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Romans Vietnam

Lettres à Mina – Thuân

Traduction du vietnamien par Yves Bouillé – Éditions Riveneuve

Je me suis un peu creusé les méninges pour trouver un roman épistolaire qui me permette de participer cette année encore au rendez-vous proposé par Madame Lit et Et si on bouquinait. À défaut d’avoir trouvé ce qu’il fallait dans ma PAL, j’ai choisi une destination grâce à laquelle je fais coup double en me joignant enfin à l’activité sur les Littératures d’Asie du Sud-Est proposée par Sunalee. Car après le Japon l’an dernier, c’est au Vietnam que m’a conduite cette lecture épistolaire.

Tenant plus du journal intime que du roman épistolaire, Lettres à Mina a une forme originale : Entre les missives adressées par la narratrice à une amie afghane perdue de vue s’intercalent de véritables articles de presse consacrés à la situation en Afghanistan, en particulier celle des femmes, ainsi que des lettres que Pema, une amie de la narratrice vivant à Saïgon, destine à son amant photographe en reportage en Afghanistan.

La narratrice vit, elle, à Paris depuis qu’elle a quitté le Vietnam et navigue dans ses lettres entre passé et présent. Elle se remémore ses années d’études en URSS où elle a rencontré Mina. Car oui, alors même que les Soviétiques combattaient en Afghanistan, ils accueillaient des Afghans, on n’est pas à un paradoxe près ! Elle se souvient aussi de sa relation passionnée avec un homme marié qui vivait au Vietnam lorsqu’elle était déjà en France. Apercevant par hasard une autre immigrée vietnamienne 15 ans après lui avoir donné quelques cours de français, elle se met à sa recherche. Elle joue donc les détectives et, en bonne romancière qu’elle est, laisse surtout son imagination s’emballer et inventer des scénarios rocambolesques.

Image par FlorianJung de Pixabay

Sur le fond, cela part donc un peu dans tous les sens et ces mélanges de genres et de temporalités pourraient sembler hasardeux. Je me suis d’ailleurs régulièrement demandée où voulait en venir l’autrice. Une fois le livre terminé, je ne le sais toujours pas ! Pourtant, j’ai apprécié ce roman sans doute largement autobiographique fait de réflexions, sensations, rêveries et digressions. L’écriture est fluide et délicate, et j’ai pris plaisir à suivre Thuân dans ses souvenirs et ses élucubrations (qui s’avèrent parfois moins farfelues que la réalité). De là à parler de récit « hilarant » comme je l’ai lu ici ou là, il y a un grand pas que je me garderai de faire. Le ton est drôlatique, mais il m’a surtout paru nostalgique voire mélancolique. Il est cependant fort possible qu’il me manque des « codes » vietnamiens pour comprendre toute l’ironie de certains dialogues et certaines scènes. De Thuân, Doudoumatous a lu un autre roman, le Parc aux roseaux. Je vous recommande de lire son billet si vous avez envie d’en savoir plus sur les sujets de prédilection de cette autrice.

Traductrice en vietnamien de Sartre et de Houellebecq, Thuân serait aussi une grande admiratrice de Modiano et ses Lettres à Mina en témoigneraient. Je mets tout cela au conditionnel car je me fie ici à des articles parus à propos de ce livre. Pour ma part, je n’ai lu qu’un roman de Modiano et c’était il y a plus de 20 ans. Je ne m’aventurerai donc pas à me prononcer là-dessus.

En résumé : une première incursion dans la littérature vietnamienne parfois déroutante mais plaisante qui signe ma participation au beau rendez-vous des lectures épistolaires.


PS : Les éditions Riveneuve, dont – au passage – j’aime beaucoup la police de caractère d’une grande lisibilité et la très belle couverture avec ses solides rabats, proposent une collection consacrée à la littérature vietnamienne contemporaine à découvrir ici.

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À propos Challenges et LC

Programme printanier

Encore un petit billet non livresque pour cause de vacances. Aujourd’hui, je fais un point sur les rendez-vous auxquels je participe en ce printemps 2024.

En avril, c’est le formidable Mois au Japon chez Lou et Hilde. Ma modeste contribution cette année a déjà paru il y a quelques jours avec ma chronique sur Le goûter au lion, un roman doux-amer d’Ogawa Ito.

En avril et en mai, La bouche à oreilles orchestre Le printemps des artistes. J’ai publié une première chronique picturale la semaine dernière et ma prochaine contribution devrait être musicale. J’aime beaucoup ce rendez-vous qui me fait sortir de mes habitudes de lecture !

Fabienne propose de lire sur le Rwanda d’avril à juillet avec ses Cent jours au pays des mille collines et j’ai bien l’intention de prendre part à cet événement, peut-être avec un essai si celui que j’envisage n’est pas trop ardu.

Pour la deuxième année consécutive, Madame Lit s’acoquine avec Eva&Patrice pour nous inviter à une lecture épistolaire, cette fois du 7 au 10 juin. Mon roman est déjà choisi, il devrait en plus me permettre de m’associer (enfin !) au défi Littératures de l’Asie du Sud-Est organisé par Sunalee jusqu’au 30 septembre.

Tourné vers d’autres contrées le reste de l’année, mon blog se mettra exceptionnellement à l’heure anglaise en juin. J’ai quelques classiques dans ma PAL qui va donc s’affiner avant la plage grâce au Mois anglais. Merci d’avance à Lou et Titine pour cette « opération dégraissage ».

J’ai pris goût aux voyages en mer grâce au Book trip maritime piloté par Fanja. Après Oiseaux de tempête, je chroniquerai dès lundi une nouvelle lecture pleine d’embruns … et d’angoisse.

J’ai par ailleurs trouvé mon auteur-chouchou pour le défi proposé par Géraldine. Ce sera le Néerlandais Gerbrand Bakker dont j’ai adoré Parce que les fleurs sont blanches, découvert grâce à Eva lors d’une récente lecture commune. J’ai jusqu’au 31 août 2025 pour explorer sa bibliographie, mais ce printemps me verra déjà lire au moins un de ses romans.

D’ici le solstice d’été, je participerai à plusieurs lectures communes :

Vous pouvez bien sûr vous joindre à nous !
D’autres challenges au long cours et lectures communes ponctuelles sont répertoriés ici, avec notamment des lectures marsiennes chez Ta d loi du cine/Dasola, un défi Lire tout Marguerite Duras chez Éléonore et un autre consacré à Proust chez Myriam et Claudialucia. Bref, il y en a pour tous les goûts !

Bonnes lectures et à bientôt,

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Japon Romans

Je vous écris – Inoué Hisashi

Traduction du japonais par Karine Chesneau – Éditions Picquier poche

Pour le rendez-vous du roman épistolaire proposé par Madame Lit & Et si on bouquinait un peu, j’ai choisi un court roman japonais à la construction originale qui, comme son nom l’indique, se compose exclusivement (ou presque) de lettres. Une lecture très plaisante, dépaysante et qui sort des sentiers battus à plus d’un titre.

Publié en 1978 au Japon et en 1997 en France, traduit partiellement (par choix de l’éditeur, certains épisodes du roman manquent en effet dans la version française), Je vous écris se compose de 10 récits distincts, que l’on peut lire comme des nouvelles indépendantes, mais dont les protagonistes apparaissent tous dans le 11e et dernier épisode. On pourrait ne pas lire cette dernière partie sans que cela soit gênant, mais elle apporte un éclairage supplémentaire sur chacun(e) d’eux que j’ai été contente de découvrir.

Tout au long de ce livre, l’auteur recourt presque uniquement à des lettres pour son récit, mais sous des formes différentes : dans l’un des épisodes (c’est le terme employé dans le livre), vous ne verrez que les lettres d’une seule et même personne adressées à plusieurs correspondants, tandis que dans le suivant, vous suivrez l’intégralité de l’échange entre deux personnes avec parfois l’intervention d’un tiers. Plus inhabituel : un des épisodes est principalement constitué d’actes d’état civil qui permettent de résumer une vie en quelques bouts de papier et c’est bouleversant. Et enfin, la correspondance peut aussi être un échange de petits mots griffonnés et échangés par plusieurs personnes réunies dans une même pièce. Tous les modes de l’échange épistolaire sont donc visités, à l’exception des courriels puisque l’histoire se déroule dans les années 1970. Le procédé épistolaire est lui-même au centre de deux nouvelles dans lesquelles une ruse similaire aura des conséquences bien différentes.

Image par Renata Veto de Pixabay

Alors que le titre Je vous écris pourrait laisser penser à une correspondance sentimentale, le propos est en réalité cruel dans la grande majorité de ces nouvelles. Pauvreté, sexisme, solitude, folie, culpabilité, trahisons… Les ressorts de chaque épisode (à une ou deux exceptions près) sont sombres malgré des abords souvent innocents. L’auteur sait à merveille faire naître progressivement le malaise ou, plus rarement, nous surprendre avec une pirouette légère lorsqu’on s’attend au pire. Difficile d’en dire plus sans dévoiler les intrigues très habiles tissées par Hisashi Inoué !


Ce rendez-vous a pleinement rempli sa mission pour moi : j’ai découvert un auteur, voyagé au Japon, passé un très bon moment de lecture et exploré de nombreuses facettes du roman épistolaire. Pour l’occasion, j’ai lu également De très modestes cadeaux du Serbe Uglješa Šajtinacun qui m’a moins convaincue. Pour avoir un avis détaillé au sujet de ce roman composé d’un échange d’e-mails uniquement, vous pouvez cependant lire le billet de Temps de lecture .