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Bulgarie Romans

Rhapsodie balkanique – Maria Kassimova-Moisset

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions des Syrtes

En musique classique, une rhapsodie ou rapsodie (du grec ancien ῥάπτω / rháptō, « coudre », et ᾠδή / ōidḗ, « chant », littéralement couture de chants) est une composition pour un soliste, un ensemble de musique de chambre ou un orchestre. De style et de forme très libres, souvent en un seul mouvement et assez proche de la fantaisie, la rhapsodie repose presque toujours sur des thèmes et des rythmes régionaux, folkloriques ou traditionnels. (source : Wikipedia).

Une couture d’histoires marquées par des superstitions et des croyances religieuses poussant à l’intolérance, par la pauvreté mais aussi par la fantaisie, la joie de vivre, l’amour : Rhapsodie balkanique est un titre parfait pour ce très beau roman aux accents turcs, grecs et bulgares :


« Contrairement à son frère, Haalim comprenait bien cette langue. Il aimait sa sonorité ferme, parfois aiguë, ses mots anguleux s’accrochant lourdement les uns aux autres, comme quelqu’un qui essaie d’atteler des chevaux fougueux. « Mon petit garçon », lui disait sa mère, et ce m avec ce p, ensuite ce r avec le ç roulaient comme ces billes en verre bigarrées un peu bosselées et s’ordonnaient joliment malgré leur vilaine apparence. »

Cette rhapsodie, c’est l’histoire de la famille de Maria Kassimova-Moisset, et plus particulièrement celle de sa grand-mère paternelle Miriam. Miriam qui – par amour pour Ahmed – n’a pas cédé d’un pouce face aux conventions et aux malédictions, qui a quitté sa chère Bulgarie pour la Turquie, qui a trimé pour élever ses enfants et qui a dû prendre un jour une décision terrible que sa petite-fille cherche encore à comprendre.

« Elle n’était pas comme les autres, cette enfant, ça non. Elle la regardait droit dans les yeux et ne cillait pas. Elle pleurait rarement – depuis ce premier vagissement, lorsque pour la première fois elle avait entendu son prénom, ses pleurs choisissaient eux-mêmes pourquoi ils devaient être versés. Elle se comportait comme si tout lui était familier. Elle n’avait peur de rien ni de personne. »

Avec une très belle langue, servie par une remarquable traduction, Maria Kassimova-Moisset parvient à faire de petits gestes, d’infimes détails un récit palpitant qui nous transporte dans les Balkans du début du 20e siècle. Fluide, délicate et imagée, son écriture m’a envoûtée. J’ai adoré Miriam, Ahmed et Haalim, et même Theotitsa, véritable personnage de tragédie grecque. Je ne suis pas prête de les oublier !

Si je ne vous ai pas convaincu(e)s, lisez les avis de Doudoumatous, Luocine, Patrice et Ally 😉.

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Chine Mongolie Romans

Mon beau cheval noir – Zhang Chengzhi

Traduction du chinois par Qiang Dong – Éditions Philippe Picquier

Vous savez ce que c’est : de nos jours, on ne peut plus échapper aux boutiques à la sortie des musées ou des expositions. Celle consacrée à Gengis Khan et à la Mongolie, toujours visible à Nantes, n’a pas fait exception même si sa boutique se résumait à deux tables, essentiellement recouvertes de livres. Évidemment, c’était trop tentant et je suis repartie avec deux petits romans, dont Mon beau cheval noir.

Son auteur, Zhang Chengzi, est ethnologue et historien de formation. Considéré comme l’écrivain chinois musulman le plus influent de son pays, il a passé plusieurs années en Mongolie pour ses recherches. Cette expérience lui a inspiré quelques romans, Mon beau cheval noir semblant être le seul à avoir été traduit en français. Hormis quelques tournures qui m’ont un peu désarçonnée, la traduction est très belle et fluide, avec juste ce qu’il faut de notes pour expliquer certains termes ou traditions clés de la culture mongole.


« Dans une steppe sans limites, immense océan d’herbes, un homme sur un cheval s’avance lentement, solitaire. Le soleil brûlant tape directement sur lui. Le cavalier a tangué depuis des jours entiers dans le silence. Partout, des profondeurs de la nature, s’évapore le goût acre et suffocant des herbes. Indifférent à cette odeur qui lui est habituelle, la peau hâlée et sèche, il pense, fronçant les sourcils, au passé, aux siens, et à toute sa vie dure, remplie de peines. Il est rongé par les remords, les espoirs inassouvis et les blessures intérieures. En face de lui, la steppe ondule dans un souffle paisible. Muet, sans bruit, il s’avance dans ce silence. Une émotion insaisissable et indécise s’échappe de son corps. Telle une fumée, avec légèreté, tout bas, elle tourbillonne autour des sabots de son cheval. »

Mon beau cheval noir est non seulement le titre du roman, mais aussi celui d’une ballade mongole dont la trame rejoint l’histoire de Baiyinbaolige. Après des années passées en ville, ce jeune homme revient dans sa région natale et part à la recherche de son amour d’enfance, Somia. Au fil de son voyage sur le dos de Ganga-Hala, le fameux cheval noir, il se remémore leur enfance aux côtés de la vieille femme qui les a élevés, le moment de bascule où les sentiments fraternels ont pris une autre tournure, et la séparation.

Pour être franche, je craignais un roman hermétique pour moi, petite Occidentale, ou alors un récit folklorique. Que nenni, je suis tout de suite entrée dans l’histoire, évidemment très dépaysante mais parfaitement accessible et authentique.

Image par Kanenori de Pixabay

Mon beau cheval noir est un texte sublime dans lequel la nature et sa beauté sont magnifiées. Zhang Chengzi décrit sans fard la rudesse comme la dignité de la vie des petites gens dans ces régions isolées. Il fait preuve d’une grande tendresse envers ses personnages, à la fois simples et plus subtils qu’ils ne peuvent le paraître au premier abord. L’histoire d’amour entre Baiyinbaolige et Somia est pleine de nostalgie, mais aussi d’espoir car la steppe semble pouvoir consoler de tout. C’est à regret que j’ai refermé ce court roman si poétique.

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Italie Romans

Soie – Alessandro Baricco

Traduction de l’italien par Françoise Brun – Folio poche

Alessandro Baricco avait su me faire rire et m’émouvoir avec sa pièce de théâtre Smith&Wesson dont l’intrigue se déroulait au Canada dans les années 1900. Cette fois, c’est dans le sud de la France et au Japon, à la fin du 19e siècle, qu’il m’a emmenée avec son très bref roman sobrement intitulé Soie.

Poussé par un certain Baldabiou, personnage terre-à-terre et habile en affaires, l’indolent Hervé Joncour parcourt à plusieurs reprises des milliers de kilomètres entre la France et le Moyen-Orient, puis entre la France et le Japon. Son travail consiste en effet à acheter des œufs de vers à soie pour l’industrie qui fait vivre son village. Au Japon, il croise le regard d’une femme « au visage de jeune fille » et dont les yeux « n’avaient pas une forme orientale ».

Après une courte et plaisante mise en place historique, l’auteur tisse une atmosphère hypnotique autour d’Hervé Joncour. Cet homme plutôt insaisissable (et insipide ?) est totalement envoûté par la belle inconnue, inaccessible pour lui. Il poursuit cependant sa vie de riche marchand, oisif la majeure partie du temps, et de mari attentionné auprès de sa femme Hélène.

Voilà un roman bien écrit, agréable à lire et qui diffuse un charme indéniable. Pourtant, c’est le genre de livre que j’oublie aussitôt refermé. Je suis visiblement restée insensible à ce qui a fait son succès et séduit de très nombreux lecteurs dont Patrice récemment encore.

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Islande Romans

Le berger de l’Avent – Gunnar Gunnarsson

Traduction de l’islandais par Gérard Lemarquis & María S. Gunnarsdόttir – Éditions Zulma

Hors romances et cosy mysteries qui ne manquent pas à cette saison, le choix de lectures de Noël peut paraître limité pour les adultes. Pourtant, il est tout à fait possible de dénicher de magnifiques histoires parfaitement de saison pour les moins jeunes. Après D’autres étoiles, un conte de Noël dont je vous ai parlé la semaine dernière, voici un autre court récit plein de neige et surtout de poésie !

Écrit en 1936, Le berger de l’Avent a reparu en poche chez Zulma en 2019 avec en bonus une postface du génialissime Jόn Kalmann Stefánsson, traduite par Éric Boury. La très belle traduction du roman lui-même est signée par un duo dont, si je ne m’abuse, fait partie la fille de l’auteur (selon l’usage islandais, son patronyme Gunnarsdόttir signifie «  fille de Gunnar »). Mais trêve d’informations éditoriales, il est temps de passer à l’essentiel car ce roman est un petit chef d’œuvre universel et intemporel.

« Il regardait autour de lui, faisant sien tout ce que son regard embrassait. L’obscurité envahissait la campagne et la lune se devinait derrière les nuages, et les nuages étaient pareils à des montagnes de glace flottante, aussi réelles que celles qui pâlissaient à l’horizon. Un soir comme celui-ci, avec le lac gelé recouvert de neige, la terre paraissait plus plate que d’habitude. Et, au milieu de cet univers livide, presque fondu dans l’obscurité, un homme se tenait avec ses amis les plus proches, Roc le bélier et le chien Leό. Cet univers était le sien. Le sien et le leur. Il était un élément de cet univers. »

Benedikt s’est fixé une mission et il l’accomplit avec une ténacité qui force l’admiration. Comme certains jeûnent, randonnent, font une cure de déconnexion ou des stages de méditation, ce berger se retire du monde chaque année pour aller à la recherche des moutons égarés dans la montagne. Cela ne lui rapporte rien, si ce n’est la satisfaction personnelle d’avoir sauvé ces créatures et un temps pour méditer sur la vie et la mort, les deux se côtoyant très étroitement dans cette région inhospitalière.

Dans ce roman de moins de 70 pages, il est question de solidarité humaine – car comment survivre dans de telles contrées si l’on ne veille pas les uns sur les autres ? – et d’entente symbiotique entre l’homme et l’animal. Gunnar Gunnarsson y déploie une langue somptueuse pour évoquer le climat, les tempêtes et les paysages aussi hostiles que sublimes d’Islande (les fans d’Arnaldur Indridasson y trouveront sans aucun doute une filiation avec son aîné). Avec une extrême pudeur, il y est également question d’amour et d’amitié.

Image par Herm de Pixabay

C’est un texte simple et profond à la fois qui fait écho chez moi au beau roman italien Histoire de Tönle dans lequel Mario Rigoni Stern relate la vie mouvementée d’un homme pourtant profondément enraciné dans son village. Encore un berger empli de sagesse et d’une opiniâtreté hors du commun, vivant au rythme des saisons, avec la stupidité des guerres en prime.

Aifelle, Sibylline, LoudeBergh et Hélène devraient achever de vous convaincre de glisser Le berger de l’Avent dans votre sac pendant les fêtes (vous trouverez difficilement livre plus léger à transporter !). N’hésitez pas à lire leurs billets enthousiastes.

PS : Le blog prend maintenant un peu de vacances. Rendez-vous en 2024 avec un mois de janvier largement consacré au rendez-vous des Bonnes nouvelles proposé par Je lis, je blogue. Et bien sûr, je continuerai à explorer la littérature européenne et mondiale tout au long de 2024. Bonne fin d’année et à très bientôt !

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Norvège Romans

D’autres étoiles, un conte de Noël – Ingvild H. Rishøi

Traduction du norvégien par Jean-Baptiste Coursaud – Mercure de France

Quelle chance j’ai eue de tomber sur ce petit bijou de saison ! Ce court roman (encore un) est une merveille de sensibilité, de tendresse, mais aussi un condensé de ce que la vie a de plus âpre. Préparez vos mouchoirs !

Ronya (10 ans) et Melissa (16 ans) sont deux sœurs qui ne peuvent pas compter sur leur père, alcoolique parfois sevré (et il est alors un père en or) mais qui retombe toujours dans son addiction. Alors, quand il perd le travail de vendeur de sapins de Noël qu’il avait décroché, Melissa prend le relais. Puis Ronya met elle aussi la main à la pâte, au risque de leur attirer des ennuis.

Melissa est une grande sœur extraordinaire et Ronya, qui est la narratrice, une petite fille fabuleuse. On a franchement très envie de les adopter pour leur épargner la souffrance que leur cause leur père, la honte aussi et la culpabilité que celle-ci engendre à son tour.

Asphalte et soleil. Ce n’était que de l’asphalte et ce n’était que du soleil. Et il n’était que midi. Seulement voilà, papa ne marchait pas correctement, ce qui faisait que je cuisais de chaud et que je grelottais de froid. Puis il m’a remarquée. Il a souri, et il a levé la main pour me faire coucou. Donc moi aussi je devais lever la main. Seulement voilà, tout le monde peut voir à travers le porche, et là je me suis dit : coupez-moi la tête. Je me suis dit : venez, tempêtes, crues et incendies.

Le concierge de l’école, un vieux voisin, le père d’un camarade de classe, images de la bienveillance et de la générosité humaines, veillent sur elles autant que possible mais ils ne peuvent pas les soustraire à leur destin.

Semant ici et là des références explicites aux classiques de la littérature jeunesse, en particulier La petite marchande d’allumettes et mon chouchou Ronya, fille de brigand, l’autrice crée son propre conte de Noël avec une langue magnifique, très poétique et drôle aussi puisque c’est une enfant qui s’exprime avec une jolie gouaille.

D’autres étoiles est un conte de Noël triste et pourtant lumineux, à la fois intemporel et bien ancré dans notre époque. Malgré le drame social qu’il dépeint, il irradie l’amour et l’espoir.

D’autres avis chez Luocine, Blandine et Cécile.

Cette lecture m’offre l’occasion d’une nouvelle participation au challenge de Céline autour des auteurs des pays nordiques (son récapitulatif est une mine d’idées !).

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Allemagne Romans

L’amour par temps de crise – Daniela Krien

Traduction de l’allemand par Dominique Autrand – Éditions Points

Enfin novembre ! Contrairement à beaucoup, j’aime ce mois de l’année avec ses odeurs de sous-bois humide, ses longues soirées qui promettent de belles séances de lectures, ses après-midi chocolat chaud à gogo, et cerise sur le gâteau : c’est aussi le rendez-vous des Feuilles allemandes ! Merci à Et si on bouquinait et à Livr’escapades de nous inviter à explorer la littérature germanophone, qu’elle vienne d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse ou d’ailleurs. Je sens que je vais me régaler !

Pour ouvrir ce mois germanophile, j’ai lu L’amour en temps de crise, attirée que j’étais par ce beau titre et le joli succès que s’est taillé ce roman allemand à sa sortie en 2019. Daniela Krien nous plonge dans quelques années de la vie de 5 femmes âgées d’une trentaine à une quarantaine d’années. Certaines ont des enfants, d’autres non. Certaines ont un amant, d’autres plusieurs, d’autres pas. Ce qui les relie ? Elles vivent toutes à Leipzig, en ex-RDA, et se connaissent directement ou par personne interposée, parfois juste de vue. En femmes de leur temps, Paula, Judith, Brida, Malika et Jorinde essaient de tenir debout face aux multiples injonctions bien lourdes à porter qu’elles subissent.

L’autrice décrit avec précision et justesse les premiers temps de la passion amoureuse, le bouleversement que représente la maternité, le choix ou la souffrance de ne pas avoir d’enfant, les relations d’emprise qui peuvent se tisser au sein du couple ou au détour d’une amitié, les séquelles laissées par un modèle parental ou éducatif bancal, le déchirement d’une rupture… Les souvenirs d’une enfance au temps de la RDA ainsi que les préjugés et incompréhensions qui persistent entre Allemand(e)s de l’Est et l’Ouest transparaissent également dans ces portraits sans fard de femmes contemporaines.

L’œuvre de Johann Sebastian Bach, indissociable de Leipzig, traverse ce roman. Image par scholacantorum de Pixabay

On s’identifie facilement à certaines facettes de ces 5 femmes. Tout chez elles n’est pas d’ailleurs pas sympathique, ce que j’ai apprécié car elles nous apparaissent ainsi sous un jour nuancé, réaliste et d’autant plus humain. Elles savent aussi réinventer les modèles de vie qu’on cherche à leur imposer. Les hommes sont en revanche présentés soit comme faibles, égoïstes, donneurs de leçons voire destructeurs, soit parfaitement à l’écoute, sensibles et attentionnés. J’aurais aimé un peu plus d’objectivité et de finesse sur cet aspect. Ce sera ma seule réserve pour ce roman qui saisit très bien l’air du temps et la psyché féminine.

PS : De Daniela Krien, Eva a également lu Un jour nous nous raconterons tout et L’incendie. Ils rejoindront sûrement ma PAL très bientôt.

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Islande Lectures audio

La tristesse des anges & Entre ciel et terre – Jón Kalman Stefánsson

Adaptation de Gabriel Dufay & traduction de l’islandais par Éric Boury – Le Feuilleton (France culture)

Vivre, marcher et ramer dans la tempête, la neige, le froid, au milieu d’une nature âpre et hostile… Vivre grâce à l’amour, la poésie, la solidarité… Par ces chaudes températures estivales, laissez vous transporter au frais, en Islande, au début du 20e siècle, grâce à l’envoûtant récit de Jón Kalman Stefánsson dont Le Feuilleton de France culture propose une somptueuse adaptation.

Barður sortait toujours à huit heures pour regarder la lune au moment où sa bien-aimée, debout devant la ferme, faisait de même, il y avait entre eux des montagnes et des immensités, mais leurs yeux se rencontraient sur l’astre nocturne, exactement comme ceux des amants le font depuis le début des temps, voilà pourquoi la lune a été placée dans le ciel.

La vie, la mort, la solitude, l’amitié, l’espoir, la détermination, tout est extrême dans ces contrées polaires. L’amour pour la littérature et la poésie aussi.

Les sanglots apaisent et soulagent, mais il ne suffisent pas. On ne peut les enfiler les uns derrière les autres et les laisser s’enfoncer comme une corde scintillante dans les profondeurs obscures afin d’en remonter ceux qui sont morts et qui auraient dû vivre.

La voix du narrateur (Grégoire Monsaingeon) captive et nous plonge avec un talent fou dans l’atmosphère glacée et intense d’une petite communauté isolée, il y a plus d’un siècle. S’ajoutent à cela une excellente troupe de comédiens et comédiennes, une musique (de Quentin Sirjac) déchirante et des trouvailles sonores et de mise en scène formidables (le chœur des voix est bouleversant).

Il est bon d’avoir un ami véritable en ce monde, alors tu n’es plus tout à fait aussi vulnérable, tu as quelqu’un à qui parler, à écouter sans être forcé de te protéger le cœur.

À l’heure où j’écris ces quelques lignes, je n’ai pas encore lu les romans de Jón Kalman Stefánsson, mais cela ne saurait tarder. J’ai rarement été aussi touchée par la pure beauté d’un texte. Bien sûr, une adaptation audio fait plus clairement entendre les mots et condense le texte original pour n’en garder que le meilleur. Mais je suis convaincue que Jón Kalman Stefánsson est un écrivain comme il y en a peu.

Si comme moi, vous êtes ensorcelé(e) par ces deux adaptations audio, sachez que le troisième volet de la trilogie, Le cœur de l’homme, est en cours d’adaptation lui aussi. Encore un peu de patience donc… Et en attendant, on peut bien sûr (re)lire les romans, qui sont disponibles en livre de poche. Vous aurez compris qu’ils figurent désormais en bonne place dans ma pile à lire.

Le tome 1 : Entre ciel et terre (5 épisodes de 25 minutes environ) :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/fictions-le-feuilleton/entre-ciel-et-terre-de-jon-kalman-stefansson-0

Le tome 2 : La tristesse des anges (5 épisodes de 25 minutes environ) :

https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/serie-la-tristesse-des-anges-de-jon-kalman-stefansson

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Angleterre Romans

Loin de la foule déchaînée – Thomas Hardy

Traduction de l’anglais et édition par Sophie Chiari – Éditions Le Livre de poche

C’est par un autre classique que je conclus ma participation au Mois anglais puisque j’ai décidé d’enfin lire un roman de Thomas Hardy. Et quelle belle surprise : je ne m’attendais pas à sourire autant en tournant les pages de ce grand classique, romanesque à souhait.

Car Thomas Hardy fait preuve d’une ironie mordante et les portraits qu’il dessine avec une délectation évidente sont souvent très drôles, tout comme les conversations entre journaliers (au pub en particulier, c’est à mourir de rire). Il se révèle également un observateur attentif et un admirateur presque lyrique de la nature et des saisons. Il donne envie de battre la campagne dans la région du Wessex, qu’il a pourtant inventée de toutes pièces.

Dans Loin de la foule déchaînée, Gabriel, qui a réussi à devenir son propre patron, tombe amoureux de la belle Bethsabée. Elle l’éconduit et quitte peu après la région. Quelques temps plus tard, brutalement réduit à redevenir simple berger, Gabriel finit par travailler pour elle qui vient d’hériter de la propriété d’un oncle. Par jeu et sans souci des conséquences, Bethsabée fait un jour en sorte d’attirer sur elle l’attention de son voisin, le taciturne fermier Boldwood, dont la passion devient vite dévorante. Mais voilà qu’intervient un troisième homme, le séduisant mais bien peu fiable sergent Troy… Gabriel, lui, s’est fait une raison, mais n’en est pas moins toujours amoureux de l’impétueuse Bethsabée. Comment tout cela finira-t-il ? Vous le saurez en lisant cet excellent roman (ou en regardant un des films qui en ont été tirés, si tant est qu’ils soient fidèles à l’œuvre originale).

La vision des femmes que livre ici Thomas Hardy n’est pas dénuée de stéréotypes, mais si Bethsabée est vaniteuse, elle a bon fond et son indépendance d’esprit n’est jamais présentée comme un défaut ( un très bon point pour lui !). Et l’auteur n’est pas plus tendre avec le tempérament de nombreux personnages masculins. Pour moi, il s’attache donc surtout à décrire des caractères humains dont les excès lui permettent de jalonner le roman de multiples rebondissements, quel que soit le sexe de la personne concernée. Le discours que tient Bethsabée lors de la demande en mariage de Gabriel est d’ailleurs très moderne et d’une franchise sans doute déconcertante pour l’époque :

Bethsabée se tourna vers lui d’un air décidé.
« Non, rien à faire, dit-elle. Je ne veux pas vous épouser.
– Essayez !
– J’ai fait un gros effort en y réfléchissant ; en un sens, un mariage, ce serait bien. Les gens parleraient de moi et penseraient que j’ai remporté la partie, et je pourrais me sentir victorieuse, et ainsi de suite. Mais un mari…
– Eh bien !
– Alors il serait toujours là, comme vous dites : chaque fois que je lèverais les yeux, il serait là.
– Bien sûr que oui. Moi en tous cas.
– Eh bien, ce que je veux dire, c’est que ça ne me gênerait pas d’être une jeune mariée à un mariage à condition que je ne doive pas prendre un mari, si la chose était possible. Mais, étant donné qu’une femme ne peut pas se présenter ainsi toute seule, je n’ai aucune intention de me marier, du moins pas pour l’instant. »

Ce premier roman de Thomas Hardy m’a beaucoup plu et j’ai très envie de voir à présent sa dernière adaptation au cinéma avec Carey Mulligan et Matthias Schoenhaerts, et pourquoi pas la plus ancienne avec Julie Christie (so seventies si j’en crois son affiche). Et bien sûr, il faudra que je me plonge dans d’autres romans de Thomas Hardy, même s’ils sont notoirement plus sombres, comme Tess d’Uberville et Jude l’Obscur.

Un grand merci aux organisatrices du #Moisanglais : j’ai découvert une foule de romans, essais, recettes, créations artistiques grâce aux contributions de la blogosphère anglophile et anglo-curieuse !

Les quelque 672 pages de ce roman (après avoir décompté la préface et les notes !) me permettent aussi de participer au challenge Pavé de l’été créé par Brize et repris cette année par Sibylline. Si vous avez vous aussi un livre de 550 pages minimum dans vos étagères et que vous réussissez à en venir à bout entre le 21 juin et le 23 septembre, n’hésitez pas à y participer !

Mise à jour : Ta d loi du cine, du blog de Da Sola, m’a très justement fait remarquer que l’épaisseur du roman me permettait de m’associer également au challenge Les Épais de l’été, réservé aux ouvrages de 600 pages minimum. Je ne sais pas si je réussirai à relever le défi une nouvelle fois cet été, mais j’ai théoriquement ce qu’il faut dans ma PAL…