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Corée du Sud Romans

Impossibles adieux – Han Kang

Traduction du coréen par Kyungran Choi et Pierre Bisiou – Éditions Grasset

Alors qu’elle envisageait quelques jours plus tôt de se suicider, Gyeongha est contactée par Inseon, une amie perdue de vue depuis plusieurs années. Immobilisée dans un hôpital de Séoul, celle-ci lui demande de se rendre chez elle, sur l’île de Jeju, pour prendre soin de son oiseau. Au cours de ce voyage en pleine tempête de neige, Gyeongha se remémore sa rencontre et son amitié avec Inseon. Dans la maison de son amie, elle découvre aussi l’histoire de la mère d’Inseon et de sa famille, qui fut celle de toute l’île victime de massacres à grande échelle en 1948.

J’ai déjà fait quelques incursions, jusqu’alors pas très concluantes, dans la littérature coréenne. J’ai par exemple abandonné Le vieux jardin de Sok-yong Hwang qui m’avait perdue par trop de références à l’Histoire de la Corée dont je ne sais à peu près rien et un style trop sec à mon goût.

L’Histoire est également au cœur d’Impossibles adieux, sans que cela soit problématique pour moi cette fois-ci, et Han Kang m’a totalement convaincue. J’ai aimé ses ellipses, son évocation extrêmement sensible de l’absence et des relations familiales ou amicales, sans oublier ses allers-retours entre une réalité très sensorielle et des épisodes oniriques. Pourtant, l’onirisme est facilement rédhibitoire pour moi… C’est dire si la plume de cette autrice a su me captiver.

Sur l’île de Jeju – photo de hsunny78 pour Pixabay

Je me suis certes renseignée un peu sur les événements évoqués en cours de lecture, mais j’aurais pu m’en passer. Les massacres perpétrés et leurs conséquences sur des régions et des générations entières sont malheureusement suffisamment répandus pour que ce texte ait une portée universelle. Le plus frappant, c’est peut-être finalement l’omerta totale qui a régné sur cette histoire dans tout le pays pendant des décennies.

Ce roman ne se limite pas à mettre en lumière ces faits tragiques et révoltants (ce qui serait déjà pas mal). Il n’en est d’ailleurs question qu’à partir de la deuxième moitié du texte. Han Kang s’attarde d’abord sur le mal-être de sa narratrice, sur sa relation presque sororale avec Inseon, et évoque en filigrane leur travail documentaire. Le tout avec une omniprésence de la neige et de sa blancheur que j’ai trouvée envoûtante.

En quelques mots : Han Kang a bien mérité son Prix Nobel (2024) si le reste de son œuvre est à l’avenant de ce magnifique roman.

D’autres avis sont à lire chez Anne-Yès, Sunalee, Jostein, Fanja, Wodka et Electra.

PS : Un grand merci à A. pour ce cadeau, une fois de plus très bien choisi !

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Chili Essais et autres livres

La jeune fille et la mort – Ariel Dorfman

Adaptation de l’espagnol (Chili) par Gabriel Auer – Actes Sud

Avant de devenir un long-métrage (1994) avec Sigourney Weaver et Ben Kingsley, La jeune fille et la mort était une pièce de théâtre du Chilien Ariel Dorfman, également scénariste du film. Si l’intrigue est censée se dérouler dans un pays d’Amérique du Sud sans plus de précision, on peut supposer que l’auteur parlait de son pays, où il a lui-même échappé de très près à la mort.

Gerardo est avocat et vient d’être nommé à la tête d’une commission chargée d’enquêter sur les meurtres commis pendant la dictature qui vient de s’achever dans son pays. Suite à une banale crevaison sur son trajet de retour, il fait la connaissance de Roberto Miranda, un homme que Paulina, la femme de Gerardo, assomme et séquestre lorsqu’il se présente chez eux quelques heures plus tard. Car elle en est convaincue : cet homme était l’un de ses tortionnaires il y a 15 ans.

Le doute est savamment entretenu : Le docteur Miranda est-il l’homme qui a torturé Paulina au son d’un lied de Schubert ou les fantômes de Paulina sont-ils en train de la rendre folle ? Évidemment, je ne vais pas divulgâcher, mais sachez que ce suspense n’est pas le seul intérêt de ce texte. Les liens entre Gerardo et Paulina, entre autres, sont complexes et mettent bien en lumière les fractures de leur pays.

En moins de 60 pages, Ariel Dorfman soulève donc des questions que doivent se poser bien trop de pays et de peuples ayant connu une dictature, un génocide ou encore l’apartheid. Vérité, culpabilité, justice, vengeance, réparation, réconciliation : les enjeux de cette confrontation sont immenses dans le contexte d’une transition démocratique fragile.

C’est dense, fort et on ne sort pas de cette lecture indemne.

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Autriche Romans

Les âmes de feu – Annie Francé-Harrar

Traduction de l’allemand (Autriche) par Erwann Perchoc – Belfond

Les âmes de feu, quel beau titre mais quelle affreuse réalité dans ce roman puisqu’il s’agit des conséquences du réchauffement climatique et de la destruction de la nature !

Les humains vivent dans des métropoles comparables à des fourmilières dotées de noms laissant peu de place à l’imagination : A15, G12, F24 … Seuls de rares paysans occupent des territoires encore à l’état naturel qu’ils cultivent et où ils élèvent du bétail. Lorsque le roman commence, ces habitants de la campagne sont rapatriés de force dans les métropoles car leur travail est devenu inutile : toute l’alimentation nécessaire est désormais extraite de l’air ambiant. Au même moment, le jeune Daniel et sa compagne décident de faire le chemin inverse et de quitter la ville pour la campagne où ils pourront vivre librement la relation amoureuse qui leur est interdite dans la métropole.

De son côté, avec l’aide de son assistant Alfred 6720, le professeur Henrik 19350 mène des recherches sur les conséquences du mode de vie de ces métropoles et, grâce aux observations de Daniel, voit ses craintes se confirmer : le monde court à sa perte. À force d’exploiter la nature, l’humanité a créé une sorte de golem incandescent.

Objectif SF 2025, c’est chez Sandrine, alias Tête de lecture.

Dans cet univers futuriste, l’autrice a anticipé (ou imaginé) un réchauffement climatique (qui serait dû ici à l’exploitation de l’azote). Cette vision d’un monde sans véritables saisons et avec des vagues de chaleur écrasantes nous est douloureusement familière. Chose appréciable pour moi qui ne suis pas une grande lectrice de SF et encore moins de hard science SF : les aspects scientifiques sont tout à fait accessibles, et de toute façon en partie obsolètes, donc inutile de s’y attarder. Ce qui compte ici, ce sont les conséquences de cet usage de la science.

Si l’idée de départ était prometteuse, je dois cependant dire que je me suis ennuyée à cette lecture. Le style est soigné mais plat, avec uniquement quelques envolées descriptives curieusement décalées par rapport au reste du texte. Les personnages sont sans substance. Qu’ils s’en sortent ou pas, cela m’était totalement égal. Certains fils de l’intrigue m’ont également semblé artificiels. Je n’ai pas compris l’intérêt de l’attachement d’Alfred 6720 pour Aïne notamment. Une nécessité éditoriale d’histoire semi-romantique peut-être ? De manière générale, il y a probablement trop de personnages, mal exploités, et l’intrigue pourrait tenir plus efficacement sous forme de novela. Je me suis aussi demandée si un récit à la première personne ne lui aurait pas donné plus de corps. Pour terminer, la fin est un peu plan-plan, avec une vision trop idyllique (à mon goût) de la vie paysanne.

Bref, une déception pour moi, mais ce n’est que l’avis d’une néophyte en SF. D’ailleurs, Je lis je blogue, chez qui j’ai pioché cette idée, a aimé !

PS : Dans Les âmes de feu, les citadins ne se déplacent plus qu’en « autinos ». Conséquence inévitable : ils se ramollissent et faire plus de 2 pas leur est quasiment impossible physiquement. Toute ressemblance avec une trottinette électrique était certainement fortuite à l’époque (1920), mais aujourd’hui elle saute aux yeux !

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Romans Tchéquie

Les dernières déesses – Kateřina Tučková

Traduction du tchèque par Eurydice Antolin – Éditions Charleston

Il ne faut pas se fier à cette couverture aux couleurs éclatantes, presque hippie : ce roman hybride dans sa forme est en réalité très sombre. Hybride parce qu’il mêle travaux universitaires, rapports de la police secrète tchèque, compte rendus de recherche, rapports médicaux, récits folkloriques et trame romanesque. Sombre parce qu’il y est question de chasse aux sorcières, de persécutions politiques, de malédiction et de vengeance.

Au cours de ses études d’ethnologie, Dora a choisi de faire porter sa thèse sur les « déesses », ces guérisseuses traditionnelles particulièrement implantées dans la commune de Žítková, dans une région inhospitalière des Carpates blanches en Tchéquie. Dora est d’ailleurs l’une de leurs descendantes. Quelques années après la Révolution de velours, désireuse de comprendre son histoire familiale, elle rouvre ses recherches. Celles-ci prennent une tournure totalement nouvelle puisqu’elle a enfin accès à des sources qu’il lui était impossible de consulter du temps du Rideau de fer. Elle découvre alors que sa tante, et d’autres guérisseuses, ont été surveillées de très près par l’occupant nazi, puis par la police secrète tchèque. Les guérisseuses auraient-elles collaboré avec l’ennemi ? Et qui, au sein du nouveau régime, pouvait les craindre et les détester avec un tel acharnement ?

Ce roman se lit comme une enquête policière, mais avec force explications ethnologiques. Avec Dora, on veut comprendre ce qui est arrivé aux dernières déesses et à sa famille même si c’est parfois un peu confus, en partie parce que les noms et surnoms tchèques m’ont demandé un petit temps d’adaptation 😋 et parce que la lignée de Dora est pour le moins complexe. Un arbre généalogique n’aurait pas été de trop pour moi ! Globalement, il manque un accompagnement éditorial : les sujets abordés sont passionnants et de très nombreux éléments sont de toute évidence des faits réels. J’aurais apprécié, en fin de lecture, de savoir ce qui est avéré, ce qui est tiré des légendes locales et ce qui est purement romancé. La fin est un peu rapide également, j’aurais préféré qu’elle soit plus développée même si j’ai aimé qu’elle reste empreinte de mystère.

Les Carpates blanches, Moravie – Image par anjoulie de Pixabay

Quoiqu’il en soit, j’ai découvert ici tout un pan des délires aryens qui ont alimenté l’idéologie nazie et qui ne se limitaient pas au phénomène des Lebensborn par exemple. Et j’ai mieux mesuré la difficulté qu’il y avait à faire des recherches universitaires dans un système où il fallait être très prudent quant au choix et à la délimitation de son sujet de thèse. Le risque de se voir accusé(e) d’être un(e) ennemi(e) du régime était grand. Devoir travailler sans les archives d’un pays voisin et pourtant inaccessible pour des raisons politiques était un autre obstacle majeur. Ça paraît évident bien sûr, mais je ne réfléchis pas à la question très souvent, je l’admets 😆. Ça fait d’ailleurs partie de ce que j’apprécie avec de telles lectures : j’en ressors moins naïve tout en étant fort agréablement distraite.

Parfois un peu décousu, ce roman m’a tenue en haleine et offre bien plus qu’un énième livre sur les sorcières contemporaines. Il dénonce de nombreuses formes de contrôle exercées contre des humains, et en particulier contre des « femmes puissantes » : traitements psychiatriques abusifs au service d’un régime dictatorial, surveillance par des « informateurs informels », délation et dogme religieux haineux. Cet aspect sociologique et historique dans la Tchéquie du 20e siècle était bien amené et m’a beaucoup plu.

Madame Lit en avait parlé elle aussi. Son billet est ici.

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Chili Romans

La raconteuse de films – Hernán Rivera Letelier

Traduction de l’espagnol (Chili) par Bertille Hausberg – Éditions Métailié poche

Un nouveau rendez-vous est lancé sur la blogosphère grâce à Doudoumatous : le Printemps latino, du 20 mars au 20 juin. Pour sa première édition, il est consacré au Chili et j’ai choisi pour ma 1re chronique chilienne un auteur dont j’entends parler depuis un certain temps : Hernán Rivera Letelier. Parmi la dizaine de romans traduite et publiée en France, je me suis laissée guidée par le titre qui a aiguisé ma curiosité de cinéphile.

María Margarita a 10 ans et vit avec son père et ses frères dans le désert de l’Atacama. Dans leur village qui vit de l’extraction du salpêtre, « l’or blanc de l’Atacama », l’une des rares attractions, c’est le cinéma. Un luxe que la famille peut rarement se permettre et María Margarita est donc chargée d’aller voir les films avant de les raconter ou plutôt de les rejouer au reste de la famille, et bientôt à un public de plus en plus nombreux.

Crédits : https://colegiomanuelrodriguez.cl/mr/exelearning/6HisU4/el_trabajo_en_las_minas_salitreras__18801960.html

María Margarita raconte à merveille la vie de sa famille et du village qui vit sous la coupe de la Compagnie et des gringos qui exploitent le salpêtre. Touchant et pittoresque, son récit a d’abord la légèreté et la gravité de l’enfance avant de s’assombrir : les perspectives d’avenir sont inexistantes pour la population de ces régions inhospitalières où règnent la pauvreté, l’alcoolisme et la brutalité.

On sent une grande nostalgie dans ce court roman à l’écriture évocatrice et enlevée. Je l’ai trouvé très agréable à lire, mais je dois dire aussi qu’il sera vite oublié. Cela dit, si vous cherchez une lecture facile et dépaysante, qui parle d’un Chili d’avant la dictature, c’est un excellent choix.

Sandrine a lu un autre roman de cet auteur il y a quelques temps et son avis est à retrouver ici.

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À propos

Deux festivals littéraires

Les Boréales et VO/VF, traduire le monde

Cette année, 2 festivals rejoindront (thématiquement) la Rentrée à l’Est et je ne pouvais donc pas laisser passer cette occasion de vous parler de ces rendez-vous. Ils me tentent depuis un moment et au vu de leur programmation 2025, je ne vais sûrement pas pouvoir résister et il est fort possible que, pour la 1re fois, je me rende à un festival littéraire (voire 2 !).

Créé en 1992, le festival Les Boréales de Caen est aujourd’hui « le plus important festival dédié à la culture nordique en Europe ». Mais il ne se limite pas aux 5 pays nordiques et s’étend au Groenland, aux îles Féroé et aux pays baltes. En novembre prochain, ce sont justement l’Estonie, la Lettonie et la Lituanie qu’il mettra à l’honneur. Il faut croire que j’ai eu le nez creux avec mon choix de destination en 2024 😅. Quelques noms désormais familiers (Jānis Joņevs, Laura Vinogradova, Elīna Brasliņa) seront présents aux côtés de nombreux autres écrivain(e)s et illustrateurs/illustratrices qui prouveront la vitalité de la littérature, y compris jeunesse, et de la BD baltes.

Le festival n’oubliera pas les autres pays, par exemple avec l’événement Nordic noir qui accueillera exclusivement des femmes autrices de polars, dont les très populaires Camilla Grebe, Karin Smirnoff et Katrin Engberg. Et bonne nouvelle pour moi, le Danois Jens Christian Grøndahl sera également de la partie, sans oublier des autrices et auteurs islandais (Auður Ava Ólafsdóttir…) et finlandais. Il y aura aussi des concerts, des séances de cinéma, du théâtre, du cirque… et des « cantines boréales » 🍴 😋.

Plus confidentiel (et entièrement gratuit), le festival VO/VF, traduire le monde de Gif-sur-Yvette en Essonne est dédié à la littérature étrangère par le biais de la traduction. Et devinez qui sera la traductrice à l’honneur de l’édition 2025 ? Je vous le donne en mille : ce sera Marie Vrinat-Nikolov, LA traductrice française et grande passeuse de littérature bulgare.

Le programme est là encore très alléchant avec bien sûr des rencontres avec des écrivains et des traducteurs/traductrices, des lectures, des débats et conférences sur une foule de thèmes, mais aussi des projections et des ateliers pour les adultes aussi bien que pour les ados et les jeunes enfants. Jetez un œil au programme de l’an dernier pour vous faire une idée, tout faisait envie (dommage que je n’ai pas été libre à cette date 😩…). Par ailleurs, c’est traditionnellement lors de ce festival qu’est remis le Prix de la traduction de l’Inalco-VO/VF 🏆. Je vais bien sûr me tenir au courant régulièrement car j’imagine que quelques écrivain(e)s bulgares seront à Gif-sur-Yvette cet automne… Personnellement, j’adorerai y croiser Theodora Dimova et Maria Kassimova-Moisset !

Si vous êtes tenté(e), sachez que le festival VO/VF, traduire le monde aura lieu du 3 au 5 octobre 2025 et les Boréales du 13 au 23 novembre 2025. N’hésitez pas à me faire signe si vous pensez y aller 😎.

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À propos

Deux ans déjà

Deux ans déjà ! C’est donc l’heure de mon petit bilan annuel, marqué cette fois par le lancement du 1er grand rendez-vous organisé sur mon blog : la Rentrée à l’Est. Merci encore à vous de m’avoir accompagnée en 2024 dans cette mise à l’honneur de la littérature balte ! Et vivement septembre pour une plongée dans la littérature bulgare.

Le bilan

Je travaille encore au désherbage de ma PAL, tout en m’autorisant quelques entrées très occasionnelles. 2025 devrait ainsi me revoir participer aux Pavés de l’été (pour les Épais, je ne garantis rien, n’étant pas fan des énormes bouquins). Je tenterai également une contribution ou deux à l’Objectif SF 2025 chez Sandrine.

Mon tour du monde

Lentement, mais sûrement, j’élargis mes horizons (les pays entrants apparaissent en vert). Il devrait y avoir encore quelques nouvelles destinations d’ici l’an prochain grâce au Printemps latino chez Je lis je blogue, au Mois espagnol et sud-américain chez Sharon et aux lectures communes de littérature d’Asie du Sud-Est proposées par Sunalee.

Mon TOP 10

Mes projets pour l’an 3 du blog

Encore merci à toutes et à tous de me suivre et de me faire découvrir toujours plus de livres !

PS : Je dois cette fois encore mes illustrations à Émilie !

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Croatie Romans

La guitare de palissandre – Kristina Gavran

Traduction du croate par Chloé Billon – Les Éditions Bleu et jaune

Quel magnifique roman ! C’est encore un coup de cœur ❤️ pour moi ! Et je le dois à Eva et Patrice qui proposent aujourd’hui une lecture commune autour des excellentes Éditions Bleu et jaune.

Cinq femmes jouent un rôle déterminant dans la vie de la guitare d’exception qui a donné son nom au roman : Asha, la porteuse de graine, Ruža, la mère qui transgressera les règles pour sauver sa famille, l’Orpheline née au milieu des fées de la forêt, Gabrijela la muse et Petra la musicienne. Envoûtante, la plume de Kristina Gavran rend tous ses personnages (il y a aussi des hommes) et leur univers aussi vivants que mystérieux. L’écriture est limpide, tout comme le récit, et d’emblée, j’ai eu mille peines à reposer La guitare de palissandre quand les contingences de la vie m’y obligeaient.

« Elle se lava du contact des fées sur sa peau, des empreintes des doigts qui avaient peigné ses cheveux, du parfum des fleurs dont elles avaient couvert son corps chaque matin, de toutes les années qu’elle avait passées avec elle. Elle savait que, rapidement, elle ne se souviendrait plus de rien – on l’avait prévenue quand elle était sortie de la forêt. Pas parce que les fées ne voudraient plus d’elle, mais parce que c’était la seule manière pour la forêt de survivre. »

Photo de Joe sur Pixabay

Construit comme une partition musicale, le roman est composé de plusieurs mouvements (« glissando », « pizzicato ») découpés en chapitres avec, en épigraphe, le titre d’une pièce musicale et le nom de son interprète. On peut donc accompagner sa lecture de l’écoute d’airs de guitare soigneusement choisis si on le souhaite. Trop plongée dans l’histoire, je ne me suis pas interrompue pour chercher ces musiques mais c’est prévu pour très bientôt.

C’est sans la moindre difficulté qu’on passe d’un chapitre à l’autre et qu’avec chacune de ces femmes, on évolue dans des temps anciens ou à notre époque. En nous racontant la naissance et la vie de la guitare de palissandre, Kristina Gavran nous parle de femmes majestueuses et d’une grande sensibilité, des femmes qui sont toutes des fées à leur manière. L’autrice magnifie l’art et l’amour de l’art(isanat) et aborde des thèmes éternels et très contemporains comme la maternité, la transmission, l’intolérance ou encore le respect de la nature. C’est lumineux et servi par une remarquable traduction.

Keisha et Ingannmic sont tout aussi enthousiastes que moi. Vous pouvez lire leur avis ici et .

PS : Pour retrouver tous les billets de cette lecture commune à la découverte des Éditions Bleu et jaune, rendez-vous chez Et si on bouquinait ?