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Le théâtre des merveilles – Lluís Llach

Traduction du catalan par Serge Mestre – Éditions Actes Sud (Babel)

Bienvenue au Maravillas, le Théâtre des merveilles ! Dans les années 1930, sur la célèbre avenue Paral.lel de Barcelone, ce théâtre de cabaret abrite une troupe hétéroclite et chaleureuse, une véritable famille pour Mireia qui y vit avec son frère Lluís. Contrainte à l’exil par la victoire des fascistes, Mireia aura un fils unique et sans père, Roger, qui deviendra l’un des plus célèbres barytons de son temps.

Il y a du souffle, de la magie et de l’humour chez Lluís LLach. C’est bien simple : dès les premières pages, j’ai été totalement embarquée dans la vie de ce théâtre. On a très vite le sentiment de faire partie de la famille du Maravillas, et découvrir toutes les coulisses de la vie d’un grand cabaret s’avère passionnant. Du travail des machinistes à la création musicale et chorégraphique à l’art du placement, du soufflage et de la claque, on est au cœur de la machine telle qu’elle existait avant le tout électronique et numérique.

L’insouciance laisse cependant assez vite place aux tensions sociales, puis à la guerre civile qui contraint les plus militants à l’exode. Mireia connaît alors le sort de nombreux réfugiés espagnols parqués dans le camp d’Argelès-sur-Mer. Elle vivra ensuite à Sète où elle élèvera son fils et veillera à l’initier à la musique. A l’âge de 16 ans, Roger ira à Barcelone et connaîtra bientôt un succès phénoménal.

Image par MustangJoe de Pixabay

Après deux premiers tiers éblouissants, qui me faisaient reprendre avec hâte et un immense plaisir ma lecture après chaque interruption, le charme a moins opéré, je dois bien le reconnaître. Il aurait fallu faire plus court dans la dernière partie, et moins sentimental à mon avis. J’ai malgré tout beaucoup aimé ce roman qui nous faire suivre la carrière et le travail d’un chanteur lyrique (imaginaire), et la vie de tout un pays sous le joug de la dictature.

Lluís LLach évoque en effet aussi la censure poussée jusqu’à l’absurde sous le franquisme et dont pâtissait le milieu artistique espagnol. Lui-même a dû quitter l’Espagne de 1971 à 1976 pour ce qu’il a appelé, non sans humour, du « tourisme pour motivations politiques ».

Musicien, chanteur, compositeur, il est aussi l’auteur de 4 romans, tous écrits en catalan. Il s’est également engagé en politique, en particulier dans les années 2010 en Catalogne. Il s’est parfois produit en tant que baryton, notamment en interprétant Le Requiem de Fauré dont il est question dans le roman, et a collaboré avec le ténor d’origine barcelonaise José Carreras. Nul doute qu’il s’est inspiré de sa propre expérience et de celle de José Carreras pour nourrir cette « fausse autobiographie » de Roger Ventós.

Ma petite déception sur la fin du roman ne m’empêche d’avoir très envie de lire d’autres romans de cet écrivain touche-à-tout, en particulier Les femmes de La Principal. En attendant, Le Théâtre des merveilles me permet une nouvelle participation en musique au Printemps des artistes.

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Bulgarie Romans

Ballade pour Georg Henig – Viktor Paskov

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions de L’Aube

Largement autobiographique, Ballade pour Georg Henig est un hymne à l’art, à la musique et à la vocation artistique. C’est aussi le récit d’une enfance marquée par la pauvreté et révoltée par la mesquinerie.

« Tandis qu’il taillait à l’aide de fins ciseaux l’extrémité des deux parties du violon, Georg Henig me racontait des histoires de violons : les plus beaux contes qu’il avait jadis entendus, dans son enfance. Il me parlait des différentes écoles : Brescia, Crémone, Venise, Milan, Naples, l’école tyrolienne, l’école saxonne, l’école viennoise ; il me racontait que les violons parcouraient le monde entier, de main en main, et tombaient tantôt dans celles de charlatans, de riches comtes et barons, dans des palais et dans de pauvres maisons : qu’il est étrange, le sort d’un instrument fait par un maître ! Quelles déchéances et tragédies, mais aussi quelle admiration et quelle gloire ! »

Georg Henig, luthier tchèque venu en Bulgarie pour « aider quelques exaltés à créer une culture musicale en Bulgarie », finit sa vie dans la solitude et la misère la plus noire. Abandonné de tous, y compris de ses anciens élèves, il ne se laisse approcher que par la famille de Victor, un enfant que le vieil homme fascine par son dévouement total à son art.

Poétique, ou plutôt musical, ce court récit à hauteur d’enfant est très mélancolique et les touches de lumière sont très rares. Tout est fait pour créer une impression oppressante : les lieux de vie exigus et étouffants, les difformités physiques, la saleté omniprésente, les attitudes obsessionnelles …

Portrait de la vie quotidienne d’un quartier très pauvre où chacun tente de survivre et de ne pas sombrer dans la folie, cette Ballade pour Georg Henig recèle de magnifiques passages sur la vie de quartier, l’amitié et la solidarité, comme sur l’art de la lutherie. Si je lui ai trouvé des longueurs et une certaine lourdeur psychologique (Victor Paskov semble prisonnier de la nostalgie, y compris d’un temps qu’il n’a pas connu lui-même), j’ai été sensible à ce vibrant hommage aux artistes/artisans d’art et à cette immersion dans la Bulgarie d’après-guerre.

Ballade pour Georg Henig a déjà été lu et chroniqué par Passage à l’Est et Soufflebleu (que je découvre à cette occasion), ou encore par Lire et merveilles et Patrice lors du Mois de l’Europe de l’Est.