Traduction de l’allemand par Rose Labourie, éditions Actes Sud
Il y a fort longtemps, j’ai commencé La fille sans qualités (Spieltrieb) de l’autrice allemande Juli Zeh, sans réussir à dépasser les trente premières pages. Ce n’était peut-être pas le bon moment (le thème est assez rude), ou m’attaquer à sa version originale était trop ambitieux à l’époque, je ne saurais plus dire. Toujours est-il que, pendant des années, je n’ai plus osé me tourner vers cette autrice entretemps devenue prolifique.
Et voilà qu’il y a quelques semaines, j’ai repéré dans la petite section germanophone de ma médiathèque Nouvel An (Neujahr), un autre roman de Juli Zeh, plus récent, plus court et surtout désigné comme « coup de cœur » par les bibliothécaires. Je crois n’avoir jamais été déçue par ce label et le moment semblait donc venu d’enfin tenter de dépasser mon premier échec avec cette écrivaine. Et j’ai bien fait !
Dès les premières lignes, j’ai été happée par ce roman haletant, digne d’un thriller et pourtant dénué de meurtre ou d’enquête. La tension sans relâche que tisse Juli Zeh est purement psychologique et diablement efficace ! Je me suis plusieurs fois surprise à être en apnée au cours de ma lecture !
J’ai rapidement eu le sentiment de faire cette ascension à vélo avec Henning, son protagoniste. L’image de l’homme épanoui et de sa famille idyllique se fissure au fur et à mesure de la montée dans laquelle ce jeune père de famille s’est lancé et on comprend que ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard s’il a choisi de passer ses vacances sur l’île de Lanzarote et de prendre cette route à ce moment de sa vie… Dans la deuxième partie du roman, encore plus intense, Juli Zeh décrit avec une minutie presque chirurgicale un souvenir d’enfance traumatique qui refait soudainement surface. J’ai lu la fin du roman d’une traite : il fallait absolument que je sache très, très vite ce qui s’était passé et quelles conséquences cette (re)découverte aurait sur Henning. Si j’ai été brièvement déroutée par le dénouement, je le trouve finalement très juste (et je n’en dirai pas plus pour ne pas vous divulgâcher cette histoire !).
J’ai lu Nouvel An en langue originale, donc en allemand, et j’ai apprécié l’écriture épurée, presque factuelle de Juli Zeh qui parvient pourtant à faire ressentir avec intensité les émotions de son personnage principal. Le roman soulève une foule de questions sur la vie de couple moderne, la parentalité et la paternité en particulier, mais aussi la mémoire, les non-dits, les relations familiales toxiques. Chez moi, la réflexion se poursuivra longtemps après avoir tourné la dernière page.
Un petit mot pour les germanophones qui n’oseraient pas franchir le pas de la lecture en version originale : ce roman m’a paru accessible (vocabulaire et structures simples, thèmes contemporains). Ça peut être l’occasion de vous lancer et si vous flanchez en route, la traduction pourra prendre le relais…