Elles sont écrivaines, vivent en France ou en Belgique, et ont aussi en commun d’être nées de l’autre côté du Rideau de fer dans les années 1970 et 1980. À force d’entendre les mêmes questions de la part du public « occidental » qu’elles rencontrent lors de lectures et débats, elles ont voulu donner à entendre leur vision de ce qu’était la vie, en particulier la vie des femmes, dans les ex-pays de l’Est.
Albena Dimitrova, née en Bulgarie, Lenka Horňáková-Civade, née en Tchécoslovaquie (Tchéquie), Katrina Kalda, née en Estonie, Grażyna Plebanek, née en Pologne, Sonia Ristić, née en ex-Yougoslavie (Serbie), Andrea Salajova, née en Tchécoslovaquie (Slovaquie), Marina Skalova, née en Russie, et Irina Teodorescu, née en Roumanie, ont donc chacune écrit (en français, à l’exception de Grażyna Plebanek) une des nouvelles qui composent le recueil Filles de l’Est, femmes à l’Ouest paru aux éditions Intervalles et adapté par France culture en une série de 10 podcasts passionnants.
« Ce nouveau monde de filles fortes, qui paraissaient si sûres d’elles et si insouciantes, elle n’en connaissait que trop le revers. Elle repensait souvent, seule sur le canapé de la petite cuisine d’été, aux années de sa jeunesse. Elle avait suivi la route toute tracée de ses aînées : un peu d’études, puis mari, foyer, enfants. Fidélité, obéissance, patience. Mais surtout, il y avait l’État socialiste, la construction d’un monde meilleur, cette pensée tout simple : le même bonheur pour tout le monde. Depuis que personne ne montrait plus de direction dans cette société démocratique, les gens faisaient n’importe quoi. Elle n’en parlait jamais avec ses filles. Elles ne pouvaient pas comprendre. » (Andrea Salajova, épisode 3)
Elles racontent leur enfance, leur jeunesse, leur pays avant et après la chute des régimes socialistes et communistes, avec du positif et du négatif, et battent ainsi en brèche autant les images caricaturales de l’Est que celles de la « vie de rêve » qu’a voulu vendre l’Occident. C’est instructif, émouvant, drôle, en un mot vivifiant ! Et comme toujours, ai-je envie de dire, c’est formidablement adapté (mention spéciale à la chanson utilisée en guise de générique et qui a toujours le don de me mettre la larme à l’œil quand je pense au tournant de 1989).
C’est à écouter ou à lire, comme vous préférez !
PS : Le podcast est réalisé par Volodia Serre, avec Emmanuelle Chevrière comme conseillère littéraire, Sophie Bissantz au bruitage, et les voix de Miglen Mirtchev, Tereza Kelka, Maria Zachenska, Maya Sarac, Aleksandra Yermak, Radoslav Majerik, Matej Hofmann, Natalia Pujszo, Grégory Kristoforoff, Anton Yakovlev, Galina Vincenot, Liza Paturel, Malgorzata Virgili Karcz, Emma Ciazynski, Robert Sahin, Roustem Khaibrakhmanov et Jacqueline Pierre.
Oyez, oyez : je lance un jeu-concours pour vous faire gagner des romans et un récit à l’occasion de la Rentrée à l’Est ! Agullo, Les Argonautes et La Table ronde ont très gentiment accepté d’offrir des parutions de la rentrée littéraire 2024 et des publications plus anciennes que vous pouvez tenter de remporter. Un immense merci à ces formidables maisons d’édition qui contribuent à faire connaître (entre autres) la littérature balte en France !
Le règlement détaillé du jeu-concours est précisé ci-dessous, mais en résumé : Dès à présent et au plus tard le 14 septembre, indiquez en commentaire de ce billet quel sera selon vous le pays à faire l’objet du plus grand nombre de billets lors de la Rentrée à l’Est 2024 : l’Estonie, la Lettonie ou la Lituanie. Précisez si vous avez déjà lu l’un des livres en jeu et si vous acceptez ou non, le cas échéant, de chroniquer le livre gagné sur votre blog. Et voilà, le verdict sera rendu aux environs du 20 octobre et les gagnant(e)s recevront rapidement leur livre ensuite !
Qui gagnera À l’ombre de la butte aux coqs d’Osvalds Zebris (Lettonie), Ténèbres et compagnie de Sigitas Parulskis (Lituanie, rentrée littéraire 2024), Cap sur la liberté de Voldemar Veedam et Carl B. Wall (Estonie, peut participer au Book trip en mer de Fanja), L’impératrice de pierre de Kristina Sabaliauskaite (Lituanie) ou encore Tigre de Jānis Joņevs (Lettonie) ? Une chose est sûre : 100 % des gagnant(e)s auront tenté leur chance !
À vos claviers !
Sacha
Voici les conditions de participation détaillées :
Ce concours est ouvert à toutes et tous, sous réserve d’être majeur(e), y compris aux personnes vivant à l’étranger, et ce dès parution de ce billet.
Pour jouer, il faut tenter de deviner lequel des 3 pays baltes que sont l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie fera l’objet du plus grand nombre de billets sur les blogs participant officiellement à la Rentrée à l’Est 2024. Sera considéré(e) comme participant(e) officiel(le) à la Rentrée à l’Est tout billet répondant aux critères définis iciet qui m’aura été signalé au plus tard le 10 octobre. Dans le cas d’une lecture commune (LC), chaque billet associé à la LC comptera pour 1.
La date limite pour faire vos paris est fixée au 14 septembre inclus.
Les 5 personnes ayant trouvé le nombre exact de billets ou s’en étant le plus approché remporteront chacune un livre. En cas d’égalité entre plus de 5 personnes, je procéderai à un tirage au sort.
Vous avez peut-être déjà lu un ou plusieurs des titres offerts. Dans ce cas, merci de le préciser lorsque vous ferez votre pari. J’en tiendrai compte dans l’attribution des livres.
Certaines maisons d’édition souhaitent que le livre offert fasse l’objet d’un billet sur votre blog. Merci de me préciser si vous ne voulez pas vous y engager pour que je puisse vous envoyer un livre qui n’est pas concerné par cette exigence.
Une fois ces critères appliqués, je procéderai par tirage au sort si nécessaire pour attribuer les livres.
Les livres seront envoyés par mes soins ou directement par la maison d’édition.
Je m’engage à respecter la confidentialité des données (coordonnées postales) que vous devrez me communiquer pour que nous puissions vous faire parvenir votre ouvrage.
« L’histoire d’un monde disparu », tel pourrait être le sous-titre de ce roman raconté à la première personne par Almanda, fille d’immigrants élevée par son oncle et sa tante au Québec à la fin du 19e siècle. Ils triment en tant que paysans, et la jeune fille de 15 ans n’a ni envie de se marier, ni de rester à la ferme toute sa vie. Et voilà que son chemin croise Thomas, un jeune Innu, autrement dit un autochtone. Amoureuse et en quête d’aventures, elle l’épouse et les suit, lui et sa famille.
C’est une vie de labeur mais heureuse, en pleine nature et dans la chaleur d’une famille innue aimante que connaît ensuite Almanda. Éprise de liberté, elle adhère pleinement à ce nomadisme au cœur des grands espaces. Au fil de sa longue existence, elle voit cependant le déclin de ce mode de vie peu à peu détruit par la foresterie à grande échelle, la sédentarisation forcée, l’arrivée du chemin de fer, le placement des enfants dans les tristement célèbres pensionnats canadiens… Des bouleversements et des traumatismes qui expliquent en grande partie le mal-être et les addictions dans lesquels tombent ensuite de nombreux autochtones.
L’hôtel Roberval sur les bords du Pekuakami, le lac Saint-Jean ; source : commons.wikimedia.org
J’ai eu de sérieuses craintes au début de ce roman, l’auteur utilisant à trois reprises en quelques pages l’expression « visage usé » pour parler de personnes d’âge vénérable. La répétition m’a sauté aux yeux et mon « radar à lourdeurs et maladresses » s’est mis aussitôt sur « alerte rouge ». Heureusement, le reste du livre n’a pas ce genre de défaut majeur. Il me semble quand même avoir décelé un problème dans la chronologie de certains événements vers la fin, mais j’avais peut-être simplement été inattentive un peu plus tôt dans le récit.
Bien que je ne sois pas particulièrement adepte du nature writing (quelqu’un a-t-il un terme français à suggérer pour cette expression ?), j’ai pris plaisir aux descriptions des paysages et à la découverte de cette vie simple et rude au plus près de la nature. Si je l’avais lu plus tôt, j’aurais recommandé ce roman chez Eva et Patrice pour les lectures à prévoir quand on part en camping ! Il me semble idéal pour ça. Cependant, même si Kukum dénonce des politiques qui ont profondément nui aux populations autochtones canadiennes, il reste très léger et les personnages m’ont semblé inutilement idéalisés.
Pour qui s’intéresse aux minorités ethniques plus sérieusement, ce roman sera donc frustrant, (et sur le plan littéraire, il est plaisant mais pas transcendant). Heureusement, vous trouverez plein de bonnes idées pour creuser le sujet chez Ingannmic. Je vous recommande par ailleurs l’article de Pamolico sur Little bird, une mini-série actuellement diffusée par Arte et consacrée à la politique de placement d’enfants autochtones qui a été pratiquée à grande échelle au Canada dans les années 1960 à 1980. Stupéfiant et bouleversant !
Avec ce roman, je participe au rendez-vous « Le 12 août, j’achète un livre québécois » relayé par Madame Lit, ce que j’ai le plaisir de faire en lecture commune avec Doudoumatous et Eva dont je vous invite à lire les avis.
Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions des Syrtes
En musique classique, une rhapsodie ou rapsodie (du grec ancien ῥάπτω / rháptō, « coudre », et ᾠδή / ōidḗ, « chant », littéralement couture de chants) est une composition pour un soliste, un ensemble de musique de chambre ou un orchestre. De style et de forme très libres, souvent en un seul mouvement et assez proche de la fantaisie, la rhapsodie repose presque toujours sur des thèmes et des rythmes régionaux, folkloriques ou traditionnels. (source : Wikipedia).
Une couture d’histoires marquées par des superstitions et des croyances religieuses poussant à l’intolérance, par la pauvreté mais aussi par la fantaisie, la joie de vivre, l’amour : Rhapsodie balkanique est un titre parfait pour ce très beau roman aux accents turcs, grecs et bulgares :
« Contrairement à son frère, Haalim comprenait bien cette langue. Il aimait sa sonorité ferme, parfois aiguë, ses mots anguleux s’accrochant lourdement les uns aux autres, comme quelqu’un qui essaie d’atteler des chevaux fougueux. « Mon petit garçon », lui disait sa mère, et ce m avec ce p, ensuite ce r avec le ç roulaient comme ces billes en verre bigarrées un peu bosselées et s’ordonnaient joliment malgré leur vilaine apparence. »
Cette rhapsodie, c’est l’histoire de la famille de Maria Kassimova-Moisset, et plus particulièrement celle de sa grand-mère paternelle Miriam. Miriam qui – par amour pour Ahmed – n’a pas cédé d’un pouce face aux conventions et aux malédictions, qui a quitté sa chère Bulgarie pour la Turquie, qui a trimé pour élever ses enfants et qui a dû prendre un jour une décision terrible que sa petite-fille cherche encore à comprendre.
« Elle n’était pas comme les autres, cette enfant, ça non. Elle la regardait droit dans les yeux et ne cillait pas. Elle pleurait rarement – depuis ce premier vagissement, lorsque pour la première fois elle avait entendu son prénom, ses pleurs choisissaient eux-mêmes pourquoi ils devaient être versés. Elle se comportait comme si tout lui était familier. Elle n’avait peur de rien ni de personne. »
Avec une très belle langue, servie par une remarquable traduction, Maria Kassimova-Moisset parvient à faire de petits gestes, d’infimes détails un récit palpitant qui nous transporte dans les Balkans du début du 20e siècle. Fluide, délicate et imagée, son écriture m’a envoûtée. J’ai adoré Miriam, Ahmed et Haalim, et même Theotitsa, véritable personnage de tragédie grecque. Je ne suis pas prête de les oublier !
Traduction de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol – Éditions Au vent des îles
Avec La baleine tatouée, j’ai retrouvé avec plaisir la maison d’édition Au vent des îles et la traductrice Mireille Vignol qui m’ont déjà offert deux coups de cœur ces derniers mois avec Bones Bay et Stasiland. Cette fois, c’est un autre roman néo-zélandais que j’ai voulu découvrir après avoir vu son adaptation il y a quelques mois et lu l’avis enthousiaste de Cyan. Paï, l’élue d’un peuple nouveau (The Whale Rider – 2002) est un film magnifique à voir en famille (dès 10 ans, même s’il est assez dur), idéalement en VO pour savourer l’accent rocailleux de la population néo-zélandaise et l’alternance entre anglais et maori. Bilan de cette lecture : Le roman est tout aussi beau que son adaptation et je vous le recommande chaudement.
Kahu a le malheur d’être née fille alors que son arrière-grand-père attendait un héritier mâle pour lui transmettre son savoir et ses responsabilités de chef de clan. Assurer la survie des traditions et défendre les intérêts maoris dans un monde en constante évolution n’est pas simple. Si le vieux Koro Apirana s’arc-boute sur ses convictions, c’est donc sans doute une question de génération mais aussi par peur face aux bouleversements que subissent son peuple et sa terre. L’équilibre entre les trois mondes (mer, terre et humains) menace en effet de s’effondrer.
« J’imagine que cette histoire, s’il faut lui trouver un début, commence avec Kahu. Après tout, c’est Kahu qui était là à la fin, et son intervention nous a peut-être tous sauvés. Nous avions toujours attendu la venue d’un tel enfant, mais, à sa naissance, eh bien, disons seulement que nous regardions ailleurs. On était chez nos grands-parents, les cousins et moi, on buvait et on faisait la fête, lorsque le téléphone sonna. − Une fille, cracha notre grand-père, Koro Apirana, dégoûté. Je ne veux pas en entendre parler. Elle a rompu la lignée masculine de notre tribu. »
Avec ce récit sous forme de conte, Witi Ihimaera nous parle de la nécessité d’une relation respectueuse entre les humains et la nature, du besoin de préserver les traditions mais aussi de savoir embrasser le changement. Il évoque aussi le racisme dont sont victimes les Maoris, et on perçoit en filigrane leur manque de perspectives et les dérives dans lesquelles ils peuvent tomber.
L’espoir vient en grande partie des femmes, à commencer par Kahu bien sûr, mais aussi l’inénarrable Nani Flowers, son arrière-grand-mère :
« Et quand il partit bouder en mer, il prit mon canot, celui qui avait un moteur.
– Vas-y, ça ne me fait ni chaud ni froid, lui lança-t-elle. Il faut dire que plus tôt dans la journée, elle avait eu la malveillance de siphonner la moitié du carburant, s’assurant ainsi que le grand-père ne puisse pas revenir. Il passa l’après-midi à crier et à gesticuler, mais elle fit simplement semblant de ne pas le voir. Puis, elle le rejoignit en ramant et lui annonça qu’il était trop tard, qu’il ne pouvait plus rien faire. Elle avait téléphoné à Porourangi pour l’autoriser à nommer le bébé Kahu, en honneur de Kahutia Te Rangi. »
Empreint de légendes intemporelles, ce court roman est néanmoins parfaitement contemporain. Il déborde de tendresse et d’humour, et lance un cri d’amour pour ces créatures majestueuses que sont les tohorā, les baleines. Il donne d’ailleurs furieusement envie de s’engager pour la défense des cétacés et des océans en général. C’est aussi un joli hommage à la puissance des femmes et tout simplement une très belle histoire.
Hélas, ce qui faisait la force et la qualité de La femme à la valise s’est avéré gênant dans ce roman. Dans ses nouvelles, la concision et la sobriété de Luisa Carnés allaient à l’essentiel et ont su me bouleverser tandis qu’ici, les personnages manquent de chair. Luisa Carnés se centre certes sur quelques-uns d’entre eux, mais ils restent nombreux et trop survolés. D’ailleurs, était-il judicieux d’avoir un Paco et une Paca dans le personnel du salon de thé dont il est question ? Il faut déjà rester concentré(e) pour mémoriser qui est à tel comptoir et qui à tel autre… Surtout, l’autrice a voulu être exhaustive au risque d’un manque d’épaisseur qui crée à mon avis de la distance et un manque d’intérêt vis-à-vis de ses personnages. Malgré leurs vies difficiles et leurs destins souvent tragiques, je n’ai pas été touchée. Sans doute aussi à cause du message trop didactique, qui atteint son paroxysme dans la dernière page :
« « Maintenant, devant la femme s’ouvre un nouveau chemin… » (…) « Ce nouveau chemin, à travers la misère et le chaos actuel, est celui de la lutte consciente pour l’émancipation prolétaire internationale. » La femme nouvelle, « sans allure », a parlé et a fait réagir la petite Matilde. Mais la femme nouvelle a aussi parlé pour toutes les innombrables Matilde de l’univers. »
Comme dans cet extrait, j’ai parfois eu l’impression de lire un tract ou un article de presse engagé et non un roman. Le fond est cependant très intéressant : le constat de Luisa Carnés est lucide et son analyse de la situation des femmes m’a semblé très moderne. Elle nous montre très bien l’ampleur de la crise et de la misère qui touchaient alors l’Espagne, comme une grande partie de l’Europe, et, comme dans La femme à la valise, ce sont avant tout les Espagnoles de petite condition que Laura Carnés évoque : les mères de familles nombreuses, les veuves, les grenouilles de bénitier, mais aussi les petites bourgeoises qui subissent elles aussi les avanies de leur sexe (avortements clandestins risqués) et les jeunes femmes pauvres qui n’ont le plus souvent que deux choix, c’est-à-dire le mariage ou la prostitution, et qui, avant d’en arriver à l’un ou l’autre, cherchent à travailler pour soutenir leur famille.
Luisa Carnés au Mexique, où elle vécut en exil – Crédits famille Puyol-Carnés
J’adhère tout à fait au propos féministe et social qui est d’ailleurs le fruit de l’expérience personnelle de Laura Carnés (née dans une famille ouvrière, elle a commencé à travailler à l’âge de 11 ans et s’est formée en autodidacte). La forme, trop sèche, ne m’a en revanche pas convaincue.
À la découverte de la littérature d’Estonie, de Lettonie et de Lituanie
Vous l’avez remarqué : c’est enfin l’été ! Vous êtes peut-être d’ailleurs en train de préparer vos valises et surtout la pile de livres à emporter avec vous ou à consommer à domicile pendant les 2 prochains mois. C’est l’occasion pour moi de vous rappeler le nouveau rendez-vous de la Rentrée à l’Est qui mettra cette année à l’honneur l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie. Rendez-vous du 15 au 30 septembre !
Sur la liste de suggestions que j’ai préparée il y a quelques semaines, j’ai ajouté plusieurs titres repérés tardivement ou signalés par des blogueuses bien informées. N’hésitez pas à piocher dedans pour vos lectures estivales ! Je viens d’ailleurs de constater que Vilnius Poker (proposé en LC pour le 20 septembre) contient le nombre de pages voulu pour le challenge des Pavés de l’été chez Sibylline (dont le délai court jusqu’au 22, c’est pile poil !). Voilà donc une motivation supplémentaire pour ce roman qui s’annonce (d)étonnant. Patrice vous attend aussi pour une LC autour de l’écrivain Jaan Kross avec un titre au choix le 27 septembre.
LC le 20 septembre sur ce blogLC le 27 chez Et si on bouquinait?
Petit conseil personnel : Si vous avez une liseuse, pensez aux livres électroniques proposés dans les bibliothèques. J’ai constaté que les ouvrages disons « confidentiels » sont plus facilement disponibles sous cette forme et cette option est évidemment très pratique pour alléger ses bagages. Ces emprunts sont désormais compris dans la plupart des abonnements. C’est bien sûr valable pour vos lectures en général, pas seulement pour ce rendez-vous !
Qu’elles soient baltes ou non, épaisses ou non, rares ou nombreuses, je vous souhaite de belles lectures estivales !
PS : Ce blog n’est pas (encore) en pause pour cause de congés, mais il va sans doute adopter un rythme plus tranquille dans les prochaines semaines.
Traduit du tchèque par Claudia Ancelot – Éditions Cambourakis
Avant toute chose, je remercie infiniment Patrice de m’avoir proposé cette fabuleuse lecture commune. La guerre des salamandres est un véritable coup de cœur pour moi !
L’adaptation audio de La maladie blanche m’avait convaincue de la modernité des sujets abordés par Karel Čapek. Pourtant, pour être honnête, je craignais un style éventuellement un peu poussiéreux avec La guerre des salamandres, roman paru en 1936. J’ai peut-être été induite en erreur par l’édition très rétro de 1986 trouvée dans la réserve de ma bibliothèque (Cambourakis l’a réédité récemment et c’est sans doute cette version que vous le trouverez désormais). Eh bien, je peux vous dire qu’en réalité, il se lit comme s’il avait été écrit hier et qu’il « décape » ! Magnifiquement traduit par Claudia Ancelot, Karel Čapek dénonce toutes les idéologies (nationaliste, communiste, nazie, capitaliste, humaniste…) et les bassesses humaines avec un humour, une lucidité et un talent inouïs.
« Ajoutons à ce propos que, surtout dans la presse américaine, on trouvait de temps en temps des informations sur des jeunes filles qui auraient été violées par des salamandres alors qu’elles se baignaient. C’est pourquoi, de plus en plus fréquemment, on lynchait et l’on poursuivait des salamandres aux États-Unis et surtout on les brûlait sur un bûcher. C’est en vain que les savants s’élevaient contre ces pratiques populaires en affirmant qu’un tel crime était physiologiquement impossible pour des raisons anatomiques ; de nombreuses jeunes filles affirmèrent sous serment qu’elles avaient été importunées par des salamandres : l’affaire était donc claire aux yeux de tout bon Américain. »
L’histoire commence comme un roman d’aventures, à bord d’un bateau dont l’équipage cherche de nouveaux sites pour récolter des perles sous-marines. Dans une baie que la population locale fuit, le capitaine van Toch découvre une créature jusqu’alors inconnue : la fameuse salamandre. Sujet d’étude scientifique, main d’œuvre docile et bon marché, elle sera scrutée, goûtée, livrée en pâture aux négociants, parfois éduquée mais surtout exploitée et maltraitée. Jusqu’où le genre humain ira-t-il ? Et jusqu’à quand les placides salamandres vont-elles supporter tout ça ?
« Puis, lentement, presque religieusement, le professeur Van Dieten décrivit les troubles qui se manifestent chez la salamandre quand on lui enlève le lobe cervical frontal droit ou bien encore la circonvolution occipitale sur le côté gauche du cerveau. Ensuite, le professeur américain Devrient présenta… Excusez-moi, je ne sais vraiment pas ce qu’il a présenté ; c’est à ce moment-là que je me mis à me demander quels troubles se manifesteraient chez le professeur Devrient si on lui ôtait le lobe cervical droit ; comment le souriant Dr Okagawa réagirait à une irritation électrique et comment se comporterait le professeur Rehmann si on lui écrasait le labyrinthe auriculaire ; je fus aussi saisi d’une certaine incertitude quant à ma propre aptitude à discerner les couleurs et quant au facteur de mes réflexes moteurs. »
Sans véritables protagonistes et avec seulement quelques personnages récurrents, ce roman est fait de carnets de bord de marins, procès-verbaux d’assemblée générale et de conférence internationale, articles de journaux, extraits d’essais philosophiques factices, notes de bas de page généralement aussi fines qu’hilarantes… Il multiplie les narrateurs et se conclut même sur une conversation de l’auteur avec lui-même. Il est donc difficile de résumer ce texte passionnant qui se dévore. J’ai d’ailleurs marqué un nombre incalculable de pages dans ce livre. À vrai dire, il faudrait tout citer pour lui rendre justice.
« Au bout de quelques semaines, une pénurie désespérée de produits alimentaires se fit sentir dans les Îles britanniques. (…) ; la nation britannique endura ces souffrances avec un courage sans exemple, même si elle tomba assez bas pour être amenée à manger tous ses chevaux de course. »
Les thèmes abordés sont on ne peut plus forts et révoltants (esclavage, racisme, colonisation, expérimentations au nom de la science, ravages de l’ultra-capitalisme…). Pourtant, j’ai énormément ri en lisant ce roman, d’un rire incrédule devant tant de clairvoyance (il a été écrit avant la Deuxième Guerre mondiale, ce qui semble assez incroyable à sa lecture) et d’un rire se transformant régulièrement en hoquet d’horreur ou d’effroi, il faut bien le dire. Tout le monde en prend pour son grade : Américains, Français, Anglais, Allemands et Tchèques, scientifiques, journalistes, industriels, politiques, simples citoyens… Le tout avec une intelligence et une ironie saisissantes. Bref, je suis officiellement fan de Karel Čapek !
Un roman incontournable, qui n’a pas pris une ride (hélas).
PS : La préface de l’édition Marabout de 1986 signée par Philippe Ganier-Raymond nous révèle un fait tragique qui prouve une fois de plus que la réalité et la bêtise mais aussi la cruauté humaine dépassent souvent la fiction, aussi visionnaire soit-elle : « Čapek mourut en 1938, le jour de Noël, depuis longtemps malade (…). Les nazis entraient dans Prague 3 mois plus tard. La gestapo de Reinhardt Heydrich avait un ordre, parmi les plus urgents : « Tuez Čapek ». Rien de pire que des assassins mal renseignés. Karel était mort, mais il leur fallait un Čapek. Ils allèrent chez son frère Josef, l’arrêtèrent, l’envoyèrent à Bergen-Belsen, où il mourut en 1945 du typhus. »