Catégories
France Romans

Les nuits d’été – Thomas Flahaut

Éditions de l’Olivier

Travailler comme opérateur en usine ou en tant qu’agent de sécurité, faire des saisons de cueillette ou dans des stations de ski … Ces emplois ont tous en commun leur coût physique, leur précarité et leur faible statut social. Ils sont au cœur du roman de Thomas Flahaut, jeune auteur français installé en Suisse, que j’ai lu avec Eva dont vous retrouverez l’avis sur son blog Et si on bouquinait un peu.

Pour Thomas, cet été à Lacombe est le premier tandis que Mehdi a déjà plusieurs missions estivales dans cette usine suisse à son actif. Louise, la sœur de Thomas, fait des études de sociologie et s’apprête à rédiger une thèse sur les frontaliers français qui travaillent de l’autre côté de la frontière. Tous trois ont grandi dans le même quartier et leurs pères ont eux aussi travaillé à Lacombe, avec des fins de carrière très différentes cependant. On les accompagne le temps d’un été caniculaire entre travail sur machine et dans les champs, fermeture d’usine, fêtes improvisées et conflits avec les parents qui aimeraient voir leurs enfants faire «  mieux qu’eux ».


« Moi, j’ai essayé de sortir du trou où j’étais né. Je suis parti. J’ai trouvé un travail en Suisse. C’était dur, mais je me suis dit que l’argent serait une compensation. J’ai pensé qu’avec cet argent, je pouvais vous offrir de ne pas échouer. Je vous ai peut-être trop mis la pression. Parce que aujourd’hui, je n’aime pas la façon que vous avez de me regarder. Je crois qu’il n’y a que de la colère entre nous. J’ai parfois été en colère contre toi parce que je te trouvais prétentieux. Ce n’est pas bien. J’étais triste quand tu es allé à l’usine. J’étais fier de toi aussi. Mais j’essayais de ne pas te montrer que j’étais fier. »

J’ai trouvé ce roman très juste. Pour moi, l’auteur a su capter le manque de perspectives des jeunes en zone rurale ou périurbaine, avec en plus ici le fossé entre les Suisses, mais aussi les frontaliers aisés d’un côté, et les classes plus populaires et plus précaires de l’autre. Si la relation entre Mehdi et Louise apporte un peu de lumière dans ces Nuits d’été, le propos reste sombre. Avec une écriture sans fioriture et malgré quelques notes plus optimistes, Thomas Flahaut livre donc un roman désenchanté et une radioscopie précieuse d’une génération pour laquelle l’ascenseur social ne fonctionne souvent plus et qui doit se chercher un ailleurs.


« D’ailleurs, une fois, j’ai pensé à ce que ça pouvait signifier, ce mot, opérateur. Un ouvrier, ça fait une œuvre. Ça sait ce que ça fait, même si son boulot est chiant, que c’est que des petits gestes paramétrés à l’avance. Et puis, ça signifiait autre chose encore, à une autre époque. Ça signifiait un monde et une fierté. Quand t’es opérateur, tu fais des opérations. C’est tout. Tu vaux moins que la machine, t’es pas fier. Y a pas de monde non plus. Tu te fais pas d’amis parmi les collègues intérimaires parce que tout le monde change tout le temps de boîte. Et les fixes, ils te regardent de haut. Tout ce qui fait te tenir, quand tu bosses en Suisse, c’est l’argent. Les ouvriers ont de la loyauté envers leur usine. Moi, je suis opérateur intérimaire et je suis loyal envers l’argent. »

Retrouvez d’autres lectures sur les mondes du travail chez Ingannmic !
Catégories
Pays-Bas Romans

Là-haut, tout est calme – Gerbrand Bakker

Traduction du néerlandais par Bertrand Abraham – Folio poche

Me voici de retour aux Pays-Bas avec un 2e roman de Gerbrand Bakker, que j’ai choisi comme « auteur chouchou » à l’occasion du challenge proposé par Géraldine. Le principe est simple : explorer la bibliographie d’un auteur dont le talent nous a tout particulièrement enthousiasmé. C’était indéniablement le cas avec Parce que les fleurs sont blanches, merveilleux roman découvert lors de sa lecture commune et qui a d’ailleurs fait l’unanimité chez les participantes. Plusieurs blogueuses m’ont alors recommandé Là-haut, tout est calme du même auteur. Mon choix s’est donc très vite porté sur ce roman pour la suite de mes découvertes bakkeresques.

Cette fois encore, il est question de jumeaux chez Gerbrand Bakker : pour Helmer, son frère Henk et lui sont indissociables, au point de ne former parfois qu’un seul corps. Lorsque Henk rencontre Riet et en tombe amoureux, Helmer doit cependant se rendre à l’évidence : ils ont et sont bel et bien deux personnalités distinctes. Révélation d’autant plus douloureuse que Henk meurt très jeune, ce qui oblige en outre Helmer à interrompre ses études pour travailler dans la ferme familiale.

C’est 35 ans plus tard que l’on suit Helmer. Sa mère est morte depuis quelques années et son père est grabataire. Les seules personnes que côtoie Henk sont les collecteurs de lait, le vétérinaire, le marchand de bestiaux, sa voisine Ada et les enfants de celles-ci. Une vie de labeur et de solitude que Helmer semble soudain prêt à bousculer. Il commence par installer son père dans une autre chambre, à changer le mobilier, repeindre les murs mais aussi vendre quelques brebis. Et puis c’est Riet qui le contacte et lui demande un service inattendu.

En réalité, il se passe peu de choses, ou plutôt des choses a priori insignifiantes mais qui sont au contraire chargées de sens, de souvenirs et d’émotions contenues ou annonciatrices de bouleversements possibles. Le rythme est lent, l’action pour ainsi dire inexistante, Helmer n’est pas vraiment attachant et pourtant, je ne me suis pas ennuyée et j’ai apprécié ce roman qui porte une réflexion à la fois subtile et marquante sur le sens de nos vies.

Car cette fois encore, Gerbrand Bakker fait preuve d’une grande délicatesse et d’une sensibilité pénétrante. Même si ce n’est qu’un aspect du roman, j’ai notamment le sentiment d’avoir pu toucher du doigt la spécificité des liens qui unissent des jumeaux et ce qu’elle a d’étrange pour les autres. La campagne hollandaise avec ses polders, ses watergangs et ses moulins de drainage est également très présente et la couverture du livre est d’ailleurs parfaitement choisie. Il faut laisser le charme agir, comme nous le disait une vieille publicité, ce roman pouvant être un peu déconcertant. Je n’ai pas eu le coup de cœur ressenti pour Parce que les fleurs sont blanches, mais Là-haut, tout est calme fait partie de ces romans qui, l’air de rien, vous restent en tête.

J’ai hâte de lire les autres opus de ce remarquable auteur, à commencer par Le détour qui pourrait faire l’objet d’une lecture commune à l’automne car quelques blogueuses se sont déjà dites intéressées 😉. Un roman historique m’attend aussi. Bref, j’ai encore de belles heures de lecture néerlandaise devant moi !

Les avis de Keisha, Dasola, Aifelle et Eva vous en diront plus.

PS : En plus des jumeaux qui apparaissaient déjà dans Parce que les fleurs sont blanches, j’ai remarqué que l’auteur avait une prédilection pour la couleur qu’il appelle « bleu morve » puisqu’elle se retrouve dans les deux romans que j’ai lus de lui 😅. Je suis curieuse de voir si je la recroise dans le reste de son œuvre…

Catégories
Espagne Romans

Le théâtre des merveilles – Lluís Llach

Traduction du catalan par Serge Mestre – Éditions Actes Sud (Babel)

Bienvenue au Maravillas, le Théâtre des merveilles ! Dans les années 1930, sur la célèbre avenue Paral.lel de Barcelone, ce théâtre de cabaret abrite une troupe hétéroclite et chaleureuse, une véritable famille pour Mireia qui y vit avec son frère Lluís. Contrainte à l’exil par la victoire des fascistes, Mireia aura un fils unique et sans père, Roger, qui deviendra l’un des plus célèbres barytons de son temps.

Il y a du souffle, de la magie et de l’humour chez Lluís LLach. C’est bien simple : dès les premières pages, j’ai été totalement embarquée dans la vie de ce théâtre. On a très vite le sentiment de faire partie de la famille du Maravillas, et découvrir toutes les coulisses de la vie d’un grand cabaret s’avère passionnant. Du travail des machinistes à la création musicale et chorégraphique à l’art du placement, du soufflage et de la claque, on est au cœur de la machine telle qu’elle existait avant le tout électronique et numérique.

L’insouciance laisse cependant assez vite place aux tensions sociales, puis à la guerre civile qui contraint les plus militants à l’exode. Mireia connaît alors le sort de nombreux réfugiés espagnols parqués dans le camp d’Argelès-sur-Mer. Elle vivra ensuite à Sète où elle élèvera son fils et veillera à l’initier à la musique. A l’âge de 16 ans, Roger ira à Barcelone et connaîtra bientôt un succès phénoménal.

Image par MustangJoe de Pixabay

Après deux premiers tiers éblouissants, qui me faisaient reprendre avec hâte et un immense plaisir ma lecture après chaque interruption, le charme a moins opéré, je dois bien le reconnaître. Il aurait fallu faire plus court dans la dernière partie, et moins sentimental à mon avis. J’ai malgré tout beaucoup aimé ce roman qui nous faire suivre la carrière et le travail d’un chanteur lyrique (imaginaire), et la vie de tout un pays sous le joug de la dictature.

Lluís LLach évoque en effet aussi la censure poussée jusqu’à l’absurde sous le franquisme et dont pâtissait le milieu artistique espagnol. Lui-même a dû quitter l’Espagne de 1971 à 1976 pour ce qu’il a appelé, non sans humour, du « tourisme pour motivations politiques ».

Musicien, chanteur, compositeur, il est aussi l’auteur de 4 romans, tous écrits en catalan. Il s’est également engagé en politique, en particulier dans les années 2010 en Catalogne. Il s’est parfois produit en tant que baryton, notamment en interprétant Le Requiem de Fauré dont il est question dans le roman, et a collaboré avec le ténor d’origine barcelonaise José Carreras. Nul doute qu’il s’est inspiré de sa propre expérience et de celle de José Carreras pour nourrir cette « fausse autobiographie » de Roger Ventós.

Ma petite déception sur la fin du roman ne m’empêche d’avoir très envie de lire d’autres romans de cet écrivain touche-à-tout, en particulier Les femmes de La Principal. En attendant, Le Théâtre des merveilles me permet une nouvelle participation en musique au Printemps des artistes.

Catégories
Bulgarie Romans

Ballade pour Georg Henig – Viktor Paskov

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions de L’Aube

Largement autobiographique, Ballade pour Georg Henig est un hymne à l’art, à la musique et à la vocation artistique. C’est aussi le récit d’une enfance marquée par la pauvreté et révoltée par la mesquinerie.

« Tandis qu’il taillait à l’aide de fins ciseaux l’extrémité des deux parties du violon, Georg Henig me racontait des histoires de violons : les plus beaux contes qu’il avait jadis entendus, dans son enfance. Il me parlait des différentes écoles : Brescia, Crémone, Venise, Milan, Naples, l’école tyrolienne, l’école saxonne, l’école viennoise ; il me racontait que les violons parcouraient le monde entier, de main en main, et tombaient tantôt dans celles de charlatans, de riches comtes et barons, dans des palais et dans de pauvres maisons : qu’il est étrange, le sort d’un instrument fait par un maître ! Quelles déchéances et tragédies, mais aussi quelle admiration et quelle gloire ! »

Georg Henig, luthier tchèque venu en Bulgarie pour « aider quelques exaltés à créer une culture musicale en Bulgarie », finit sa vie dans la solitude et la misère la plus noire. Abandonné de tous, y compris de ses anciens élèves, il ne se laisse approcher que par la famille de Victor, un enfant que le vieil homme fascine par son dévouement total à son art.

Poétique, ou plutôt musical, ce court récit à hauteur d’enfant est très mélancolique et les touches de lumière sont très rares. Tout est fait pour créer une impression oppressante : les lieux de vie exigus et étouffants, les difformités physiques, la saleté omniprésente, les attitudes obsessionnelles …

Portrait de la vie quotidienne d’un quartier très pauvre où chacun tente de survivre et de ne pas sombrer dans la folie, cette Ballade pour Georg Henig recèle de magnifiques passages sur la vie de quartier, l’amitié et la solidarité, comme sur l’art de la lutherie. Si je lui ai trouvé des longueurs et une certaine lourdeur psychologique (Victor Paskov semble prisonnier de la nostalgie, y compris d’un temps qu’il n’a pas connu lui-même), j’ai été sensible à ce vibrant hommage aux artistes/artisans d’art et à cette immersion dans la Bulgarie d’après-guerre.

Ballade pour Georg Henig a déjà été lu et chroniqué par Passage à l’Est et Soufflebleu (que je découvre à cette occasion), ou encore par Lire et merveilles et Patrice lors du Mois de l’Europe de l’Est.

Catégories
Pays-Bas Romans

En mer – Toine Heijmans

Traduction du néerlandais par Danielle Losman – Éditions Christian Bourgois

Décidément, les voyages en mer ne sont pas de tout repos. Un moment d’inattention, un gros grain, ou un navigateur fragile et une simple traversée familiale entre le Danemark et les Pays-Bas peut rapidement tourner au cauchemar. En mer est ainsi une sorte de thriller psychologique dans lequel l’auteur m’a complètement menée en bateau.

Donald est marié à Hagar et père d’une petite fille de 7 ans, Maria. C’est à la première personne que Donald nous parle de son voyage : les conditions de son départ en voilier dans le cadre d’un congé sabbatique, le retour imminent après un périple de 3 mois avec, pour sa dernière traversée, la compagnie de sa fille. Hagar a en effet accepté que Maria rejoigne Donald au Danemark et fasse avec son père la traversée finale jusqu’à Harlingen où elle les attendra.

D’emblée, on sent une certaine fébrilité chez Donald, de l’agacement face aux inquiétudes comme aux certitudes éducatives de sa femme. En mer, il se sent libre, efficace et compétent. Son besoin de prouver ses qualités de père et de navigateur irrigue cependant ses monologues, créant une certaine tension car on pressent qu’il pourrait se montrer déraisonnable par fierté, alors qu’en mer, la maîtrise de soi est vitale.


« À bord, il faut être routinier et ordonné, ça rassure. (…)
On survit par routine. Lorsque tout va mal, mieux vaut savoir où tout se trouve. Sans routine, les pensées se bousculent. On pense à tout à la fois. Aux nuages, au four, au café, aux bottes, au pavillon. Au journal de bord, aux amarres. À ta fille qui dort dans la cale avant, la petite cale. Si tu cesses de penser de façon claire, la mer t’emporte.
»

La quatrième de couverture le divulgâche : Maria disparaît soudainement du bateau et c’est évidemment la panique à bord. Cette disparition intervient très tôt dans le roman et l’auteur opère ensuite des retours en arrière dans lesquels Donald revient sur sa vie au travail, ses relations familiales, son trajet pour retrouver Maria à l’aéroport, leur départ sur le voilier baptisé Ismaël (la référence à Moby Dick n’est évidemment pas fortuite) et les beaux moments de leur traversée père-fille, jusqu’à l’instant du drame.

J’ai fortement accéléré dans les vingt dernières pages du roman car le suspense devenait insoutenable pour moi. Et là, bim, le twist que je n’avais absolument pas vu venir ! Pourtant, j’avais imaginé tout un tas de scénarios pouvant expliquer le drame et donnant des issues plus ou moins tragiques à ce récit (dont la fin reste d’ailleurs ouverte). Mais l’auteur m’a bien eue, chapeau bas!

Ingannmic et Kathel l’ont lu il y a déjà quelques années. Leur avis est à retrouver ici et là.

PS : Un autre roman de Toine Heijmans, Dette d’oxygène, fera l’objet d’une lecture commune chez Je lis, je blogue et Livr’escapades le 8 juin prochain. Avec un titre pareil et le talent de l’auteur pour me mettre en apnée lors de cette traversée maritime, je m’attends à un autre récit haletant et je suis impatiente de lire l’avis d’Alexandra et Fabienne.

Catégories
Japon Romans

Le goûter du lion – Ogawa Ito

Traduction du japonais par Déborah Pierret-Watanabe – Éditions Philippe Picquier

Avril, c’est aussi un Mois au Japon ! Les cerisiers sont en fleurs là-bas comme ici, mais aujourd’hui, ce sont les citronniers qui sont à l’honneur puisque Le goûter du lion a pour décor « l’île aux citrons », nichée dans la mer intérieure de Seto.

Derrière ce titre gourmand se cache en fait un roman sur la fin de vie. Shizuku est une jeune trentenaire en stade terminal d’un cancer. Elle a choisi de finir ses jours à la Maison du lion, un lieu dédié à l’accompagnement des personnes en fin de vie bien loin des hôpitaux et des EPHAD. À l’heure de grands débats nationaux sur les soins palliatifs, on rêverait de voir ce genre de structures essaimer chez nous…


« (…) j’avais l’impression de me retrouver dans un de ces hôtels cachés où plane une atmosphère d’élégance. L’endroit n’était ni trop impersonnel ni trop marqué par les traces de la présence des autres pensionnaires. On s’y sentait comme couvé du regard par un inconnu au visage souriant. Je ne suis jamais entrée à l’intérieur d’un cocon, mais j’ai pensé qu’on devait y trouver la même lumière, douce et enveloppante. »

Shizuku va connaître une sorte de renaissance à la Maison du lion. Elle s’allège de ses regrets, fait de belles rencontres, découvre la relation d’amour si forte qui peut unir un animal et son maître. Elle profite de chaque souffle d’air, de la lumière et de la moindre saveur (et nous met l’eau à la bouche !). Il n’y a pas d’amertume, pas de faux-semblants non plus. Shizuku apprend à accueillir la peur, la tristesse comme la joie.

Une fois de plus, j’ai été frappée par la capacité des auteurs japonais à parler simplement, sans pathos et sans tabou, de réalités peu réjouissantes (en l’occurrence, le corps qui lâche). Et la solitude dans laquelle vivent la plupart des Japonais, en tous cas si j’en crois la littérature et le cinéma, est prégnante ici aussi. J’ai d’ailleurs pensé à plusieurs reprises au très joli film Tempura dont l’héroïne fantasque et célibataire peine à occuper ses week-ends passés encore et toujours seule. Ici aussi, Shizuku est seule, par choix certes, mais elle semble avoir eu peu de proches dans sa courte vie.

J’avoue tout : j’ai eu les larmes aux yeux à plusieurs reprises ! Pourtant, l’impression qui domine et qui reste est celle d’une grande sérénité. C’est un joli roman sur la fin de vie, qui n’est peut-être que le début d’autre chose. Il ne révolutionne pas la littérature, mais il est idéal pour une parenthèse en mode carpe diem.

PS : Le Mois au Japon, ce sont des romans, des recettes, des films, des loisirs créatifs, des idées pour apprendre la langue japonaise. Retrouvez toutes les participations à ce rendez-vous chez Hilde et Lou.

Catégories
Romans Venezuela

Ce que Frida m’a donné – Rosa Maria Unda Souki

Traduit de l’espagnol (Venezuela) par Margot Nguyen Béraud et l’auteure – Éditions Zulma

C’est le Printemps des artistes chez Marie-Anne du blog La bouche à oreilles. L’occasion rêvée de me plonger dans Ce que Frida m’a donné, un livre original, coloré et absolument délicieux ! Rosa Maria Unda Souki est une artiste contemporaine vénézuélienne qui vit à Paris. Dans ce journal de bord, elle nous raconte, humour et dessins à l’appui, sa résidence au Couvent des récollets pendant l’été 2019.

Rosa Maria Unda Souki doit préparer l’accrochage d’une exposition que lui ont inspirée la personnalité et la vie de Frida Kahlo. Il lui faut d’abord s’acclimater au lieu qu’on a mis à sa disposition. Puis ses tableaux, expédiés depuis le Brésil, semblent ne vouloir jamais arriver… Et c’est l’angoisse de la page blanche au moment de rédiger le texte qui accompagnera le catalogue. L’artiste-autrice se disperse et digresse, replongeant dans ses souvenirs d’enfance et dans son travail de création autour de Frida Kahlo et de sa maison, la Casa azul. On découvre donc peu à peu ce qui les a façonnées toutes les deux en tant que femmes et artistes, ce qui les relie aussi.

Par petites touches, on entre dans le processus créatif à l’œuvre chez Rosa Maria Unda Souki. Ses dessins au graphite sont d’une saisissante précision architecturale, mais ils sont toujours émaillés de détails pleins de vie voire d’annotations amusantes. Ses tableaux y apparaissent aussi, et l’autrice amène très judicieusement notre regard sur eux à évoluer, à s’affiner grâce à des retours en arrière sur les éléments qui l’ont guidées : motifs des vêtements, souvenirs et portraits de Frida Kahlo, déconstruits et retissés par l’artiste contemporaine… J’ai trouvé cet hommage à Frida Kahlo passionnant, parfaitement accessible et d’une grande délicatesse.

Ce que Frida m’a donné est un livre léger en apparence, profond en réalité, qui témoigne de l’admiration sans borne de Rosa Maria Unda Souki pour Frida Kahlo. Il nous fait toucher du doigt les affres de la création, la libération et la nécessité vitale (et non « la détente » !) qu’elle représente pour les artistes.

Ce format m’a fait sortir de mes sentiers battus et je suis ravie de cette expérience. C’est aussi, à mon humble avis, une très belle idée cadeau… Vous pouvez en feuilleter un extrait sur le site de la maison d’édition à cette adresse pour vous en convaincre.

D’autres avis, très enthousiastes chez Fanja, Kathel, Maryline, un peu moins chez Anne et pas du tout chez Athalie.

PS : Pour en savoir plus sur Rosa Maria Unda Souki en tant qu’artiste, c’est ici !

Catégories
Bosnie-Herzégovine Romans

Dans le fossé – Sladjana Nina Perković

Traduction du serbo-croate (Bosnie-Herzégovine) par Chloé Billon – Éditions Zulma

Dans cette comédie burlesque et un peu désespérée, la narratrice (dont on ignore le nom tout au long du roman) nous relate ses péripéties à partir du moment où elle apprend le décès de sa tante. Sa mère l’oblige en effet à se rendre à l’enterrement de cette sœur avec laquelle elle était en froid. La journée qui suivra sera épique et absurde.


« À dire vrai, je ne comprends pas très bien comment font les jeunes Japonais pour se barricader si facilement. N’ont-ils pas de mères ? La mienne aurait déjà trouvé une manière de s’introduire dans ma chambre, quitte à grimper sur le toit et sauter par la fenêtre, tel un membre d’une unité spéciale antiterroriste. Et elle m’aurait déjà fait sortir au pas de charge en me refilant une mission quelconque, comme par exemple aller à la Sécu lui faire tamponner son carnet de santé. Et pas de « oui, mais » avec elle. J’aurais à peine ouvert la bouche qu’elle se serait déjà pris la tête entre les mains, et se serait mise à crier que j’étais une « sale gosse pourrie gâtée » ou qu’elle aurait « mieux fait d’accoucher d’une pelote de laine », ce genre de choses. Ma mère est capable d’étouffer la moindre forme de révolte en deux minutes chrono. »

L’autrice enchaîne les événements comiques, proches du grotesque, avec des descriptions très visuelles et des apostrophes réussies de la narratrice au lectorat. De nombreux détails finissent par brosser un tableau désabusé de la Bosnie actuelle : infrastructures délabrées et services publics exsangues, police corrompue, chômage, marché noir…

L’apathie de la narratrice, qui rêve de pouvoir rester sous sa couette à regarder des séries policières évoque sans aucun doute une génération désenchantée, sans perspective d’avenir dans son pays et qui ne parvient littéralement pas à se faire entendre. Je n’ai toutefois pas compris le « délire paranoïaque » de la narratrice à la fin du roman et j’ai tendance à le mettre sur le compte de difficultés pour l’autrice à conclure son histoire.


« Et d’ailleurs, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Une vieille femme dans un trou paumé s’est étouffée avec un morceau de poulet ? Qui ça peut bien intéresser ? Sans parler de tous ces personnages peu crédibles et de cette panique autour de l’enterrement. Rien de bien original. Se jeter sur le cercueil du défunt et donner des coups de pelle sur la fosse fraîchement comblée, n’est-ce pas un lieu commun de la littérature balkanique ? »

En résumé, cette écrivaine me semble prometteuse, mais ce (premier) roman m’a laissée sur ma faim. Je m’attendais à davantage de rythme et j’aurais aimé des portraits plus fouillés des différents membres de la famille. Dans un esprit assez proche, j’ai largement préféré Miracle à la combe aux aspics, loufoque aussi mais plus féroce et dont les personnages sont, eux, inoubliables.