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Le parfum des poires anciennes – Ewald Arenz

Traduction de l’allemand par Dominique Autrand – Éditions Albin-Michel

Un bien joli roman pour cette LC avec Eva, Madame Lit, Doudoumatous et Luocine ! Il a d’ailleurs connu un beau succès en librairie, y compris en France. Je l’ai lu le temps d’un (long) trajet en train, en partie à travers une campagne allemande aux couleurs déjà très automnales 🍂🍄‍. Cela a encore ajouté au charme de cette lecture 🍐.

Le résumé sonne comme un cliché : Une adolescente et une femme d’âge moyen, toutes les deux « écorchées par la vie », vont s’apprivoiser et, peut-être, réussir à apaiser leurs blessures. Le tout sur fond de travail à la ferme avec fabrication de pain, de miel, vendange, coupe du bois et bien sûr cueillette des fameuses poires anciennes.

Ce roman est cependant plus délicat et plus touchant qu’on ne pourrait l’imaginer. L’écriture ne néglige pas les ellipses et s’avère très sensorielle. Les réactions de Sally m’ont paru très justes et j’ai été impressionnée par la capacité de l’auteur à exprimer le mal-être de cette jeune fille. Il donne un véritable accès à ce qui peut se jouer chez les jeunes qui s’auto-infligent toutes sortes de mauvais traitements. Le parcours de Liss est bouleversant aussi, et les scènes de son enfance témoignent de ce que peuvent être les maltraitances psychologiques et leurs conséquences.

Le parfum des poires anciennes est un roman qui fait du bien, certes, mais sans tomber dans la facilité. Pas de romance à l’horizon en particulier, c’est une histoire d’amitié « sororale » avant tout, et c’est très bien comme ça ! Fabienne l’avait aimé elle aussi, ouvrant la voie à cette LC 2024.

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La diplomate – Lucy Fricke

Traduction de l’allemand par Isabelle Liber – Éditions Le Quartanier

Fred Andermann fait partie du corps diplomatique allemand depuis une vingtaine d’années. Entre expatriations à répétition, vie de fonctionnaire (« de luxe » car elle occupe des postes élevés) et imbroglios politiques, la vie de diplomate n’est pas toujours une sinécure. Deux affectations successives vont ainsi bouleverser Fred, nous entraînant au passage dans un thriller politique et un portrait psychologique passionnants.

Dans la première partie du roman, Fred est ambassadrice à Montevideo, l’une des destinations les plus tranquilles que l’on puisse imaginer dans son métier. Fred se sent simple VRP de son pays et s’interroge vaguement sur son utilité jusqu’à un événement qui va profondément l’ébranler.

Dans la deuxième partie, on la retrouve consule à Istanbul où la situation est beaucoup plus tendue qu’en Uruguay : la police politique est omniprésente, les arrestations et assignations à résidence de ressortissants allemands et germano-turcs sont monnaie courante et les diplomates ne disposent que d’une très faible marge de manœuvre pour tenter d’obtenir leur libération. Et Fred semble sur le point de craquer …

Une participation aux lectures sur le monde du travail chez Ingannmic

Comment concilier l’art feutré de la conversation diplomatique pleine de sous-entendus ? À quoi sert cette vie passée le plus souvent loin de son pays pour le représenter ? Que devient un ambassadeur ou une ambassadrice à la retraite qui perd subitement tous ses avantages (résidence de rêve, chauffeur personnel, cuisinier et autre personnel de maison payés par l’État) ? Lucy Fricke parle très bien des nombreux aspects de la vie des diplomates (ou plutôt des chef(fe)s de missions diplomatiques). On sent qu’elle en a interrogés un certain nombre et ses personnages sont parfaitement crédibles.

Son roman souligne aussi (surtout) les relations ambiguës de nos États européens avec un régime autocratique que l’on ne peut pas se mettre à dos, en particulier parce qu’il endigue la majorité des flux de migrants à destination de l’Europe. Elle brosse un portrait sans concession de la Turquie d’aujourd’hui et rend hommage au travail souvent ingrat mené dans l’ombre par des hommes et de plus en plus de femmes pour tenter de préserver la paix, parfois (souvent) au prix de leurs convictions personnelles.

J’ai lu ce roman comme on regarde ces excellents films que sont Les trois jours du condor ou Serpico. Ici, pas de flics ni de journalistes, mais ça fonctionne tout aussi bien avec des diplomates. En bref, je l’ai dévoré et me suis régalée de sa tension constante comme de l’humour à froid de l’autrice. C’est intelligent, divertissant et bouleversant, jusqu’aux toutes dernières pages.

Eva l’a lu également, ainsi qu’Alex (mais la page correspondante semble avoir disparu de son blog…)

PS : Une interview croisée de Lucy Fricke et de son personnage (de fiction) Fred Andermann est à lire ici. Et vous pouvez lire les premières pages du roman .

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Allemagne Romans

Le Chat, le Général et la Corneille – Nino Haratischwili

Traduction de l’allemand par Rose Labourie – Editions Belfond

Nino Haratischwili est née en Géorgie où elle a vécu de nombreuses années. Elle vit désormais en Allemagne où elle avait déjà fui avec sa famille pendant la guerre civile qui a fait rage dans son pays au début des années 1990. C’est aussi en allemand qu’elle écrit et son roman Le Chat, le Général et la Corneille me permet donc une nouvelle participation aux Feuilles allemandes organisées cette année par Patrice & Eva et en prime une LC avec Sunalee.

Chat est une jeune comédienne géorgienne qui vit en Allemagne. Elle se cherche, professionnellement et personnellement. Sa ressemblance avec une jeune Tchétchène comme surgie du passé va servir de déclencheur pour le Général. Celui-ci charge la Corneille, l’ex-petit ami de sa fille, de recruter Chat pour une mystérieuse mission. Que cherche à déclencher le Général, cet homme à la richesse et au pouvoir phénoménaux ? Qui est-il et pourquoi fait-il appel à la Corneille, qu’il déteste ? Chat ne va-t-elle pas se brûler les ailes, elle qui semble peu à peu confondre fiction et réalité ?

La huitième vie (pour Brilka), autre roman de cette jeune autrice extrêmement talentueuse, était un de mes coups de cœur 2023, et j’ai retrouvé ici ce que j’y avais aimé : des personnages incroyablement incarnés et complexes (sauf un, mais j’y reviendrai), un souffle romanesque, de la tension et des émotions à gogo, sans oublier un éclairage passionnant sur l’histoire – ô combien tragique et violente – du Caucase. Pourtant, je n’aurais pas parié un kopeck si on m’avait dit que je lirai un jour un roman sur le conflit en Tchétchénie…

Nino Haratischwili tisse une toile dont ni ses personnages ni son lectorat ne peuvent facilement s’échapper. Il est question de crime, de culpabilité et de fatalité, de pouvoir et de châtiment. Ce retour sur la Première guerre de Tchétchénie et la libéralisation économique en Russie (événements que l’autrice réussit à rendre haletants et limpides) explique bien des choses observées aujourd’hui. L’évolution de Malich en particulier est passionnante.

J’ai cependant quelques reproches à faire à ce roman. Tout d’abord, la psychologie d’Ada m’a semblée tirée par les cheveux et j’ai eu l’impression que l’autrice avait eu du mal à trouver un prétexte pour expliquer la soudaine machination du Général. Par ailleurs, l’histoire et le suspense créé s’étirent un peu trop. La fin aurait selon moi pu arriver plus tôt et avec moins d’« effets cinématographiques » dans ses toutes dernières pages. Le récit y aurait gagné en force.

Sachant que Le Chat, le Général et la Corneille a précédé La huitième vie (qui était parfait de bout en bout), j’en déduis que l’autrice a su affiner son talent avec le temps et je laisse donc La lumière vacillante, qui vient tout juste de paraître, en très bonne place dans ma liste de livres à lire.

D’autres avis sur ce roman sont à retrouver chez Temps de lecture, Anniemots, Madame Lit et bien sûr Sunalee. Et pour écouter Nino Haratischwili parler d’amitié, d’écriture, de la Géorgie ou des femmes (en littérature notamment), c’est ici : https://youtu.be/FZMl9NbLveI

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188 mètres sous Berlin – Magdalena Parys

Traduction du polonais par Margot Carlier et Caroline Raszka – Agullo Éditions

J’avais des attentes vis-à-vis de ce roman et tout a plutôt bien commencé (si j’ose dire) avec un meurtre commis en 2000 mais lié à des événements survenus en 1980, soit près d’une décennie avant la chute du Mur de Berlin. Dix ans après le crime, Peter, ancien fonctionnaire en retraite anticipée, cherche à en savoir plus. Il s’entretient alors avec celles et ceux qui avaient participé – avec lui ainsi que la victime – à la construction d’un tunnel censé permettre des évasions de Berlin-Est vers Berlin-Ouest. Ce sont leurs témoignages respectifs que nous livre Magdalena Parys, des récits fictifs que l’on sent néanmoins nourris par des expériences très documentées.

La construction chorale qui distille les informations au compte-goutte est faite pour nous faire tourner les pages avec avidité et cela fonctionne. J’ai lu ce roman très vite, voulant avoir le fin mot de l’histoire et appréciant d’apprendre de nombreux détails historiques. L’autrice a visiblement beaucoup de choses à dire sur la Pologne derrière le rideau de fer, la Stasi et la RDA, les magouilles des uns et des autres à l’Ouest comme à l’Est pendant la Guerre froide et après. Le propos est donc intéressant. Pourtant, j’ai été déçue.

Les personnages sont nombreux, et plusieurs d’entre eux sont trop survolés pour que leur présence soit utile. Les fils de l’intrigue, multiples et intéressants en eux-mêmes s’entrecroisent par ailleurs d’une manière trop alambiquée à mon goût. C’est surtout le cas dans la dernière partie du roman, comme si Magdalena Parys avait voulu accélérer le rythme, au risque d’en faire trop.

D’autres éléments ont gâché mon plaisir : Tout d’abord quelques choix hasardeux et/ou erreurs de traduction/d’édition tels que « elle avait des visières sur les yeux » (vu le contexte, il s’agissait clairement d’œillères), des noms intervertis ou encore le fait de laisser le terme Hakenkreuz en allemand au lieu de le traduire. « Croix gammée » est quand même plus parlant pour un lectorat francophone, me semble-t-il. Plus embêtant, l’intrigue contient quelques grosses ficelles et incohérences qui m’ont gênée.

Bref, des maladresses, des lourdeurs et des complications scénaristiques superflues m’ont par moments égarée ou fait tiquer. Le but était sans aucun doute de maintenir la tension jusqu’à la révélation finale censée nous laisser bouche bée. Pour ma part, j’ai plutôt eu un sentiment de « tout ça pour ça », l’enjeu de toute cette histoire m’ayant en effet paru moyennement palpitant, même s’il est crédible et indubitablement criminel.

La couverture polonaise du roman

Cette lecture commune avec Patrice (du blog Et si on bouquinait un peu ?) débouche donc sur une déception, peut-être due avant tout à mes attentes initiales. Pour vous faire une idée plus complète à défaut d’être objective, je vous recommande donc de lire l’avis de Patrice ici. Celui-ci avait d’ailleurs déjà chroniqué Le Prince, autre roman de Magdalena Parys.

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Allemagne Romans

Finsterau – Andrea Maria Schenkel

Traduction de l’allemand par Stéphanie Lux – Actes Sud

« Aucun tribunal au monde ne peut rendre la justice ; nous ne pouvons prendre nos décisions que sur la base des preuves dont nous disposons au moment du procès et, bien entendu, dans le cadre des possibilités légales. Malheureusement, notre interprétation de la vérité est trop souvent fausse ou, de notre point de vue, nous n’en voyons qu’une petite partie. La vérité est un enfant farouche et sa mère, la justice, est souvent aveugle. »

Dans Finsterau, Andrea Maria Schenkel imagine la révélation, 18 ans après les faits, d’une erreur judiciaire : Johann a été condamné pour le meurtre de sa fille et de son petit-fils en 1947. Il faut dire que les relations n’étaient notoirement pas bonnes entre cet homme très pieux et sa fille Afra. Et lorsque les policiers ont découvert la scène de crime, Johann tenait des propos incohérents, s’accusait et semblait n’avoir aucun regret.

Près de 20 ans après les faits, un marchand ambulant de passage dans la ville révèle des éléments qui viennent remettre en question la décision rendue par la justice. Chaque chapitre présente un témoignage différent avec les dépositions des policiers, du procureur et du médecin intervenus le jour du meurtre, mais aussi les récits de Johann, de sa femme Theres et d’Afra qui nous racontent les années, les semaines puis les dernières heures qui ont précédé cet effroyable double meurtre. On comprend ainsi l’engrenage qui a conduit à cette condamnation et on se surprend à espérer, contre toute logique, qu’Afra et son fils auront la vie sauve.

Sans être follement original, ce très court (109 pages) roman noir fait passer un bon moment de lecture. J’ai rapidement tourné les pages pour savoir qui était le meurtrier et surtout, s’il allait pouvoir être arrêté si longtemps après son crime. J’ai apprécié la peinture sociale que propose Andrea Maria Schenkel : la rude vie des « sans-terre » dans ce village de Bavière à quelques kilomètres de la Tchéquie, l’atmosphère délétère de l’immédiate après-guerre, l’animosité contre les filles-mères … Je ne suis pourtant pas sûre de lire d’autres romans de cette autrice dont le style m’a paru trop sec. L’absence d’enquêteur, qui fait aussi l’originalité de cette novella, a peut-être contribué à la distance avec laquelle je l’ai lue. Il est possible également que Johann ne m’étant absolument pas sympathique, je sois restée froide devant l’erreur judiciaire dont il était victime. Bref, il m’a manqué quelque chose !

Au passage, j’ai entendu parler pour la première fois des Yéniches, reconnus comme minorité nationale en Suisse et qui représenteraient aujourd’hui en France sans doute le groupe autonome le plus important parmi les nomades. Dommage que le challenge sur les minorités ethniques soit fini chez Ingannmic !

PS: Manou l’a lu aussi, son avis est à retrouver ici.

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Allemagne Littérature jeunesse

Einstein – Torben Kuhlmann

Traduction de l’allemand par Anne-Judith Descombey – Éditions NordSud

Pour finir en douceur ce mois des Feuilles allemandes, je vous invite à (re)découvrir un magnifique livre illustré destiné aux enfants de 8 à 11 ans environ.

Torben Kuhlmann a imaginé les aventures d’un petit rongeur qui, frustré au plus haut point d’avoir manqué LA Fête du fromage, va vouloir remonter dans le temps pour pouvoir assister à ce grand événement. Curieuse et persévérante, notre petite souris (absolument craquante) connaîtra bien des aventures, notamment à cause du terrible chat Chronos. Elle rencontrera même Albert Einstein à l’Office des brevets de Berne et on peut se demander qui de la souris et du scientifique a inspiré l’autre…

Sous-titré « Le fantastique voyage d’une souris dans l’espace-temps », cet album nous immerge dans des dessins à l’atmosphère rétro de toute beauté. Comme celle d’Edison, de Lindbergh et d’Armstrong que l’auteur a signées dans la même collection, cette histoire nous invite à revivre l’épopée de grandes inventions ou exploits (ici, la relativité bien sûr).

Cadeau de Noël idéal à mon avis (il fait fureur chez nous depuis son arrivée sous le sapin en 2022), il devrait occuper de longues heures les petits lecteurs et petites lectrices de votre entourage qui auront des milliers de détails à observer sur chaque page. Un bonus très intéressant sur Einstein et ses recherches vient compléter cet album aussi intelligent que visuellement épatant. En tant qu’adulte, je l’ai adoré moi aussi !

Pour en savoir plus sur Torben Kuhlmann et son travail, voici une passionnante interview parue À l’ombre du grand arbre :

PS : Auf Wiedersehen, Les Feuilles allemandes ! Et vivement l’année prochaine 😀

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Allemagne Romans

Nuit bleue – Simone Buchholz

Traduction de l’allemand par Claudine Layre – Éditions L’Atalante

Voilà un petit moment déjà que j’entends parler des polars de Simone Buchholz. Avec Les Feuilles allemandes, c’était l’occasion rêvée de m’y mettre. Je voulais lire ces romans dans l’ordre de leur parution mais – ratage – j’ai finalement lu Nuit bleue qui est le 2e. Bref, sachez-le si vous vous lancez : le premier roman de cette série s’intitule Quartier rouge.

Malgré cette erreur dans la chronologie, j’ai été entraînée sans problème dans le sillage clope-bière-schnaps-sandwich-au-poisson de Chastity Riley (oui, c’est bien son nom). Autour de cette procureure gravitent des malfrats repentis et des policiers aguerris (mais au cœur tendre) qui forment une petite bande d’amis peu conventionnelle. Lieu de tous les trafics, de la corruption mais aussi de la fête et du cosmopolitisme, Hambourg est un personnage à elle toute seule. Aussi fascinante que poisseuse, la ville donne un cachet indéniable à ce roman très efficace.

Chastity Riley répond quant à elle aux codes du genre : hantée par une jeunesse un peu glauque, foncièrement intègre et (donc) mise sur la touche par sa hiérarchie, elle passe plus de temps dans les bars que dans son bureau. Elle n’en est pas moins efficace et son métier de procureure lui donne un regard différent des enquêteurs plus « classiques ».

Les Feuilles allemandes, c’est chez Eva & Patrice ainsi que chez Fabienne pendant tout le mois de novembre.

Je n’ai fait qu’une bouchée de ce roman à la construction maligne et très addictive. C’est à la fois un récit d’atmosphère et un tableau de la criminalité qui règne à Hambourg. Riley se rendra aussi à la frontière avec la République tchèque pour tenter de percer le mystère qui enveloppe l’homme dont elle est censée assurer la protection. Retrouvé à moitié mort et avec un index sectionné, le mystérieux Joe la mène-t-il en bateau et est-il une « vraie » victime ? Si vous voulez le savoir, vous savez ce qu’il vous reste à faire ;-D

PS : Ingannmic a lu il y a quelques jours une autre enquête de Chastity Riley, Rue Mexico, et Pativore nous a fait découvrir Béton rouge, tous les deux très alléchants.

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Allemagne Romans

Brandebourg – Juli Zeh

Traduction de l’allemand par Rose Labourie – Actes Sud

Le titre de ce roman en VO, Unterleuten, offre un jeu de mots qui résume formidablement cette histoire. En effet, si Unterleuten est le nom du village du Brandebourg où se passe l’histoire, « unter Leuten » en 2 mots signifie littéralement « entre les gens », ou « entre voisins » pourrait-on dire ici. À la manière d’un thriller, Brandebourg nous parle de l’Allemagne des zones rurales délaissées, des oubliés de la réunification, et de notre époque.

Après Nouvel an, chroniqué sur ce blog il y a quelques mois, j’ai à nouveau été bluffée par le talent de Juli Zeh pour faire d’une histoire a priori banale un roman qu’on dévore comme un polar (malgré ses plus de 600 pages). L’autrice prend le temps de planter son décor et de camper ses personnages. On découvre progressivement les différentes facettes, attachantes ou repoussantes, des habitants du cru et des nouveaux arrivants. Très vite, la tension est palpable et on sent que quelque chose va mal tourner dans ce petit village loin de tout. Venant cristalliser des haines quasi ancestrales et des rivalités nouvelles, c’est un projet d’implantation d’éoliennes qui va déchirer cette communauté déjà au bord de l’implosion.

Juli Zeh réunit ici une palette de personnalités hétéroclites et appartenant à plusieurs générations, dont le point commun est sans doute d’appliquer le principe suivant : moi (et ma famille) d’abord. Car personne ici n’est foncièrement mauvais. Pourtant, pour atteindre ses objectifs, assouvir une vengeance, préserver son intégrité et celle de sa famille, ou encore par culpabilité et parfois avec les meilleures intentions (personnelles), la majorité des habitants d’Unterleuten va jouer un rôle dans le drame qui va se produire.

C’est brillamment construit et, jusque dans les dernières pages, j’ai été impressionnée par les retournements savamment orchestrés par Juli Zeh. Elle nous présente avec Brandebourg une radiographie de l’ex-RDA en proie à l’exode et à la spéculation, mais elle décrit avant tout des réalités très universelles, qu’il s’agisse du comportement humain ou des clivages dans nos sociétés contemporaines où le bien commun ne veut plus dire grand-chose.

Encore une lecture réussie pour moi avec cette talentueuse écrivaine allemande que je recommande chaudement. Et vive Les Feuilles allemandes !

PS : Lors des Feuilles allemandes 2021, montagnedazur avait également lu et beaucoup aimé ce roman. Vous trouverez d’autres avis encore ici et .