Éditions Nevicata
30 ans après le génocide commis au Rwanda, Fabienne nous invite à lire sur ce pays jusqu’au 15 juillet. Rwanda : Mille collines, mille douleurs m’a permis de mieux comprendre ce qui a pu conduire à ce génocide, mais aussi ce qu’était le Rwanda avant 1994 et ce qu’il est devenu depuis.
En explorant le catalogue de ma médiathèque pour participer à ce rendez-vous, j’ai eu la surprise de constater qu’une grande partie des ouvrages proposés sur le Rwanda étaient en fait des guides de voyage. J’ignorais que le pays était devenu une destination touristique prisée. De toute évidence, les magnifiques paysages de collines et les gorilles des montagnes font recette.
Avec leur collection L’âme des peuples, les Éditions Nevicata veulent « décoder les ressorts profonds d’un pays, d’une région ou d’une ville. » Mission accomplie avec ce petit opus paru en 2014, à la fois concis et complet. C’est la journaliste belge Colette Braeckmann qui nous sert de guide. Deux entretiens très intéressants complètent son récit, l’un avec l’historien français Jean-Pierre Chrétien et l’autre avec l’écrivain rwandais Dorcy Rugamba.
Au cours de ses nombreux voyages et reportages au Rwanda, Colette Braeckman a découvert l’histoire ancestrale du pays qu’elle retrace ici et elle analyse pour nous la division qui s’est progressivement produite au sein du peuple rwandais, en particulier sous l’influence des colons belges. Si elle a bien perçu des tensions et divers indices faisant craindre un basculement, son ampleur et sa violence sans limite l’ont surprise comme le reste du monde.
« Fin mars 1994, mes craintes devaient se confirmer à l’occasion d’un colloque sur « l’objectivité dans la presse » organisé par l’ambassade de Belgique à Kigali. Des journalistes de la Radio des Mille collines, ou de Radio Rwanda y furent accusés de lancer des appels à la haine. En fin de journée, les journalistes proches des autorités s’attardèrent volontiers pour partager « le verre de l’amitié ». Mais les autres, proches de l’opposition, se pressèrent de rentrer chez eux, assurant que « tout pouvait arriver, à tout moment… ». Avant la fin du colloque, André Kameya, un confrère tutsi, me proposa de prendre une dernière bière. « On ne se verra plus. Bientôt nous serons tués… », m’expliqua-t-il. Huit jours plus tard, André figurerait parmi les premières victimes. »
Elle rappelle avec une grande clarté l’enchaînement des faits et met en lumière les manquements et l’aveuglement de la communauté internationale. Si vous avez déjà lu à propos du génocide, vous savez à quel point le récit des événements est insoutenable. C’est souvent ce qui m’a empêchée d’aller au bout de certaines lectures (ça, et une grande complexité des enjeux politiques). Ici, j’ai réussi à supporter les quelques faits racontés plus en détail car chaque fois que l’autrice évoque un exemple précis, on peut se raccrocher – pour dépasser l’horreur, en quelque sorte – à l’analyse qu’elle en fait. Et la partie consacrée au génocide en lui-même ne représente pas plus d’un tiers du livre.
En fin d’ouvrage, Colette Braeckman relève les nombreux points positifs de l’évolution du pays depuis la fin de la guerre. C’était l’une des questions qui me taraudaient : Comment vit-on aujourd’hui dans ce pays où les victimes ont été massacrées par des voisins que les survivants ont ensuite dû côtoyer au quotidien ?
Le Rwanda est devenu sûr, ouvert sur le monde et est considéré comme un modèle en matière d’égalité homme-femme. La journaliste n’occulte cependant pas le revers de la médaille : des traumatismes qui se répercutent dans les foyers, une sécurité et une surveillance omniprésentes, un régime mené d’une main de fer où la contestation n’est pas possible et qui balaie brutalement des modes de vie traditionnels.
« Durant des années, avril, mai et juin, les mois du génocide de 1994, furent des printemps terribles. Dans les écoles, des enfants piquaient soudain des crises de terreur. Les enseignants eux-mêmes, revivant soudain l’horreur, se mettaient à hurler. Le directeur, impuissant, appelait au secours. Aujourd’hui, plus rien n’apparaît en public. Mais les blessures sont toujours là. À vif. Dans le secret des familles. Les époux se disputent. Les parents frappent leurs enfants. Ceux qui le peuvent s’enivrent avec des alcools bon marché obtenus en fraude. »
Prétendre connaître l’âme d’un peuple serait bien téméraire. Dans le cas du Rwanda, ce serait sans doute encore plus risqué. Colette Braeckman en est bien consciente et ça me la rend éminemment sympathique :
« Mais si, de nos jours encore, je retourne au Rwanda autant que possible, c’est aussi parce que plus j’y vais, plus je sais que je ne sais rien. L’âme de ce pays m’échappe, sa vérité m’est dissimulée. Malgré les années, les amitiés qui se sont nouées, mes interlocuteurs se dérobent ou tiennent des propos convenus. Les serveurs des restaurants nettoient très lentement les tables pour qu’aucun mot des conversations ne leur échappe. Un ami qui s’était rendu au Rwanda pour enregistrer des témoignages de femmes survivantes du génocide s’est vu dépouillé, dans sa chambre d’hôtel, de tous ses enregistrements. Les chauffeurs de taxi sont interrogés sur les destinations et les contacts de leurs clients. Une loi autorise les services de police à prendre connaissance des communications électroniques. »
Que dire de plus ? Tout simplement que si vous ne deviez lire qu’un livre sur le sujet, Rwanda : Mille collines, mille douleurs (récemment réédité sous le titre Rwanda : La revanche des mille collines) serait un excellent choix.
PS : Le Mémorial de la Shoah travaille aussi sur le génocide de 1994 au Rwanda. On peut trouver sur son site une foule d’informations et de témoignages, notamment ceux de Gaël Faye et de Ginette Kolinka. Le 30 juin, une rencontre y sera aussi organisée à propos des convois humanitaires, en présence de l’écrivaine Beata Umubyeyi Mairesse et d’autres enfants rescapés, ainsi que de Deanna Cavadini, humanitaire, et Fergal Keane, journaliste. Il sera possible de la suivre en direct sur les comptes Facebook, Youtube et X du Mémorial.
33 réponses sur « Rwanda : Mille collines, mille douleurs – Colette Braeckman »
J’ai très peu lu sur le Rwanda…comme s’il était toujours tabou d’en parler. Malheureusement ce titre n’est pas dans ma médiathèque en ville…donc je sais par avance qu’il ne sera pas dans ma petite bibliothèque locale. Je ne peux pas participer à cette invitation à lire sur ce sujet (le temps est trop court pour moi) mais j’irai sur le site de la blogueuse emprunter des idées de lectures.
La France a eu un rôle peu glorieux et très controversé qui n’a pas aidé. Il y a quand même eu des romans grâce à Scholastique Mukasonga, Jean Hatzfeld et plus récemment Gaël Faye et Beata Umubyeyi Mairesse, mais ce qui s’est passé est tellement atroce que lire à son sujet est difficile.
Tu as déniché là un ouvrage vraiment intéressant ! J’ignorais moi aussi que le Rwanda était devenu une destination touristique… mais il paraît que c’est un très beau pays.
J’ai eu de la chance que ma bibliothèque le propose (en e-book cependant). Il est vraiment accessible et intelligent, je trouve.
Et le Rwanda a l’air en effet superbe. Le film Gorilles dans la brume y a d’ailleurs été partiellement tourné. Le paysage est cependant en train de changer sous l’influence de réformes agraires et d’une urbanisation grandissante.
Un pays sûr pour ceux qui ne font pas de vague, semble t’il. Le Mémorial de la shoah propose généralement des programmes fort intéressants.
Exactement. Le pays est tenu fermement, pour éviter de nouveaux drames mais aussi pour assurer le maintien du pouvoir en place.
Je note le très beau nom de cette collection,.
Elle propose des dizaines de titres aussi bien sur des pays étrangers que sur des villes françaises. Avant ou après un séjour, c’est sûrement un bon moyen pour mieux comprendre certains comportements ou fonctionnements.
Un ouvrage qui m’apparaît vraiment intéressant. Merci pour cette présentation!
Il est vite lu mais très instructif!
C’est vrai que c’est un sujet très dur. Pour ma part, je l’ai abordé à travers le livre de Beata Umubyeyi Mairesse qui est le récit d’un sauvetage d’enfants. du coup, c’est moins lourd.
J’avais envie de tenter de la non-fiction pour comprendre l’enchaînement des faits. Mais le témoignage de Beata Umubyei Mairesse m’intéresse beaucoup aussi.
Je n’ai jamais rien lu sur ce pays alors merci pour cette référence qui semble un bon moyen d’y remédier.
J’ai aimé découvrir l’histoire du pays avec l’empire qui a précédé sa colonisation. Et mieux comprendre comment le pays avait basculé puis retrouvé une normalité (en apparence tout au moins). En une centaine de pages, l’autrice fait bien le tour du sujet. Libre à chacun(e) de creuser davantage tel ou tel aspect s’il/elle le souhaite, mais on sait l’essentiel.
Ça fait plaisir de voir qu’en 30 ans, l’évolution de la situation au Rwanda est tout de même positive, mais effectivement, on imagine bien que les blessures sont encore profondes et qu’un passé aussi douloureux ne s’efface pas comme ça. Une lecture très tentante ! Je vais voir si ma bibli l’a.
Oui il y a du mieux, grâce notamment aux tribunaux « coutumiers » qui ont permis d’éviter des représailles, également prohibées par le nouveau gouvernement. J’ai aussi noté avec intérêt que pour se distancer de ce passé et des anciennes influences, l’anglais a remplacé le français dans le pays comme langue internationale. La langue, c’est aussi politique !
j’ai déjà lu quelques livres sur ce ce pays, et je suis restée sans voix sur la violence du génocide, certes les pays étrangers dont la France et plus anciennement la Belgique ont joué une rôle mais cela n’explique pas pour moi, cette envie subite de tuer à la machette toutes les Tutsi avec si peu de Hutus qui ont essayé ne serait-ce qu’essayer de sauver leurs voisins .
On comprend mieux avec ce livre que ce n’est pas une envie subite justement, même si les horreurs commises restent inconcevables, tu as raison.
Je ne vais pas le lire, je ne supporte plus les massacres, mais ton article est très intéressant et plus optimiste que je ne m’y attendais, orienté vers un « après » qui semble possible. Dans unn sens, je suis contente de t’avoir lue.
Je te comprends ! Cet après est bel et bien là, mais il se fait à marche forcée et sous la poigne d’un même président depuis 24 ans (et il n’a que 66 ans, autant dire qu’il peut rester au pouvoir encore longtemps). La vie n’est pas parfaite au Rwanda et qui sait comment tourneront les choses en cas d’alternance politique ?
Je suis vraiment ravie de lire que cette deuxième tentative de lecture a été plus fructueuse que la première 😃 On dirait que tu as déniché là une lecture vraiment intéressante qui va droit à l’essentiel et présente en peu de pages les tenants et aboutissants d’une immense tragédie dont les racines remontent à plusieurs décennies avant le génocide. Une bonne entrée en matière pour qui souhaite s’informer sur le sujet! La question de la justice internationale, encore lacunaire, et de l’impunité, reste à ce jour encore un problème majeur, même si les gataca, les « tribunaux traditionnels », ont joué un rôle non négligeable dans la condamnation de certains tortionnaires. Aujourd’hui en France, comme dans d’autres pays européens ou encore en Amérique du Nord, vivent des génocidaires qui n’ont jamais été inquiétés. Une situation difficilement supportable, la reconnaissance des crimes et la condamnation des bourreaux étant absolument essentielle autant dans le processus de reconstruction individuel que dans celui de la réconciliation nationale. Enfin, en ce qui concerne la situation actuelle du Rwanda, ma première lecture pour ce rendez-vous autour du Rwanda (Rwanda, Assassins sans frontières) a explicité en profondeur les enjeux politiques en cours depuis la fin du génocide. Mon prochain billet sur le sujet (que je n’ai finalement pas eu le temps de publier hier comme prévu) reviendra d’ailleurs indirectement sur le sujet des opposante politiques. Sur ce, j’arrête là mon roman 😅 Merci beaucoup pour ta participation!
Colette Braeckman évoque les tribunaux traditionnels en soulignant leur efficacité, mais elle n’est pas entrée dans le détail du travail du TPIR ni de certains tribunaux étrangers qui ont jugé des « orchestrateurs » du massacre, ni ceux qui ont échappé à la justice (bien trop nombreux, c’est certain!). Ce livre est en effet une excellente entrée en matière pour découvrir le Rwanda et son histoire. Sans être un livre sur le génocide, il ne peut évidemment pas faire l’impasse sur sa genèse et ses conséquences. Mais pour approfondir, il faut se tourner vers des ouvrages plus spécifiques et plus complets.
PS. Je rebondis sur l’une de tes réponses 3a un commentaire : la question de la langue en tant que vecteur politique est une question extrêmement intéressante. L’importance de la langue, dans sa dimension physiologique mais également dans une dimension plus engagée, est une thématique chère à Beata Umubyeyi Mairesse qu’elle aborde différemment dans ses deux romans, Tous tes enfants dispersés et Consolée.
Dans Consolée, j’ai été frappée moi aussi par la question de la langue maternelle vs langue acquise. Colette Braeckman parle elle de la sémantique utilisée pendant le génocide, les tueurs n’allant pas « tuer » ou » massacrer » mais « travailler » par exemple.
La sémantique utilisée était en effet particulière et glaçante. Le mot « travailler » revient souvent et pire encore, travailler « entre 9h et 17h », comme s’ils partaient au bureau! « Couper » est un mot qui revient toujours également. Et puis toute la rhétorique très imagée utilisée par la radio dea Mille Collines et les appels à la haine et au meurtre… Effrayant.
Entendre parler de « bon travail » est abominable et c’était pratiqué selon des horaires de bureau comme s’il y avait une logique derrière ces meurtres de masse.
Je ne savais pas en effet que c’était devenu un lieu de tourisme. J’ai le souvenir de ces horribles massacres.
Il faut dire que les paysages ont l’air magnifiques, avec les fameuses mille collines, sa faune et sa flore tropicales. Mais je crois que je ne pourrai pas me balader au milieu d’anciens bourreaux et victimes…
bonjour, comment vas tu? en effet, je me souviens de ces horreurs. passe un bon jeudi et à bientôt!
Ca fait tout juste trente ans, c’est fou…
Merci pour ce conseil de lecture qui, on le sent bien, t’a bouleversée. Je n’ai lu que Petit Pays sur le sujet mais je me suis pas mal documentée à cette occasion.
Petit pays a beaucoup aidé à faire parler du génocide, notamment auprès du public plus jeune (il est étudié au collège ou en seconde me semble-t-il).