chez Zulma en 2019 avec en bonus une postface du génialissime Jόn Kalmann Stefánsson, traduite par Éric Boury. La très belle traduction du roman lui-même est signée par un duo dont, si je ne m’abuse, fait partie la fille de l’auteur (selon l’usage islandais, son patronyme Gunnarsdόttir signifie «  fille de Gunnar »). Mais trêve d’informations éditoriales, il est temps de passer à l’essentiel car ce roman est un petit chef d’œuvre universel et intemporel.

« Il regardait autour de lui, faisant sien tout ce que son regard embrassait. L’obscurité envahissait la campagne et la lune se devinait derrière les nuages, et les nuages étaient pareils à des montagnes de glace flottante, aussi réelles que celles qui pâlissaient à l’horizon. Un soir comme celui-ci, avec le lac gelé recouvert de neige, la terre paraissait plus plate que d’habitude. Et, au milieu de cet univers livide, presque fondu dans l’obscurité, un homme se tenait avec ses amis les plus proches, Roc le bélier et le chien Leό. Cet univers était le sien. Le sien et le leur. Il était un élément de cet univers. »

Benedikt s’est fixé une mission et il l’accomplit avec une ténacité qui force l’admiration. Comme certains jeûnent, randonnent, font une cure de déconnexion ou des stages de méditation, ce berger se retire du monde chaque année pour aller à la recherche des moutons égarés dans la montagne. Cela ne lui rapporte rien, si ce n’est la satisfaction personnelle d’avoir sauvé ces créatures et un temps pour méditer sur la vie et la mort, les deux se côtoyant très étroitement dans cette région inhospitalière.

Dans ce roman de moins de 70 pages, il est question de solidarité humaine – car comment survivre dans de telles contrées si l’on ne veille pas les uns sur les autres ? – et d’entente symbiotique entre l’homme et l’animal. Gunnar Gunnarsson y déploie une langue somptueuse pour évoquer le climat, les tempêtes et les paysages aussi hostiles que sublimes d’Islande (les fans d’Arnaldur Indridasson y trouveront sans aucun doute une filiation avec son aîné). Avec une extrême pudeur, il y est également question d’amour et d’amitié.

Image par Herm de Pixabay

C’est un texte simple et profond à la fois qui fait écho chez moi au beau roman italien Histoire de Tönle dans lequel Mario Rigoni Stern relate la vie mouvementée d’un homme pourtant profondément enraciné dans son village. Encore un berger empli de sagesse et d’une opiniâtreté hors du commun, vivant au rythme des saisons, avec la stupidité des guerres en prime.

Aifelle, Sibylline, LoudeBergh et Hélène devraient achever de vous convaincre de glisser Le berger de l’Avent dans votre sac pendant les fêtes (vous trouverez difficilement livre plus léger à transporter !). N’hésitez pas à lire leurs billets enthousiastes.

PS : Le blog prend maintenant un peu de vacances. Rendez-vous en 2024 avec un mois de janvier largement consacré au rendez-vous des Bonnes nouvelles proposé par Je lis, je blogue. Et bien sûr, je continuerai à explorer la littérature européenne et mondiale tout au long de 2024. Bonne fin d’année et à très bientôt !

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Littérature jeunesse

Lectures jeunesse de Noël

À cette époque de l’année, les bibliothécaires mettent en avant de nombreux livres de Noël au rayon jeunesse et on trouve donc un très large choix « en tête de gondole », de quoi se faire plaisir sans casser sa tirelire. J’ai aussi fait une recherche sur le catalogue en ligne de ma médiathèque et bien m’en a pris, car de nombreuses trouvailles m’attendaient dans les réserves. Il a suffi de demander aux bibliothécaires de les faire remonter à la lumière du jour !

Voici donc une petite sélection subjective testée et approuvée en famille ce week-end :

Les enfants de Noël est un superbe album qui réinvente l’origine du Père Noël de manière très subtile et pleine de magie. Les graphismes sont très doux, pleins de couleurs et de féérie. Et l’histoire en elle-même est tout simplement magnifique. À lire dès 5 ans et sans limite d’âge supérieur !

Nous avons aussi découvert cette année un petit roman désopilant d’un auteur irlandais plus connu pour avoir signé The van, The commitments et The snapper, tous adaptés au cinéma par Stephen Frears et Alan Parker. Dans Qui peut sauver le père Noël, un chien nommé Rover va devoir remplacer au pied levé le renne Rodolphe (grippé) en compagnie d’une troupe d’enfants fort débrouillards et de deux lézards (oui, oui, vous avez bien lu). Bourré d’humour et de tendresse, ce livre – joliment illustré par Brian Ajhar – plaira à coup sûr aux fans de David Walliams et Roald Dahl (donc à partir de 7-8 ans).

Parmi les incontournables (celui-là est dans mon fonds personnel), il me faut citer les Lettres du Père Noël de J.R.R. Tolkien. Ce livre de poche recèle des trésors : des fac-similés des lettres originales que Tolkien a envoyées année après année à ses enfants, et leur traduction en français bien sûr. Tolkien a non seulement imaginé des aventures rocambolesques pour le Père Noël et ses acolytes (dont un ours gaffeur), mais il a aussi énormément travaillé le visuel avec des graphies particulières et de faux timbres dessinés par ses soins. De l’amour parental en barres et en mots par un merveilleux conteur. Ce n’est pas Émilie qui dira le contraire ;-D

Le nom de Corinne Albaut ne vous est peut-être pas inconnu, et pour cause : elle figure souvent dans les cahiers de poésie des enfants en CP et CE1, notamment avec Les crayons de couleur. Actes Sud a publié ses très belles Comptines pour le temps de Noël illustrées par Michel Boucher. Dans ce recueil, la neige, le sapin, les cadeaux, les bonhommes de neige sont les héros de courts poèmes à déguster sans modération. Le livre est conseillé dès 3 ans et peut à mon avis s’apprécier à tout âge. On envisage chez nous une petite séance de lecture ou de récitation en famille le 24 au soir, comme c’est l’usage en Allemagne notamment, tellement on a envie de les partager.

J’ai aussi eu la chance de pouvoir emprunter Sapi le sapin, qu’on voit actuellement en vitrine de toutes les bonnes librairies. J’aime beaucoup les livres d’Olivier Tallec et celui-ci ne fait pas exception. Sapi a une bouille adorable et les dessins sont irrésistibles : il faut voir Sapi brosser ses aiguilles ou bouder ! L’histoire rappelle très fortement Le sapin d’Andersen, un conte triste (décidément Andersen n’avait pas la plume joyeuse) qui est sensiblement adouci par les mimiques de Sapi (un petit arbre limite narcissique), même si son destin reste peu réjouissant.

Un grand merci à Audrey de Light&Smell qui a partagé une très belle liste d’idées dans laquelle j’ai pioché avec plaisir. Je vous recommande donc chaleureusement son article intitulé « 10 albums de Noël qui me tentent » pour d’autres découvertes.

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Japon Romans

Le cygne et la chauve-souris – Keigo Higashino

Traduction du japonais par Sophie Refle – Actes Sud

Je voulais découvrir Keigo Higashino dont le roman Le nouveau m’intéressait suite aux chroniques élogieuses de plusieurs blogs dont Collectif polar, Dasola, Maggie ou encore Cannibal lecteur… Mais c’est Le cygne et la chauve-souris, son tout dernier opus, que le destin (a.k.a ma librairie ;-D) a mis sur mon chemin.

Nous avons ici une intrigue policière passionnante et savamment construite : un avocat a été retrouvé poignardé et lorsqu’un retraité se met à table, il n’avoue pas seulement l’avoir assassiné, mais aussi l’avoir fait pour cacher un autre meurtre commis 30 ans plus tôt. Pour des raisons différentes, le fils de l’assassin présumé et la fille de la victime ne croient pas aux mobiles invoqués et ils trouvent peu à peu des éléments qui vont instiller le doute chez les enquêteurs.

L’auteur prend son temps et m’a ainsi donné l’impression de m’emmener dans un véritable voyage au Japon, à la découverte de ses cafés, restaurants et lieux de vie, mais aussi du système judiciaire du pays (rappelons que la peine de mort est toujours en vigueur au Japon, le pays du kawaï … et des contradictions !). L’enquête est menée de manière tout sauf spectaculaire, ce qui n’empêche pas un véritable suspense. Le style est sobre et nimbé d’une mélancolie on ne peut plus japonaise, avec une psychologie des personnages fouillée, et la construction chorale associant plusieurs temporalités est limpide et d’une redoutable efficacité.

La « pente des conduites » et les poteries de Tokonamé – Image par kazuo de Pixabay

J’ai beaucoup aimé être placée du côté des victimes « collatérales » d’un meurtre, c’est-à-dire des proches de l’assassin et de la victime à proprement parler. On les suit dans la tourmente médiatique qui s’abat sur eux en plus de l’état de sidération dans lequel ils se voient plongés. Mirei et Kazuma vont faire preuve d’une grande force en cherchant à établir la vérité, alors que la justice veut avant tout résoudre une affaire. Le dénouement, formidablement amené, ne clôt d’ailleurs pas le roman. Keigo Higashino tient à montrer que trouver le coupable ne signe pas la fin de l’histoire et n’est qu’une étape pour l’entourage des suspects, des coupables et des victimes qui devront vivre avec les conséquences du crime commis.

Que ce soit pour le plaisir de suivre une intrigue juridico-policière, pour mieux comprendre la mentalité japonaise ou déguster par procuration un plat de porc au soja, je vous invite à découvrir ce roman policier très subtil.

Le fleuve Sumida à Tokyo – Image par kazaha7 de Pixabay

Alex et Mare Tea Ne en ont parlé récemment elles aussi. Et pour ma part, je vais me procurer prochainement Le nouveau et sans doute Les miracles du bazar Namiya, autre roman du même auteur mais dans un genre différent et adoré par Keisha, A girl et Pativore.

PS : Pour vous mettre l’eau à la bouche, Actes Sud met les 20 premières pages du Cygne et la chauve-souris à disposition sur son site : https://www.actes-sud.fr/le-cygne-et-la-chauve-souris

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Norvège Romans

D’autres étoiles, un conte de Noël – Ingvild H. Rishøi

Traduction du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud – Mercure de France

Quelle chance j’ai eue de tomber sur ce petit bijou de saison ! Ce court roman (encore un) est une merveille de sensibilité, de tendresse, mais aussi un condensé de ce que la vie a de plus âpre. Préparez vos mouchoirs !

Ronya (10 ans) et Melissa (16 ans) sont deux sœurs qui ne peuvent pas compter sur leur père, alcoolique parfois sevré (et il est alors un père en or) mais qui retombe toujours dans son addiction. Alors, quand il perd le travail de vendeur de sapins de Noël qu’il avait décroché, Melissa prend le relais. Puis Ronya met elle aussi la main à la pâte, au risque de leur attirer des ennuis.

Melissa est une grande sœur extraordinaire et Ronya, qui est la narratrice, une petite fille fabuleuse. On a franchement très envie de les adopter pour leur épargner la souffrance que leur cause leur père, la honte aussi et la culpabilité que celle-ci engendre à son tour.

Asphalte et soleil. Ce n’était que de l’asphalte et ce n’était que du soleil. Et il n’était que midi. Seulement voilà, papa ne marchait pas correctement, ce qui faisait que je cuisais de chaud et que je grelottais de froid. Puis il m’a remarquée. Il a souri, et il a levé la main pour me faire coucou. Donc moi aussi je devais lever la main. Seulement voilà, tout le monde peut voir à travers le porche, et là je me suis dit : coupez-moi la tête. Je me suis dit : venez, tempêtes, crues et incendies.

Le concierge de l’école, un vieux voisin, le père d’un camarade de classe, images de la bienveillance et de la générosité humaines, veillent sur elles autant que possible mais ils ne peuvent pas les soustraire à leur destin.

Semant ici et là des références explicites aux classiques de la littérature jeunesse, en particulier La petite marchande d’allumettes et mon chouchou Ronya, fille de brigand, l’autrice crée son propre conte de Noël avec une langue magnifique, très poétique et drôle aussi puisque c’est une enfant qui s’exprime avec une jolie gouaille.

D’autres étoiles est un conte de Noël triste et pourtant lumineux, à la fois intemporel et bien ancré dans notre époque. Malgré le drame social qu’il dépeint, il irradie l’amour et l’espoir.

D’autres avis chez Luocine, Blandine et Cécile.

Cette lecture m’offre l’occasion d’une nouvelle participation au challenge de Céline autour des auteurs des pays nordiques (son récapitulatif est une mine d’idées !).

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Colombie Romans

La chienne – Pilar Quintana

Traduction de l’espagnol (Colombie) par Laurence Debril – Calmann-Lévy

Voilà un très court roman (128 pages) que j’ai lu presque d’une traite, envoûtée que j’étais par l’atmosphère tissée par Pilar Quintana.

Sur la côte pacifique de la Colombie, Damaris et Rogelio vivotent dans une cabane grâce aux quelques sous gagnés au prix de campagnes de pêche plus ou moins fructueuses et de ménages. En mal d’enfant, ils se sont éloignés et, depuis plusieurs années, ne font plus que cohabiter. Sur un coup de tête, Damaris adopte un jour une petite chienne à laquelle elle s’attache sans doute plus que de raison. Après une première fugue, celle-ci prend goût à la liberté et s’échappe à la première occasion. Ces abandons font passer Damaris par toute une palette d’émotions, des plus douces aux plus féroces.

C’est bien Damaris que l’on suit, et sa ou plutôt ses douleurs qui se dévoilent au fil de retours dans le passé. Mais Pilar Quintana nous parle aussi de Rogelio, bien moins fruste qu’au premier abord, et de toute une petite communauté accrochée à ce bord de mer hostile. Tous ces personnages m’ont paru extrêmement seuls, à commencer par Damaris bien sûr, une impression renforcée par leur isolement géographique. Les tempêtes, la chaleur, la mer, la jungle et sa faune, bref, la nature est également omniprésente dans ce roman. Et elle n’y est pas généreuse, mais impitoyable et menaçante.

La chienne est un roman resserré, au style sobre et poignant à la fois. Très fort et dépaysant, il se lit vite mais ne s’oubliera pas facilement.

PS : Koryfée, dont je viens de découvrir le blog, l’a aimé aussi. Sa chronique est à retrouver ici (avec en prime son adorable toutou en photo !).