Cinq femmes jouent un rôle déterminant dans la vie de la guitare d’exception qui a donné son nom au roman : Asha, la porteuse de graine, Ruža, la mère qui transgressera les règles pour sauver sa famille, l’Orpheline née au milieu des fées de la forêt, Gabrijela la muse et Petra la musicienne. Envoûtante, la plume de Kristina Gavran rend tous ses personnages (il y a aussi des hommes) et leur univers aussi vivants que mystérieux. L’écriture est limpide, tout comme le récit, et d’emblée, j’ai eu mille peines à reposer La guitare de palissandre quand les contingences de la vie m’y obligeaient.
« Elle se lava du contact des fées sur sa peau, des empreintes des doigts qui avaient peigné ses cheveux, du parfum des fleurs dont elles avaient couvert son corps chaque matin, de toutes les années qu’elle avait passées avec elle. Elle savait que, rapidement, elle ne se souviendrait plus de rien – on l’avait prévenue quand elle était sortie de la forêt. Pas parce que les fées ne voudraient plus d’elle, mais parce que c’était la seule manière pour la forêt de survivre. »
Construit comme une partition musicale, le roman est composé de plusieurs mouvements (« glissando », « pizzicato ») découpés en chapitres avec, en épigraphe, le titre d’une pièce musicale et le nom de son interprète. On peut donc accompagner sa lecture de l’écoute d’airs de guitare soigneusement choisis si on le souhaite. Trop plongée dans l’histoire, je ne me suis pas interrompue pour chercher ces musiques mais c’est prévu pour très bientôt.
C’est sans la moindre difficulté qu’on passe d’un chapitre à l’autre et qu’avec chacune de ces femmes, on évolue dans des temps anciens ou à notre époque. En nous racontant la naissance et la vie de la guitare de palissandre, Kristina Gavran nous parle de femmes majestueuses et d’une grande sensibilité, des femmes qui sont toutes des fées à leur manière. L’autrice magnifie l’art et l’amour de l’art(isanat) et aborde des thèmes éternels et très contemporains comme la maternité, la transmission, l’intolérance ou encore le respect de la nature. C’est lumineux et servi par une remarquable traduction.
Keisha et Ingannmic sont tout aussi enthousiastes que moi. Vous pouvez lire leur avis ici et là.
PS : Pour retrouver tous les billets de cette lecture commune à la découverte des Éditions Bleu et jaune, rendez-vous chez Et si on bouquinait ?
Traduction de l’allemand par Olivier Le Lay – Éditions Gallimard
En 2005, l’auteur autrichien Arno Geiger a remporté le prestigieux Prix du livre allemand (Deutscher Buchpreis) avec le roman que j’ai choisi pour cette lecture commune avec Eva et Anne-Yès pour les Feuilles allemandes. Le concept de Tout va bien est original et plutôt séduisant : Chaque chapitre est le récit d’une seule journée fait par un des membres de la famille Sterk, sur une période allant de 1938 à 2001.
En 2001, Philipp doit vider la maison de sa grand-mère Alma, récemment décédée. En 1938, son grand-père Richard, par une chaude journée d’été, observe ses enfants jouer dans le jardin tout en ressassant son sentiment de culpabilité dû à son infidélité (avec la bonne d’enfants), ses inquiétudes face aux menaces nazies … En 1982, Alma constate que Richard perd décidément la tête. En 1945, Peter, le père de Philipp, connaît la guerre, la vraie, au sein des jeunesses hitlériennes. En 1960, Ingrid, sa femme, finit sa garde à l’hôpital, subit une fois de plus la misogynie des chefs de service et la charge mentale des femmes actives qu’on n’appelait pas encore ainsi, etc.
Une palette de personnages intéressants, et des réflexions très pertinentes forment donc l’ossature de ce roman au style par ailleurs heurté, avec des passages du coq à l’âne (puisqu’on suit le fil des pensées des protagonistes, particulièrement décousues pour certains). Les journées évoquées ne le sont pas dans l’ordre chronologique, ce qui n’est pas gênant en soi, mais ce découpage et l’alternance des points de vue fait qu’on ne s’attache à aucun personnage, à l’exception peut-être d’Alma qui m’a davantage touchée. Cette famille m’a même franchement agacée et l’écriture de Geiger m’a paru chercher l’originalité à tout prix. C’est probablement ce qui lui a valu le Deutscher Buchpreis qui récompense souvent des plumes atypiques (mais pas toujours des plus agréables).
Ajoutons à cela une édition truffée de coquilles (qu’une lectrice avant moi avait déjà corrigées au crayon à papier, ça m’a fait sourire) et d’erreurs de traductions (« variole » au lieu de « varicelle », le terme inconnu de « craintivité »), sans oublier un usage abusif de l’expression « aussi bien » qui me hérisse le poil d’avance. Je suis curieuse de savoir ce qu’en a pensé Eva qui l’a lu en VO. La responsabilité de certaines étrangetés stylistiques est-elle due au style de Geiger dans sa langue ou à sa traduction ?
L’auteur a de toute évidence beaucoup de talent. Certains passages sont excellents et son regard très neutre sur ses personnages crée un portrait éclairant d’une famille autrichienne sur plusieurs générations. Malgré tout, si je suis allée au bout de ce roman, c’est avant tout pour ne pas laisser tomber Eva, je le reconnais bien volontiers. Je ne peux pas dire qu’Arno Geiger n’est pas un auteur à découvrir. Mais Tout va bien fait partie de ces romans qui enthousiasment ou irritent, et je suis clairement dans le 2e cas !
PS : Le Monde est dans la team enthousiaste, sa critique est à lire ici.
Traduction de l’allemand par Dominique Autrand – Éditions Albin-Michel
Un bien joli roman pour cette LC avec Eva,Madame Lit, Doudoumatous et Luocine ! Il a d’ailleurs connu un beau succès en librairie, y compris en France. Je l’ai lu le temps d’un (long) trajet en train, en partie à travers une campagne allemande aux couleurs déjà très automnales 🍂🍄. Cela a encore ajouté au charme de cette lecture 🍐.
Le résumé sonne comme un cliché : Une adolescente et une femme d’âge moyen, toutes les deux « écorchées par la vie », vont s’apprivoiser et, peut-être, réussir à apaiser leurs blessures. Le tout sur fond de travail à la ferme avec fabrication de pain, de miel, vendange, coupe du bois et bien sûr cueillette des fameuses poires anciennes.
Ce roman est cependant plus délicat et plus touchant qu’on ne pourrait l’imaginer. L’écriture ne néglige pas les ellipses et s’avère très sensorielle. Les réactions de Sally m’ont paru très justes et j’ai été impressionnée par la capacité de l’auteur à exprimer le mal-être de cette jeune fille. Il donne un véritable accès à ce qui peut se jouer chez les jeunes qui s’auto-infligent toutes sortes de mauvais traitements. Le parcours de Liss est bouleversant aussi, et les scènes de son enfance témoignent de ce que peuvent être les maltraitances psychologiques et leurs conséquences.
Le parfum des poires anciennes est un roman qui fait du bien, certes, mais sans tomber dans la facilité. Pas de romance à l’horizon en particulier, c’est une histoire d’amitié « sororale » avant tout, et c’est très bien comme ça ! Fabienne l’avait aimé elle aussi, ouvrant la voie à cette LC 2024.
« L’histoire d’un monde disparu », tel pourrait être le sous-titre de ce roman raconté à la première personne par Almanda, fille d’immigrants élevée par son oncle et sa tante au Québec à la fin du 19e siècle. Ils triment en tant que paysans, et la jeune fille de 15 ans n’a ni envie de se marier, ni de rester à la ferme toute sa vie. Et voilà que son chemin croise Thomas, un jeune Innu, autrement dit un autochtone. Amoureuse et en quête d’aventures, elle l’épouse et les suit, lui et sa famille.
C’est une vie de labeur mais heureuse, en pleine nature et dans la chaleur d’une famille innue aimante que connaît ensuite Almanda. Éprise de liberté, elle adhère pleinement à ce nomadisme au cœur des grands espaces. Au fil de sa longue existence, elle voit cependant le déclin de ce mode de vie peu à peu détruit par la foresterie à grande échelle, la sédentarisation forcée, l’arrivée du chemin de fer, le placement des enfants dans les tristement célèbres pensionnats canadiens… Des bouleversements et des traumatismes qui expliquent en grande partie le mal-être et les addictions dans lesquels tombent ensuite de nombreux autochtones.
L’hôtel Roberval sur les bords du Pekuakami, le lac Saint-Jean ; source : commons.wikimedia.org
J’ai eu de sérieuses craintes au début de ce roman, l’auteur utilisant à trois reprises en quelques pages l’expression « visage usé » pour parler de personnes d’âge vénérable. La répétition m’a sauté aux yeux et mon « radar à lourdeurs et maladresses » s’est mis aussitôt sur « alerte rouge ». Heureusement, le reste du livre n’a pas ce genre de défaut majeur. Il me semble quand même avoir décelé un problème dans la chronologie de certains événements vers la fin, mais j’avais peut-être simplement été inattentive un peu plus tôt dans le récit.
Bien que je ne sois pas particulièrement adepte du nature writing (quelqu’un a-t-il un terme français à suggérer pour cette expression ?), j’ai pris plaisir aux descriptions des paysages et à la découverte de cette vie simple et rude au plus près de la nature. Si je l’avais lu plus tôt, j’aurais recommandé ce roman chez Eva et Patrice pour les lectures à prévoir quand on part en camping ! Il me semble idéal pour ça. Cependant, même si Kukum dénonce des politiques qui ont profondément nui aux populations autochtones canadiennes, il reste très léger et les personnages m’ont semblé inutilement idéalisés.
Pour qui s’intéresse aux minorités ethniques plus sérieusement, ce roman sera donc frustrant, (et sur le plan littéraire, il est plaisant mais pas transcendant). Heureusement, vous trouverez plein de bonnes idées pour creuser le sujet chez Ingannmic. Je vous recommande par ailleurs l’article de Pamolico sur Little bird, une mini-série actuellement diffusée par Arte et consacrée à la politique de placement d’enfants autochtones qui a été pratiquée à grande échelle au Canada dans les années 1960 à 1980. Stupéfiant et bouleversant !
Avec ce roman, je participe au rendez-vous « Le 12 août, j’achète un livre québécois » relayé par Madame Lit, ce que j’ai le plaisir de faire en lecture commune avec Doudoumatous et Eva dont je vous invite à lire les avis.
Traduction de l’anglais (Australie) – Éditions Héloïse d’Ormesson
Dire que j’ai dévoré ce récit serait en-dessous de la vérité. Je l’ai englouti ! Partagée entre effarement et rire (très jaune, bien sûr), j’ai suivi Anna Funder dans sa quête sur l’un des aspects les plus tragiques de la dictature est-allemande : la surveillance de la population de RDA exercée par un gigantesque appareil bureaucratique et un réseau tentaculaire d’informateurs. Une machine à broyer les êtres humains connue sous le nom de Stasi.
Moi qui suis peu habituée à ce type de récit mêlant les émotions et le vécu de l’autrice à son enquête, j’ai eu un mal fou à reposer ce livre qui contient pourtant son lot de chiffres, dates et faits historiques. Une partie d’entre eux m’étaient connus, mais pas tous, loin de là. Le propos est très clair, accessible et absolument pas rébarbatif. Australienne, Anna Funder a étudié et vécu en Allemagne de nombreuses années. Son regard extérieur représente un atout incontestable pour cerner les contradictions d’un pays, ou plutôt de deux pays, alors en plein bouleversement (elle enquête et écrit entre 1996 à 2000).
En plus de nous fournir ces éléments de contexte indispensables et éclairants, Anna Funder nous entraîne dans son sillage lorsqu’elle arpente le tracé du Mur de Berlin et visite les sites abritant les bureaux ou la prison de la Stasi. Elle nous raconte ses rencontres avec des victimes de cette police politique, des héros et héroïnes de l’ombre, des informateurs et des membres de la Stasi (dont très peu se repentent). Et elle ne se contente pas de nous rapporter leurs paroles, elle nous livre aussi ses impressions personnelles sur ses interlocuteurs et sur les conséquences avec lesquelles ils vivent (ou au contraire leur sentiment, parfois avéré, d’impunité) des années après l’effondrement de la RDA. Elle nous parle aussi de son trouble à elle face à ces vies passées et présentes, à la façon dont l’Allemagne réunifiée a abordé ou occulté ce passé.
Source : Wikipedia.fr
J’ai adoré ce mélange et c’est sans aucun doute grâce au talent et à l’autodérision d’Anna Funder. Elle a une vraie plume, une profonde empathie et une envie de comprendre chevillée au corps qui lui permet, entre autres, de rencontrer les pires salauds et de se les mettre dans la poche, ou de nuancer des visions caricaturales.
Quelques extraits :
« Sous le troisième Reich d’Hitler, on estime qu’une personne sur 2 000 était un agent de la Gestapo, dans l’URSS de Staline, une sur 5 830 était agent du KGB. En RDA, une personne sur 63 était agent ou indicateur de la Stasi. »
« « J’ai vu des choses horribles. Des gens qui avaient drogué leurs enfants pour les faire voyager dans la malle. Une fois, en ouvrant un coffre, j’ai trouvé une femme et son enfant. Comme j’étais en civil, ils ont cru que j’appartenais au réseau de passeurs. Je n’oublierai jamais le bonheur sur leur visage quand ils se sont crus libres. » Il écrase sa cigarette et enfonce ses mains dans les poches de sa veste, voûtant les épaules sous la grisaille. « Je dois avouer que j’ai eu du mal à le digérer, parce que je suis quelqu’un de sensible. Mais je n’en reste pas moins à cheval sur le respect des lois et à mon sens, ils n’auraient pas dû faire ce qu’ils faisaient : c’est ce qu’on m’avait inculqué depuis la maternelle. » »
La prison de Höhenschönhausen – Image par falco de Pixabay
« J’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à ces motivations. Dans une société au clivage marqué entre « nous » et « eux », une jeune personne ambitieuse préfère sans doute se joindre au groupe initié, celui qui n’est pas du côté des victimes. Si votre pays semble voué à ne jamais changer et qu’il vous soit impossible d’en partir, pourquoi ne pas opter pour une vie tranquille et une carrière gratifiante ? Ce qui m’intéresse, c’est comment les gens jugent leur décision maintenant que tout est fini. »
« Il est difficile de savoir dans quelle mesure nos actes hypothèquent notre avenir. Frau Paul avait eu le courage de suivre sa conscience, dans une situation où la plupart des gens auraient décidé de voir leur bébé et se seraient justifiés plus tard en se disant qu’ils n’avaient pas le choix. Une fois sa décision prise, il lui fallut puiser dans d’énormes ressources pour en assumer les conséquences. J’ai le sentiment qu’en réalité, Frau Paul a surestimé sa force et sa capacité à faire face aux préjudices qui l’attendaient, et qu’elle paie maintenant le prix de ses principes : elle est devenue une femme seule, fragile et ravagée par la culpabilité. »
Je viens de découvrir qu’Actes Sud a fait paraître un ouvrage qui semble parfait pour prolonger ma lecture de Stasiland : Histoire d’un Allemand de l’Est de Leo Maxim, dont le titre fait évidemment référence aux célèbres mémoires de Sebastian Haffner Histoire d’un Allemand – Souvenirs (1914-1933). Le second était déjà dans ma PAL, le premier l’y rejoindra certainement très bientôt.
Par ailleurs, fin mai, Jenny Erpenbeck et son traducteur Michael Hoffmann se sont vu décerner le Booker Prize International pour le roman Kairos qui met en scène une histoire d’amour destructrice à Berlin-Est dans les années 1980, une histoire à la fois individuelle et collective car symbolique de la fin des idéaux en RDA. C’est évidemment très tentant et on peut espérer que cette prestigieuse récompense incitera les maisons d’édition françaises à traduire ce roman très prochainement.
Eva est celle qui nous a incitées à lire Stasiland et je l’en remercie infiniment. Nathalie, Fabienne, Keisha, Alex, Une comète, Ingrid et Alexandra se sont jointes à moi pour cette lecture commune très instructive sur les pratiques totalitaires et les séquelles qu’elles laissent dans une société. N’hésitez pas à lire leurs avis, pour certains plus nuancés que le mien 😅.
Si le sujet vous intéresse, quelques autres lectures en lien avec la RDA et la réunification sont à retrouver sur ce blog ici, ici et là.
Traduction du danois par Alain Gnaedig – Éditions Gallimard
Si je n’avais pas déjà trouvé un auteur-chouchou pour le challenge proposé par Géraldine, j’aurais sans doute choisi Jens Christian Grøndhal. Car, avec Les jours sont comme l’herbe, je viens de découvrir un auteur d’une grande élégance qui se frotte à l’Histoire comme aux sujets de société les plus contemporains (politique migratoire, criminalité en col blanc) avec sobriété et sensibilité.
Six courts romans ou longues nouvelles forment Les jours sont comme l’herbe. Six récits qui se passent à des époques et dans des lieux différents. Leur point commun : des protagonistes qui vivent ou ont vécu avec les conséquences d’un choix, le leur ou celui d’un(e) proche. Les chemins qui sont pris ne permettent pas de retour en arrière et rien ne sera plus jamais comme avant. Pourtant, à l’exception de la nouvelle intitulé Villa Ada, ces choix n’ont a priori rien de spectaculaire. C’est là que l’auteur est très fort : l’air de rien, il sait insuffler une véritable tension et nous plonger dans la psyché humaine.
« Quand je raconte ce qui s’est passé ensuite, chacun comprendra que nous n’aurions jamais pu imaginer que les choses auraient pu tourner ainsi. À mesure que les semaines et les mois se sont écoulés, j’ai pu voir, peu à peu, comment une chose en a appelé une autre, mais les événements décisifs qui ont changé le cours de l’histoire sont arrivés de manière totalement inattendue. »
Pour moi, ces « courts romans » (terme employé par l’éditeur) parlent avant tout de valeurs humaines et de la déception, et même de la mélancolie qu’on peut ressentir lorsqu’on les voit bafouées ou qu’on constate le prix qu’il faut payer lorsqu’on s’y tient. Étrangement, j’ai trouvé ce roman très réconfortant et lumineux. Peut-être parce qu’il donne le sentiment de pas être seul(e) avec certaines pensées dans ce monde souvent désespérant…
Grâce à ma co-lectrice du jour, j’ai nommé Jostein (merci à elle de m’avoir accompagnée), j’ai déjà en vue un autre roman extrêmement prometteur signé par cet écrivain danois : Les Portes de fer. Mes petites recherches m’ont aussi conduite à noter le titre de son essai L’Europe n’est pas un lieu, qui me semble d’une actualité plus brûlante que jamais.
PS : Kathel et Ingannmic ont elles aussi chroniqué plusieurs romans de ce Danois qui s’est visiblement taillé un beau succès auprès du public français. N’hésitez pas à lire leurs avis sur les romans Quatre jours en mars (également chroniqué par Jostein ici), Les complémentaires, Les mains rouges, Piazza Bucarest. Patrice a lui aussi lu et aimé Les mains rouges dont le sujet me tente beaucoup également. Le choix de ma prochaine lecture grøndahlienne sera cornélien !
Travailler comme opérateur en usine ou en tant qu’agent de sécurité, faire des saisons de cueillette ou dans des stations de ski … Ces emplois ont tous en commun leur coût physique, leur précarité et leur faible statut social. Ils sont au cœur du roman de Thomas Flahaut, jeune auteur français installé en Suisse, que j’ai lu avec Eva dont vous retrouverez l’avis sur son blog Et si on bouquinait un peu.
Pour Thomas, cet été à Lacombe est le premier tandis que Mehdi a déjà plusieurs missions estivales dans cette usine suisse à son actif. Louise, la sœur de Thomas, fait des études de sociologie et s’apprête à rédiger une thèse sur les frontaliers français qui travaillent de l’autre côté de la frontière. Tous trois ont grandi dans le même quartier et leurs pères ont eux aussi travaillé à Lacombe, avec des fins de carrière très différentes cependant. On les accompagne le temps d’un été caniculaire entre travail sur machine et dans les champs, fermeture d’usine, fêtes improvisées et conflits avec les parents qui aimeraient voir leurs enfants faire « mieux qu’eux ».
« Moi, j’ai essayé de sortir du trou où j’étais né. Je suis parti. J’ai trouvé un travail en Suisse. C’était dur, mais je me suis dit que l’argent serait une compensation. J’ai pensé qu’avec cet argent, je pouvais vous offrir de ne pas échouer. Je vous ai peut-être trop mis la pression. Parce que aujourd’hui, je n’aime pas la façon que vous avez de me regarder. Je crois qu’il n’y a que de la colère entre nous. J’ai parfois été en colère contre toi parce que je te trouvais prétentieux. Ce n’est pas bien. J’étais triste quand tu es allé à l’usine. J’étais fier de toi aussi. Mais j’essayais de ne pas te montrer que j’étais fier. »
J’ai trouvé ce roman très juste. Pour moi, l’auteur a su capter le manque de perspectives des jeunes en zone rurale ou périurbaine, avec en plus ici le fossé entre les Suisses, mais aussi les frontaliers aisés d’un côté, et les classes plus populaires et plus précaires de l’autre. Si la relation entre Mehdi et Louise apporte un peu de lumière dans ces Nuits d’été, le propos reste sombre. Avec une écriture sans fioriture et malgré quelques notes plus optimistes, Thomas Flahaut livre donc un roman désenchanté et une radioscopie précieuse d’une génération pour laquelle l’ascenseur social ne fonctionne souvent plus et qui doit se chercher un ailleurs.
« D’ailleurs, une fois, j’ai pensé à ce que ça pouvait signifier, ce mot, opérateur. Un ouvrier, ça fait une œuvre. Ça sait ce que ça fait, même si son boulot est chiant, que c’est que des petits gestes paramétrés à l’avance. Et puis, ça signifiait autre chose encore, à une autre époque. Ça signifiait un monde et une fierté. Quand t’es opérateur, tu fais des opérations. C’est tout. Tu vaux moins que la machine, t’es pas fier. Y a pas de monde non plus. Tu te fais pas d’amis parmi les collègues intérimaires parce que tout le monde change tout le temps de boîte. Et les fixes, ils te regardent de haut. Tout ce qui fait te tenir, quand tu bosses en Suisse, c’est l’argent. Les ouvriers ont de la loyauté envers leur usine. Moi, je suis opérateur intérimaire et je suis loyal envers l’argent. »
Retrouvez d’autres lectures sur les mondes du travail chez Ingannmic !
Encore un petit billet non livresque pour cause de vacances. Aujourd’hui, je fais un point sur les rendez-vous auxquels je participe en ce printemps 2024.
En avril, c’est le formidable Mois au Japon chez Lou et Hilde. Ma modeste contribution cette année a déjà paru il y a quelques jours avec ma chronique sur Le goûter au lion, un roman doux-amer d’Ogawa Ito.
Fabienne propose de lire sur le Rwanda d’avril à juillet avec ses Cent jours au pays des mille collines et j’ai bien l’intention de prendre part à cet événement, peut-être avec un essai si celui que j’envisage n’est pas trop ardu.
Tourné vers d’autres contrées le reste de l’année, mon blog se mettra exceptionnellement à l’heure anglaise en juin. J’ai quelques classiques dans ma PAL qui va donc s’affiner avant la plage grâce au Mois anglais. Merci d’avance à Lou et Titine pour cette « opération dégraissage ».
J’ai pris goût aux voyages en mer grâce au Book trip maritime piloté par Fanja. Après Oiseaux de tempête, je chroniquerai dès lundi une nouvelle lecture pleine d’embruns … et d’angoisse.
J’ai par ailleurs trouvé mon auteur-chouchou pour le défi proposé par Géraldine. Ce sera le Néerlandais Gerbrand Bakker dont j’ai adoré Parce que les fleurs sont blanches, découvert grâce à Eva lors d’une récente lecture commune. J’ai jusqu’au 31 août 2025 pour explorer sa bibliographie, mais ce printemps me verra déjà lire au moins un de ses romans.
D’ici le solstice d’été, je participerai à plusieurs lectures communes :