Catégories
Biélorussie Romans

Un fils perdu – Sacha Filipenko

Traduction du russe par Philie Arnoux et Paul Lequesne – Éditions Noir sur Blanc

Sacha Filipenko est un jeune auteur biélorusse (ou belarusse) d’expression russe qui vit aujourd’hui en exil, contraint de déménager sans cesse pour échapper aux foudres du pouvoir de son pays. Rien d’étonnant à cela : Un fils perdu est une satire politique qui dénonce avec férocité la léthargie dans laquelle est plongée la Biélorussie (qu’il ne nomme jamais) depuis l’arrivée au pouvoir de son président en 1994, c’est-à-dire depuis bientôt 30 ans (!).

Tout commence de manière pourtant assez potache : Francysk, 16 ans, néglige ses études de violoncelle et ne pense qu’à jouer au foot dans la cour ou à retrouver sa bande de copains. Sacha Filipenko s’inspire ensuite d’une tragédie bien réelle, un mouvement de foule dans un souterrain de métro à Minsk qui a fait 54 morts et 300 blessés environ en 1999. Victime de cette abominable bousculade, Francysk tombe dans un coma qui durera 10 ans.

Cette première partie du roman est en réalité la plus longue, contrairement à ce que laisse penser le résumé de la maison d’édition. Elle est portée par l’incroyable Elvira Alexandrovna, véritable grand-mère courage qui ne perdra jamais l’espoir que Francysk se réveille. Tout le temps de son inconscience, elle parle à son petit-fils de son quotidien, de ce qui se passe dans le pays, déambule avec lui dans leur ville par la seule force de l’imagination. Et c’est ainsi que nous voyons la vie en Biélorussie à travers son regard acéré et plein d’ironie. C’est passionnant, émouvant et désespérant à la fois.

La plume de Sacha Filipenko est mordante et assez addictive. Mais il y a aussi quelques longueurs dans son récit et des références qui m’ont un peu échappé au début. Je n’ai vu que tardivement les notes de la traductrice de l’édition allemande ajoutées à la fin du roman. Celles-ci donnent d’utiles renseignements qui facilitent la compréhension et même si j’aurais apprécié de les lire plus tôt, elles étaient toujours bienvenues à la fin du roman. Mon conseil : N’hésitez pas à vous y référer en cours de lecture.

La deuxième partie d’Un fils perdu est, comme le laisse présager le titre, très désabusée. Car quand Francysk se réveille au bout d’une décennie, il doit bien constater que les rares choses qui ont changé sont loin d’être des améliorations. Va-t-il réussir à s’adapter ? L’amour sera-t-il une échappatoire ? Pour le savoir, rendez-vous dans une librairie ou une bibliothèque bien achalandée !

Image par Juuud28 de Pixabay

Dans ce roman, achevé d’écrire en 2012 et traduit en français en 2022, Sacha Filipenko rêvait de protestations massives du peuple contre le régime en place, un soulèvement qu’il imaginait être aussitôt durement réprimé. L’Histoire lui a donné raison puisqu’en 2020 et 2021, les Biélorusses ont manifesté en nombre et fait grève lors de ce qu’on a appelé « la révolution des pantoufles » ou « la révolution anti-cafard ». En vain à ce jour. La principale opposante au régime, Svetlana Tikhanovskaïa, vit d’ailleurs elle aussi toujours en exil.

PS : Un autre avis enthousiaste est à lire ici : https://jelisjeblogue.blogspot.com/2022/06/un-fils-perdu-sacha-filipenko.html?m=1

Catégories
Littérature jeunesse

Ronya, fille de brigand – Astrid Lindgren

Traduction du suédois par Agneta Segol & Brigitte Duval – Livre de poche jeunesse

Astrid Lindgren est bien entendu connue avant tout pour ses séries Fifi Brin d’acier et Zozo la tornade. Pourtant, cette prolifique autrice jeunesse suédoise a signé d’autres œuvres lues par des générations d’enfants dans toute l’Europe. Ronya, fille de brigand a bercé mon enfance et j’ai relu ce roman jeunesse avec gourmandise pour les Classiques fantastiques. Comme il se doit en ce mois de rentrée scolaire, la littérature jeunesse est en effet à l’honneur de ce rendez-vous orchestré par Moka et Fanny.

Après vérification, Ronya, fille de brigand a paru en Suède en 1981 et en France en 1984, il y a donc près de quarante ans et il me semble bien que l’on parler de classique à son sujet. On est ici dans un roman de fantasy médiévale : les brigands vivent dans un vieux château, détroussent des marchands qui voyagent à cheval, et la forêt qui les entoure est peuplée d’elfes griffus, de nains gris, de trolls, de souterriens ou encore de pataudgrins.

Ronya est la fille de Mattis, bouillonnant chef d’une douzaine de voleurs de grand chemin qui n’en est pas moins un papa complètement gâteau. Le jour où la bande rivale menée par Roka s’installe à ses portes, il veut en découdre mais doit faire face à la rébellion de sa fille qui s’est liée d’amitié avec le fils de son meilleur ennemi.

Couverture de 1984

J’ai retrouvé tout le plaisir de ma lecture d’enfant : la nature est somptueuse mais dangereuse, les brigands sont plus comiques qu’inquiétants, les enfants bien plus réfléchis que les adultes (en particulier que les hommes) et extrêmement débrouillards. Cela vaut mieux quand on voit les conseils que donne Mattis à sa fille avant qu’elle ne parte à l’aventure dans la forêt (on est loin des « parents hélicoptères » !) :

– Méfie-toi des elfes griffus, des nains gris et des brigands de Roka, dit-il. – Comment pourrais-je reconnaître les elfes griffus, les nains gris et les brigands de Roka ? demanda Ronya. – Tu le découvriras, dit Mattis. – Ah ! bon, dit Ronya. – Prends garde de ne pas te perdre dans la forêt, ajouta Matthis. – Qu’est-ce que je fais si je me perds dans la forêt ? demanda Ronya. – Tu cherches ton chemin, répondit Mattis. – Ah ! bon, dit Ronya. – Prends garde de ne pas tomber dans la rivière. – Qu’est-ce que je fais si je tombe dans la rivière ? – Tu nages. – Ah ! bon, dit Ronya.
Couverture de 2002

En relisant ce roman toujours aussi enchanteur, j’ai pu mieux comprendre ce qui m’avait tant plu « à l’époque » : la nature y est célébrée à chaque instant et de manière très poétique. L’humour est également très présent, tout comme l’émotion. La peur de la nuit et des créatures qui peuplent la forêt, le chagrin né de l’incompréhension entre des parents et des enfants qui s’adorent pourtant, la perte d’un être cher ou le poids de la solitude sont abordés avec intelligence et une grande douceur.

Le printemps éclata comme un cri de joie au-dessus des forêts qui entouraient le château de Mattis. La neige fondue ruisselait sur les flancs de la montagne, avant de se mêler aux flots de la rivière. Et la rivière, gagnée par toute cette ivresse printanière, rugissait, écumait et chantait un hymne endiablé au printemps, dans le tumulte des torrents. Sa chanson ne s’arrêtait jamais.

Ronya, fille de brigand est un formidable récit d’aventure, d’apprentissage et d’amitié intemporel, et ce n’est pas Nathalie qui dira le contraire. À lire et relire à tout âge, dès 8 ans.

PS : Astrid Lindgren étant suédoise, elle me permet une fois de plus de participer au challenge organisé par Céline pour faire découvrir toute la diversité de la littérature nordique.

Catégories
Romans Suède

Et la forêt brûlera sous nos pas – Jens Liljestrand

Traduction du suédois par Anna Postel – Éditions Autrement

Ce roman résonne singulièrement alors que s’achève l’été le plus chaud qu’ait connu la France. Si vous souffrez d’éco-anxiété aiguë, mieux vaut sans doute passer votre chemin. Car à partir de l’expérience de quelques protagonistes pendant des méga-feux, Jens Liljestrand nous fait vivre de l’intérieur ces catastrophes naturelles qui se multiplient depuis plusieurs années. Avec ce roman fiévreux et haletant, il nous alerte sur la bombe à retardement humaine et sociale que la crise climatique représente.

Au cinéma, on parlerait de « film catastrophe », avec tout ce que cela suppose de suspense. On pourrait se croire dans une dystopie, mais c’est bien de notre époque qu’il s’agit et l’auteur n’a pas vraiment besoin d’imagination pour décrire les réactions que provoquent la peur, la faim, le besoin de protéger sa famille, bref l’instinct de survie ou encore la colère face à l’inertie des responsables politiques devant le réchauffement climatique. L’Histoire nous a malheureusement assez prouvé de quoi les humains sont capables dans ce genre de circonstances. Et c’est sans doute cet aspect que nous n’avons pas encore assez anticipé quand nous parlons des conséquences du changement climatique. Jens Liljestrand se charge ici, de manière magistrale, de nous ouvrir les yeux à ce sujet.

C’est en effet un tableau sans concession que l’auteur brosse de la société suédoise (et occidentale en général). Ses personnages ont tous leurs forces et leurs failles, certain(e)s sont touchant(e)s, d’autres plutôt agaçant(e)s, voire inquiétant(e)s. On a ainsi un communicant aux idées écolo qui ne vit pas toujours en accord avec ses valeurs et dont le couple traverse une crise majeure ; son ancienne maîtresse, influenceuse anti-éco-anxiété accro à l’oxycodone ; le fils désœuvré d’une ancienne gloire internationale du tennis qui vit ce qu’Alain Souchon appellerait l’« ultra-moderne solitude » ; et enfin une adolescente adepte de la fast fashion qui fera preuve de ressources insoupçonnées.

Cette variété de points de vue permet de révéler les divisions de nos sociétés face aux effets du changement climatique et aux situations de crises en général. Roman apocalyptique aux portraits psychologiques d’une grande justesse, La forêt brûlera sous nos pas est un véritable thriller social. Ouvertement militant, il garde l’espoir que nous saurons nous montrer à la hauteur de l’enjeu et sauver ce qui pourra encore l’être, c’est-à-dire rester capables d’humanité.

Image par Darwin Laganzon de Pixabay

Pour découvrir d’autres romans du Nord de l’Europe, sur des sujets très variés, je vous recommande de faire un tour sur le blog de Céline qui a lancé un passionnant challenge « Auteurs scandinaves ».

Catégories
Canada Romans

Fleuve – Sylvie Drapeau

Collection Nomades – Léméac Éditeur

Le 12 août, Madame Lit a lancé son invitation annuelle à acheter un livre québécois, cette année sur le thème de l’eau. Parmi les belles propositions qu’elle a soumises, j’ai choisi Fleuve de Sylvie Drapeau et je ne l’ai pas regretté !

Je ne cours pourtant pas après l’autofiction, même si La place d’Annie Ernaux a été un choc et un éblouissement. D’ailleurs, je n’avais pas compris que c’était ce que j’allais lire en choisissant Fleuve (et si je l’avais su, j’aurais sans doute choisi un autre roman). Pourtant, comme avec Annie Ernaux, je me suis très vite identifiée d’abord à cette petite fille née dans une famille nombreuse, puis à cette jeune femme et enfin à cette mère et femme mûre. Je n’ai pas vécu tous les drames qui ont jalonné sa vie (et heureusement, ai-je envie de dire car sa « meute » n’a pas été épargnée !), mais bien des choses ont fait écho chez moi et me semblent pouvoir toucher une foule de gens.

J’ai aimé l’écriture sensible et solaire de Sylvie Drapeau. Elle sait merveilleusement exprimer l’innocence, l’enthousiasme mais aussi les terreurs de l’enfance.

Les rayons du soleil se faufilent jusqu’à nous. C’est vraiment magique ! Encore plus beau que tu nous l’avais dit. Nous sommes bouche bée, nous ne parlons plus, la bouche pleine de cerises, de merises géantes, je ne sais pas, je ne sais rien, je sais seulement que c’est bon, que je passerai le reste de ma vie à faire ça avec toi.

Avec le même talent, elle dévoile sans fard ses regrets, ses fragilités, ses limites aussi face aux tragédies qui l’ont frappée (la mort, la schizophrénie, sa propre dépression).

J’avais trop peur de toi. J’ai honte de te le dire : j’avais trop peur de toi. Peur que tu me fasses du mal, que tu m’aspires, que tu me détruises. Je n’étais pas assez forte, pas assez étanche, pour soutenir ta nouvelle présence près de moi. Je me savais planète fragile. Je n’étais pas fière de ça, tu penses bien.

Étonnamment, malgré ces sujets pour le moins lourds et poignants, Fleuve me laisse une impression lumineuse et apaisée. Merci encore à Nathalie pour cette jolie découverte.

Catégories
BD et romans graphiques

Entre ici et ailleurs – Vanyda

Éditions Dargaud

Après une rupture, Coralie, franco-asiatique de 28 ans, ressent le besoin d’explorer ses origines. Pour comprendre qui elle est, cette jeune femme va décortiquer son héritage d’enfant d’immigré. Un récit introspectif, un véritable condensé d’émotions tout en douceur. Une quête identitaire contemporaine légère et fraîche comme une brise. (Résumé de l’éditeur)

Quel plaisir d’accompagner Coralie pendant ces quelques mois où elle cherche à mieux comprendre qui elle est ! Vanyda nous raconte une histoire dans laquelle se reconnaîtront une foule de personnes entre deux cultures, entre deux pays, comme celles et ceux qui se posent des questions sur le chemin qu’a pris leur vie, le poids de leur filiation ou les barrières qu’on se met parfois tout(e) seul(e)…

Les rencontres que Coralie fait une fois qu’elle vit seule (pour la première fois de sa vie) l’amènent à poser un autre regard sur ses origines laotiennes et à explorer sa double culture. C’est notamment par sa découverte de la capoeira qu’elle s’ouvre aux autres et reprend confiance en elle. Ses nouvelles amitiés la conduiront jusqu’en Algérie, un voyage qui lui permettra de mieux comprendre son vécu de « biculturelle ».

Vanyda a opté pour des graphismes associant des codes du manga (mimiques typiques et choix du noir et blanc) à des traits plus classiques (pas de personnages aux yeux immenses par exemple et un sens de lecture « normal »). Cette jeune autrice a aussi signé Un petit goût de noisette que j’avais déjà trouvé très chouette. Mais je dois dire qu’Entre ici et ailleurs m’a encore plus touchée, et pourtant je ne suis pas entre deux cultures comme son héroïne.

Ce qui m’a particulièrement plu : le petit côté manga qui met de la légèreté même lorsque l’humeur de Coralie est très sombre, la jolie relation avec son frère, les liens d’amitié, la mise en lumière (sans s’appesantir) du racisme « ordinaire », mais aussi de phobies et de complexes qui peuvent toucher des gens qu’on aurait imaginés très à l’aise dans leurs baskets. Coralie est vulnérable et forte à la fois, ce qui fait d’elle une jeune femme très réelle, attachante et dont le parcours donne la pêche !

Catégories
Lectures audio

Quelques gourmandises pour bibliophiles

Série d’épisodes de l’émission Sans oser le demander (France culture)

L’an dernier, une de mes émissions radio préférées, Sans oser le demander, a consacré de nombreux épisodes à la littérature. J’ai tout particulièrement aimé la série sur notre façon d’aborder la lecture et le livre. De véritables gourmandises pour les oreilles des bibliophiles et bibliovores. Voyez plutôt :

Et vous, entendez-vous une petite voix quand vous lisez ?

Mais qui lit les notes de bas de page ?

Jugez-vous un livre d’après sa couverture ?

De Proust aux éditions Harlequin : et vous, que lisez-vous aux toilettes ?

A-t-on besoin des critiques pour savoir quoi lire ?

L’Alarmante, sculpture sonore de Jonas Delhaye

L’émission se veut grand public en abordant la littérature par ces interrogations a priori futiles, et il est vrai qu’elle est tout à fait accessible tout en nous apprenant une foule de choses. De nombreux autres épisodes parlent de littérature avec des questions aussi décomplexées et passionnantes que : Emma Bovary est-elle le personnage le plus bête de la littérature ? Littérature feel-good : pourquoi est-ce mal vu de se faire du bien ? Pourquoi lire Christine de Pizan, celle qui imaginait, au Moyen Âge, une cité sans hommes ? Connaissez-vous le roman le plus lu et le plus dangereux de la Chine ? Qui est Rumiko Takahashi, la mangaka plus lue au monde ?

Bref, il y en a pour tous les goûts. L’émission n’est hélas pas reconduite cette année, mais elle reste heureusement disponible en podcast. Bonne écoute !

Catégories
Allemagne Romans

Marzahn, mon amour – Katja Oskamp

Traduction de l’allemand par Valentin René-Jean – Éditions Zulma

Paru en 2021 en Allemagne, Marzahn, mon amour fait partie de la rentrée littéraire 2023 des éditions Zulma qui tapent une nouvelle fois dans le mille avec ce formidable petit livre.

Katja Oskamp est une autrice née en ex-Allemagne de l’Est. Au milieu de la quarantaine, cette période « où la rive que l’on a quittée n’est plus en vue et où la destination a tendance à se rapprocher bien trop vite » (citation libre car j’ai lu ce livre en VO et n’ai pas consulté sa traduction), elle constate qu’elle ne peut pas vivre de sa plume et décide d’exercer un tout autre métier.

Elle commence donc une formation où elle côtoie d’autres femmes elles aussi autour de la cinquantaine qui rencontrent des difficultés personnelles ou financières et entament une reconversion plus ou moins choisie. Katja Oskamp devient ainsi pédicure et c’est dans un salon de beauté du quartier berlinois de Marzahn qu’elle exerce, aux côtés d’une masseuse et d’une manucure. En plus d’un métier qui l’épanouit, elle trouve là une source d’inspiration pour d’émouvants portraits de gens simples, dignes, courageux ou exaspérants.

Le sous-titre allemand Histoires d’une pédicure, qui a disparu dans la version française, donne d’emblée le ton : Chaque chapitre nous présente un(e) autre client(e) dont Katja Oskamp ausculte et soigne les pieds, écoute les récits de vie, les récriminations, les confessions ou même les propositions indécentes. À Marzahn, les client(e)s du salon sont pour la plupart des personnages âgées qui vivent chichement dans les gigantesques immeubles en cages à lapin érigés dans les années 1980 par la RDA pour donner une image de modernité. On est loin du Berlin des clubs branchés qui attire la jeunesse.

Katja Oskamp lance ici un cri d’amour à ce quartier mal-aimé et à ses habitant(e)s. Elle nous livre un récit plein d’humanité et de tendresse. Difficile de rester insensible aux portraits du touchant M. Paulke, de Mme Noll (dont on aimerait pouvoir faire taire la fille une fois pour toutes !), de la fougueuse Mme Blumeier ou de Mme Bronkat, elle qui fut une « réfugiée de l’intérieur ». J’ai été très touchée par ces destins (pas si) banals qui nous font découvrir la vie au quotidien en ex-RDA et dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Et j’ai beaucoup souri aussi car Katja Oskamp a un indéniable sens de l’humour qu’elle sait parfaitement doser pour ne pas verser dans la sensiblerie. Autrement dit, c’est une lecture que je vous recommande chaudement !

PS : Le hasard a voulu que je chronique deux romans allemands en ce début septembre. Pas d’inquiétude : Je garde en réserve une ribambelle de titres pour le rendez-vous des Feuilles allemandes chez Eva & Patrice en novembre 😀

Catégories
Allemagne Romans

La huitième vie (pour Brilka) – Nino Haratischwili

Traduction de l’allemand par Monique Rival et Barbara Fontaine – Éditions Folio poche

Quel roman, quelle autrice (oui, Nino est une femme) et quelle traduction ! Ce livre est absolument ébouriffant. Porté par un souffle littéraire incroyable, il balaie plus d’un siècle d’histoire de la Géorgie et suit sur 5 générations les femmes de la famille Iachi (ainsi que quelques hommes). Si leurs destins sont bouleversés par les événements politiques comme par la violence ou la lâcheté des hommes ou leurs propres choix parfois hâtifs, elles se battent et résistent toutes à leur manière, pour le meilleur et pour le pire.

Dans cette saga familiale et historique, pas le moindre temps mort ni la moindre mièvrerie. Les relations entre les hommes et les femmes comme entre les parents et les enfants sont marquées par l’incompréhension, la révolte, le poids du silence, en miroir de la tension qui traverse la région du Caucase au fil des décennies.

Comme la Géorgie, l’écriture de Nino Haratischwili (d’origine géorgienne mais qui écrit en allemand) est au carrefour de ce que l’on pourrait appeler « l’âme russe » – je veux parler d’un souffle épique et tourmenté à la fois – et d’une douceur et d’une mélancolie qu’on pourrait attribuer à l’Orient. Elle a en tous cas emportée l’Européenne que je suis !

Tbilissi – Image par Kakha Mchedlidze de Pixabay

J’ai retrouvé dans ce roman des accents de La maison aux esprits d’Isabel Allende avec les fantômes que Stasia, l’arrière-grand-mère, voit régulièrement dans son jardin ou encore avec le Chocolat chaud qui serait à l’origine de la malédiction familiale. Il a aussi fait écho chez moi au film, bouleversant et très puissant sorti cet été, Les filles d’Olfa. Il y est en effet question du cycle infernal de la violence qui se répète de génération en génération : violence des hommes, mais aussi des mères envers leurs filles, violences sociales et politiques, violences physiques et psychologiques. Comme dans le documentaire de Kaouther Ben Hania, La huitième vie s’achève sur l’espoir que la jeune génération brisera ce cercle vicieux. En connaissant son histoire familiale, elle saura peut-être enfin s’en libérer grâce à la parole et à l’écriture.

Sois tout ce que nous avons été et n’avons pas été. Sois lieutenant, funambule, pianiste, amante, mère, infirmière, écrivain, sois rouge et blanche, et bleue, sois le chaos et sois le ciel, sois eux et sois moi, et ne sois rien de tout cela, danse surtout d’innombrables pas de deux.
Passe à travers cette histoire, laisse-la derrière toi.

S’il entre incontestablement dans les catégories des Pavés de l’été (chez Sibylline) et des Épais de l’été (challenge organisé par tad loi du cine) avec ses 1189 pages, La huitième vie fait surtout partie des romans qu’on dévore et dont les personnages vous suivent longtemps. C’est à coup sûr un de mes coups de cœur de l’année. D’autres avis chez Sunalee et Livr’escapades.

PS : Je vous recommande le documentaire La Géorgie ne m’a jamais quittée consacré à Nino Haratischwili disponible sur Arte.tv. Attention : Il donne très envie de lire le prochain roman de Nino Haratischwili (pas encore traduit en français) et de voyager en Géorgie !