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Angleterre Romans

The murder of Mr Wickham – Claudia Gray

Éditions Vintage Books – Penguin Random House LLC

Ça ne saute peut-être pas aux yeux sur ce blog, mais je suis une authentique Austen-head, autrement dit une inconditionnelle de Jane Austen. J’ai bien entendu lu tous ses romans, même inachevés, vu la quasi totalité des adaptations cinéma et TV ainsi que plusieurs « produits dérivés » dont Lost in Austen (Orgueil et quiproquos en VF). Cette mini-série au décor kitsch digne des Doctor Who, qui a fait hurler les puristes, m’a d’ailleurs beaucoup amusée. Tout ça pour dire que quand Émilie d’À livre ouvert a présenté The murder of Mr Wickham, ma CB n’a fait qu’un tour 🤣. Et quel meilleur moment que Le Mois anglais de Lou et Titine pour vous en parler ?

Même si je suis la plupart du temps très bon public quand il s’agit de Jane Austen, j’étais un peu sur mes gardes. Comment l’autrice allait-elle réunir de manière crédible les personnages des différentes romans d’Austen, qui plus est autour d’une intrigue policière ? Le pari est tenu ici, et de haute main ! On retrouve avec un immense plaisir une grande partie des héroïnes et héros des romans austeniens, rassemblés pour ce qui s’annonçait comme un agréable séjour chez les Knightley. Cette house party tourne cependant au cauchemar dès le premier jour en raison de l’arrivée de Wickham, vil personnage que les fans d’Orgueil et préjugés connaissent bien, et qui ne va pas tarder à mourir. De nouveaux venus font leur apparition dans ce roman : le fils des Darcy, quasi phobique social, et la pétulante Juliet, fille de la follement imaginative Catherine Tilney, née Morland.

Pour mon plus grand plaisir, Claudia Gray a joué ici avec les traits de caractère bien connus des personnages austeniens tout en ajoutant de nombreuses touches de modernité bienvenues (sauf une, incongrue à mon goût mais dont je comprends la nécessité pour l’intrigue dramatique). J’ai retrouvé ce qui fait tout le charme des romans de Jane Austen : un romantisme toujours tempéré d’une délicate ironie, avec un féminisme sous-jacent qui ne se cache plus vraiment dans cette version moderne. Côté enquête, l’autrice mène habilement l’affaire, nous égarant de fausse piste en nouvelle révélation, jusqu’aux toutes dernières pages. Et bien sûr, les clins d’œil aux œuvres originales parsèment ce roman de cosy mystery historique. Claudia Gray allie parfaitement un incontestable respect pour la grande Jane et une légère irrévérence qui n’aurait pas manqué de la ravir.

Alors qu’aucune traduction n’est – hélas – encore en vue, je découvre que Claudia Gray a signé 2 autres tomes de ce qui est donc devenu une série : The Late Mrs. Willoughby et The Perils of Lady Catherine de Bourgh. De quoi alimenter encore mon Austen-mania 🤗…

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États-unis Romans

La main gauche de la nuit – Ursula K. Le Guin

Traduction de l’anglais (États-Unis) par Jean Bailhache – Le Livre de poche

Figurez-vous que c’est grâce à Jane Austen si j’ai lu Ursula K. Le Guin. Le premier ou la première d’entre vous à deviner le lien entre la célèbre romancière britannique et l’autrice de science-fiction américaine au nom breton remportera mon exemplaire personnel de La main gauche de la nuit ! À vos claviers pour tenter votre chance via les commentaires !

Ce roman paru en 1969 est le 8e tome du cycle intitulé Livre de Hain mais on peut tout à fait le lire indépendamment de la série (c’est ce que j’ai fait).

Un Envoyé d’une sorte d’alliance de planètes (l’Ekumen), vit depuis plusieurs mois sur la planète Nivôse-Géthen dont il veut convaincre les dirigeants de rejoindre l’Ekumen. Entre défiance envers cet étranger et rivalités entre les différents chefs d’État de cette planète au climat glacial, Genly Aï aura fort à faire pour obtenir gain de cause, mais aussi … pour survivre.

Quel plaisir de lecture ! Je ne m’attendais pas à un style aussi « littéraire » et c’était un vrai bonheur. D’ailleurs, le titre lui-même est déjà très poétique.

Dès la première page, l’autrice nous plonge directement dans l’action avant d’opérer quelques retours en arrière et de proposer différents points de vue pour construire un récit ample et extrêmement intelligent. Comme il se doit en science-fiction, tout un monde est créé, avec sa toponymie et ses langues inventées, mais tout est amené avec subtilité (c’est quelque chose que j’ai particulièrement apprécié : l’autrice ne nous prend jamais pour des imbéciles à qui il faudrait tout expliquer de A à Z et fait au contraire de nombreuses ellipses). Faite d’intrigues politiques, d’observations sociologiques et de réflexions philosophiques, l’histoire qui nous est racontée est aussi pleine de suspense, d’aventure et d’inventivité, avec une grande clairvoyance sur le genre humain.

Une idée de génie en particulier fait de ce roman un sujet d’études pour la littérature LGBTQ+ : Sur Géthen, les êtres humains sont hermaphrodites 3 semaines sur 4. La 4e semaine les voit évoluer sexuellement vers une forme féminine ou masculine, sachant qu’un même être peut adopter ces deux formes indifféremment au cours de sa vie. Un être humain peut donc devenir père ou mère et même être les deux ! Voilà qui donne bien sûr matière à réflexion : le Terrien se demande par exemple si les Géthéniens ne connaissent pas la guerre justement parce que leurs instincts sexuels sont en sommeil la plupart du temps tandis que les Géthéniens sont méfiants envers cet être qu’ils jugent pervers car soumis en permanence à des pulsions sexuelles. Sans parler des traits de caractère attribués à un genre : ils peuvent difficilement avoir cours quand tout le monde passe de l’un à l’autre. Les implications sont assez vertigineuses !

« Si quiconque, de 17 jusque vers 35 ans, peut toujours, suivant l’expression de Nim, « être cloué par une grossesse », il en résulte que personne ici ne peut être « cloué » aussi radicalement que les femmes ont des chances de l’être ailleurs – psychiquement ou physiquement. Servitude et privilège sont répartis assez équitablement ; chacun a le même risque à courir ou le même choix à faire. »

Cette question traverse le roman mais celui-ci est bien plus vaste et je ne voudrais pas trop en dévoiler. Sachez juste qu’Ursula K. Le Guin est une formidable conteuse. Son œuvre, par ses thèmes comme par son écriture merveilleusement évocatrice, devrait pouvoir réconcilier bien des sceptiques avec la science-fiction.

Mise à jour du 10 mars 2024 : Anne-Yes, la gagnante de mon petit concours, a beaucoup aimé elle aussi. Sa chronique est à lire ici.

PS : Si vous voulez en savoir plus sur l’importance de ce roman, je vous conseille l’émission de France culture consacrée à La main gauche de la nuit dans la série Les romans qui ont changé le monde (l’une des intervenantes n’était autre que Catherine Dufour, l’autrice – entre autres – d’Arithmétique de la misère).