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Décompression – Juli Zeh

Traduction de l’allemand par Matthieu Dumont – Actes Sud

Avec Nouvel An, j’avais embarqué aux Canaries grâce à Juli Zeh que j’ai suivie avec encore plus d’enthousiasme dans le Brandebourg quelques temps plus tard. Dans Décompression, nous voici de retour à Lanzarote, mais cette lecture a fait pschitt pour moi.

Je vous résume l’histoire : Sven, qui approche de la quarantaine, a quitté l’Allemagne à la fin de ses études (pour des raisons que j’ai trouvées franchement légères). Il s’est établi comme moniteur de plongée sur l’île espagnole de Lanzarote où il vit et travaille avec Antje, adorable jeune femme sans laquelle il aurait du mal à faire tourner la boutique (et dont je me demande bien ce qu’elle lui trouve 🙄). Arrive un couple de Berlinois pas clairs qui réserve ses services exclusifs pendant 2 semaines complètes. En gros, la relation de ces touristes est complètement toxique et rapidement, Sven, qui est le narrateur, ne sait pas sur quel pied danser avec eux.

Sauf que Jola, la jeune et fascinante actrice qui forme la moitié de ce duo – que je qualifierai d’infernal -, nous donne aussi son point de vue régulièrement à travers des extraits de son journal. Et Sven y apparaît sous un jour très différent de celui qu’il nous présente 🤨. Ajoutez à cela des scènes de tension extrême, notamment lors de séances de plongée où tout peut évidemment basculer en une seconde, et vous aurez compris qu’il est difficile de ne pas tourner les pages pour savoir comment cette histoire va pouvoir se terminer, qui dit vrai, qui manipule l’autre (et les lecteurs au passage), etc.

Bref, c’est habilement construit, mais manque singulièrement d’originalité. J’ai eu une désagréable impression de déjà-vu ou plutôt de déjà-lu, en particulier avec ces personnages-narrateurs peu fiables, voire borderline. J’avais probablement trop d’attentes vis-vis de Juli Zeh qui a écrit beaucoup plus fin et plus fort à mon avis.

Keisha a lu Décompression l’an dernier et son avis était beaucoup plus positif que le mien, donc n’hésitez pas à aller sur son blog pour un autre son de cloche. D’ailleurs, grâce son billet, je vois que je peux inscrire cette petite chronique non seulement aux Feuilles allemandes, mais aussi au Book trip en mer de Fanja 🚣‍♀️.

PS : Arte.tv diffuse en ce moment Juli Zeh, forte tête de la littérature, un portrait de cette écrivaine qui se confronte aux réalités sociales de son pays et de son époque dans ses romans, mais aussi dans son travail de juge.

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La fabrique des salauds – Chris Kraus

Traduit de l’allemand par Rose Labourie – Éditions 10/18

Il fallait bien 1000 pages pour ce roman qui balaie 70 ans d’Histoire et nous emmène de Riga à Munich en passant par Moscou, Poznań ou encore Tel-Aviv. Un dénommé Koja Solm y raconte à la première personne comment lui, petit-fils de pasteur et de baron allemands du Baltikum, est devenu membre des SS avant d’enchaîner les rôles et les identités. Très accessible et extrêmement difficile à reposer, ce roman est une vraie brique (heureusement disponible en poche) qui ne devrait pas alourdir votre sac bien longtemps 😉.

Si certains faits m’étaient connus, j’en ignorais aussi énormément, et pas des moindres. J’ai donc été abasourdie plus d’une fois à la lecture de ce pavé qui se dévore comme l’excellent roman d’espionnage et la puissante fresque historique qu’il est, mais aussi parce qu’il est écrit avec un humour noir ravageur. Rien (ou pas grand-chose) ne nous est épargné des horreurs du nazisme et de la Shoah en particulier, des tortures pratiquées à la Loubianka, des coups bas entre hauts responsables et des compromissions politiques toutes époques et tous pays confondus. Heureusement, la plume alerte de Chris Kraus nous tient de bout en bout. Quel brio aussi bien à l’écriture qu’à la traduction !

Jouet du destin, opportuniste, incurable romantique ou parfait salaud ? Koja Solm est sans doute tout ça à la fois et/ou successivement. Ce personnage ô combien romanesque n’est pas né seulement de l’imagination de l’auteur. Par ailleurs et même avant tout cinéaste, celui-ci s’est en effet inspiré de biographies stupéfiantes de plusieurs hommes ayant bel et bien existé, comme il le précise dans sa postface. Je vous recommande d’ailleurs la lecture de ces quelques pages dans lesquelles Chris Kraus fournit une intéressante bibliographie et explique que la question « Comment la société de la République fédérale d’Allemagne a-t-elle réussi à trouver le chemin de la démocratie en dépit de l’intégration des anciens nazis ? » a été le moteur de son roman. Je ne suis pas sûre que le roman réussisse à y répondre, mais il n’en est pas moins passionnant.

Petite satisfaction toute personnelle : Ce roman m’a permis de renouer avec des lieux et des événements découverts lors de mes lectures baltes l’an dernier puisque la première partie de La fabrique des salauds se passe en Lettonie. Il a aussi rejoint l’intrigue juridique de L’affaire Collini (un roman que j’ai lu mais pas chroniqué, contrairement à Patrice). Grâce à ces différentes lectures, je commence à pouvoir relier plusieurs fils de l’Histoire allemande et européenne qui m’échappaient 💪.

Je ne suis pas la seule à avoir aimé cet « épais pavé », comme vous le constaterez avec les billets d’Ingannmic, Jostein ou encore de Kate et Frida et de La jument verte. Jostein a également lu Danser sur les débris du même Chris Kraus et je constate que les personnages sont eux aussi issus de la famille Solm. Autrement dit, un livre est sorti de ma PAL mais un autre va très vite y entrer !

PS : Ce roman de très exactement 1074 pages me permet de participer aux Pavés de l’été chez Sibylline et aux Épais de l’été, défi organisé par ta d loi du cine sur le blog de Dasola.

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Kaïros – Jenny Erpenbeck

Traduction de l’allemand (à venir) de Rose Labourie – Penguin Verlag

En octobre dernier, j’ai profité d’un passage en Allemagne pour faire une petite provision de romans en VO. Parmi eux, Kaïros, auréolé de l’International Booker Prize 2024. Sa traduction en français est en cours et paraîtra à l’automne. Je vous propose donc une petite avant-première et peut-être une piste de lecture pour le rendez-vous des Feuilles allemandes en novembre.

Milieu des années 1980 : Katharina a 19 ans, Hans 54. Ils tombent follement amoureux malgré tout ce qui devrait les séparer, à commencer par leur différence d’âge bien sûr, et le fait que Hans soit marié. Aussi discutable que soit cette relation, Jenny Erpenbeck nous en fait ressentir toute la beauté, la passion, le caractère à la fois intime et universel. Elle retrace leurs pensées, leurs paroles, leurs gestes les plus infimes. C’est captivant et très beau.

Tout cela se passe dans une RDA que l’on nous montre rarement. Celle des cafés et restaurants, des plages de la Baltique où l’on passe ses vacances, celle des théâtres et des soirées étudiantes. En Allemagne, on a parfois reproché à Jenny Erpenbeck une certaine Ostalgie, ce sentiment de nostalgie vis-à-vis de l’ex-Allemagne de l’Est. Sa reconnaissance est d’ailleurs venue en premier lieu de l’étranger. Comme l’explique Rose Labourie*, Jenny Erpenbeck dépeint surtout une vie banale dans un pays qui ne se résumait pas à la Stasi et aux barbelés. En RDA, les gens étudiaient, travaillaient, allaient au spectacle, faisaient la fête, s’aimaient. Cela ne nie pas la dureté et les aberrations du régime, mais rappelle qu’il y avait aussi de la normalité.

Photo de Lutz Schramm, sous licence creative commons

Peu à peu, la relation amoureuse entre Katharina et Hans évolue et devient déséquilibrée, puis franchement malsaine. En parallèle, l’État socialiste allemand se délite, sa population veut s’émanciper, gagner en liberté. Jenny Erpenbeck montre très bien le choc qu’a provoqué la réunification. L’arrivée brutale de l’économie de marché, mais aussi la négation de tout ce qui avait existé de positif en RDA ont profondément et durablement ébranlé la société. Pour les Allemands de l’Ouest, il a fallu sortir le chéquier, mais pour les Allemands de l’Est, la réunification a signifié une perte massive de pouvoir d’achat, des milliers de suppression de postes et le rejet total de leur système de valeurs. Ce roman permet de mieux comprendre le traumatisme que cela a pu représenter, et peut-être aussi la fracture Est/Ouest que l’on vient encore d’observer lors des élections législatives en Allemagne.

Je ne suis pas surprise que Jenny Erpenbeck ait séduit le jury du Booker Prize car son roman m’a rappelé des pavés américains qui dissèquent à la fois le couple et la société (par exemple Freedom de Jonathan Franzen, référence qui date un peu, mais depuis, je me suis éloignée de ce type de romans-fleuves). Avec Kaïros, comme dans ces pavés états-uniens, j’ai été à la fois fascinée, emportée et, au bout d’un moment (relativement tard ici), un peu écrasée par ces détails foisonnants.

Image par Pexels de Pixabay

J’ai donc trouvé ce roman fort et passionnant, pour l’histoire entre les deux personnages comme pour ce qu’il raconte de la RDA et de sa fin, mais aussi étouffant à cause de la minutie avec laquelle chaque conversation ou situation est décrite. Quoiqu’il en soit, je n’hésite pas à vous le recommander, surtout si vous aimez habituellement les romans bien denses, fourmillant de détails. Et sa fin est parfaite.

En écho sur ce blog : Stasiland, Quand la lumière décline, Brandebourg, et, chez Patrice : Au-delà du mur et Lütten Klein, vivre en Allemagne de l’Est.

PS : Le mois dernier, j’ai eu la chance de participer à un atelier intitulé « Traduire un monde disparu » avec Rose Labourie. Cette jeune et brillante traductrice littéraire nous a donné des clés sur cette œuvre précise (elle travaille dessus depuis quelques temps) et a partagé quelques-uns de ses « secrets » pour obtenir une traduction à la fois fluide et respectueuse de l’original. C’était une expérience extrêmement intéressante et une manière originale de découvrir une autrice, un roman et leur « passeuse ». Petite difficulté supplémentaire ici : les termes décrivant des objets ou lieux typiques de la RDA, comme ces retoucheries spécialisées dans la réparation express de bas et collants (ce qui se dit en un mot dans l’original !). Pour rappel, Rose Labourie a notamment traduit Juli Zeh, Ferdinand von Schirach, Nino Haratischwili, Antje Rávik Strubel ou encore Chris Kraus.

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Quand la lumière décline – Eugen Ruge

Traduction de l’allemand par Pierre Deshusses – Éditions 10/18

Après ma lecture récente et très mitigée de Tout va bien, je ne pensais pas pouvoir apprécier un roman construit sur le même mode, couvrant en grande partie les mêmes périodes et dont je découvre après l’avoir refermé qu’il a lui aussi remporté le Deutscher Buchpreis. Malgré ces troublantes similitudes, j’ai dévoré Quand la lumière décline. (Le problème était donc ailleurs 😉.)

Comme chez Arno Geiger, le roman s’ouvre ici en 2001 et chaque chapitre est consacré à une journée et à un point de vue différents. Différence notable : Dans Quand la lumière décline, sous-titré Roman d’une famille, c’est l’histoire de sa propre famille que nous raconte l’auteur. La complexité des relations intrafamiliales (rivalités, grand âge) se mêle à la grande Histoire : exil au Mexique des grands-parents, goulag et bannissement en URSS pour le père, retour de la famille en RDA, service militaire en tant que garde-frontière et fuite à l’Ouest du fils…

« Il ne verrait rien de tout ça, se dit Alexander pendant qu’un sous-lieutenant se mettait à expliquer, un papier à la main, quelle position réglementaire il fallait prendre quand on devait tirer à plat ventre, « bien droit mais en oblique par rapport à la cible », rien de tout ça parce qu’entre ici et là-bas, entre ce monde et l’autre, entre le petit monde étriqué où il serait contraint de passer sa vie et l’autre monde, grand et vaste où se trouvait la vraie vie ; parce qu’entre ces deux mondes, il y avait une frontière que lui, Alexander Umnitzer allait bientôt devoir surveiller. »

Peut-être est-ce avant tout cette authenticité, cette sensation de vécu qui fait la différence avec le roman de Geiger (sans doute aussi l’absence d’effet stylistique ostentatoire). Chacun des personnages est ici très incarné, ce qui en rend certains attachants, d’autres détestables mais avec les nuances que permettent les points de vue renversés. Les très nombreux dialogues contribuent aussi à les rendre plus « vivants », me semble-t-il. En tous cas, l’émotion affleure en permanence.

« Nadejda Ivanovna regarda sa propre main, elle avait l’impression de lui avoir fait mal avec cette main usée par l’arrachage des pommes de terre, par la scierie ; elle regardait les veines qui ressortaient sur le dos de sa main à en faire peur, la peau plissée sur les phalanges, les ongles abîmés par les petites et les grosses blessures, les cicatrices, les pores de la peau, les rides et les paumes sabrées de centaines de petites lignes. Elle comprenait d’une certaine façon qu’il ne veuille pas être touché par tout ça. » 

Cette immersion dans une famille de RDA, avant même la création du pays et jusqu’à sa dissolution, est passionnante parce qu’elle y montre la vie de tous les jours, les compromissions et les ambitions à l’œuvre, les différences et incompréhensions au sein d’un couple et entre les générations, sans oublier la violence des bouleversements qu’ont entraînés la guerre, la division de l’Allemagne et sa réunification. 

À lire, en particulier si l’histoire de la RDA vous intéresse !

C’était ma dernière participation aux Feuilles allemandes 2024. Vivement novembre prochain !

D’autres avis (du plus enthousiaste au moins convaincu) chez Montagnedazur, Kathel, Passage à l’Est et Livr’escapades.

PS : Dans un autre roman traduit sous le titre Le Metropol, Eugen Ruge complète le puzzle en relatant ce qui s’est passé lors des grands procès de Moscou en 1936 pour Charlotte et Wilhelm, les grands-parents de Quand la lumière décline.

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Le parfum des poires anciennes – Ewald Arenz

Traduction de l’allemand par Dominique Autrand – Éditions Albin-Michel

Un bien joli roman pour cette LC avec Eva, Madame Lit, Doudoumatous et Luocine ! Il a d’ailleurs connu un beau succès en librairie, y compris en France. Je l’ai lu le temps d’un (long) trajet en train, en partie à travers une campagne allemande aux couleurs déjà très automnales 🍂🍄‍. Cela a encore ajouté au charme de cette lecture 🍐.

Le résumé sonne comme un cliché : Une adolescente et une femme d’âge moyen, toutes les deux « écorchées par la vie », vont s’apprivoiser et, peut-être, réussir à apaiser leurs blessures. Le tout sur fond de travail à la ferme avec fabrication de pain, de miel, vendange, coupe du bois et bien sûr cueillette des fameuses poires anciennes.

Ce roman est cependant plus délicat et plus touchant qu’on ne pourrait l’imaginer. L’écriture ne néglige pas les ellipses et s’avère très sensorielle. Les réactions de Sally m’ont paru très justes et j’ai été impressionnée par la capacité de l’auteur à exprimer le mal-être de cette jeune fille. Il donne un véritable accès à ce qui peut se jouer chez les jeunes qui s’auto-infligent toutes sortes de mauvais traitements. Le parcours de Liss est bouleversant aussi, et les scènes de son enfance témoignent de ce que peuvent être les maltraitances psychologiques et leurs conséquences.

Le parfum des poires anciennes est un roman qui fait du bien, certes, mais sans tomber dans la facilité. Pas de romance à l’horizon en particulier, c’est une histoire d’amitié « sororale » avant tout, et c’est très bien comme ça ! Fabienne l’avait aimé elle aussi, ouvrant la voie à cette LC 2024.

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La diplomate – Lucy Fricke

Traduction de l’allemand par Isabelle Liber – Éditions Le Quartanier

Fred Andermann fait partie du corps diplomatique allemand depuis une vingtaine d’années. Entre expatriations à répétition, vie de fonctionnaire (« de luxe » car elle occupe des postes élevés) et imbroglios politiques, la vie de diplomate n’est pas toujours une sinécure. Deux affectations successives vont ainsi bouleverser Fred, nous entraînant au passage dans un thriller politique et un portrait psychologique passionnants.

Dans la première partie du roman, Fred est ambassadrice à Montevideo, l’une des destinations les plus tranquilles que l’on puisse imaginer dans son métier. Fred se sent simple VRP de son pays et s’interroge vaguement sur son utilité jusqu’à un événement qui va profondément l’ébranler.

Dans la deuxième partie, on la retrouve consule à Istanbul où la situation est beaucoup plus tendue qu’en Uruguay : la police politique est omniprésente, les arrestations et assignations à résidence de ressortissants allemands et germano-turcs sont monnaie courante et les diplomates ne disposent que d’une très faible marge de manœuvre pour tenter d’obtenir leur libération. Et Fred semble sur le point de craquer …

Une participation aux lectures sur le monde du travail chez Ingannmic

Comment concilier l’art feutré de la conversation diplomatique pleine de sous-entendus ? À quoi sert cette vie passée le plus souvent loin de son pays pour le représenter ? Que devient un ambassadeur ou une ambassadrice à la retraite qui perd subitement tous ses avantages (résidence de rêve, chauffeur personnel, cuisinier et autre personnel de maison payés par l’État) ? Lucy Fricke parle très bien des nombreux aspects de la vie des diplomates (ou plutôt des chef(fe)s de missions diplomatiques). On sent qu’elle en a interrogés un certain nombre et ses personnages sont parfaitement crédibles.

Son roman souligne aussi (surtout) les relations ambiguës de nos États européens avec un régime autocratique que l’on ne peut pas se mettre à dos, en particulier parce qu’il endigue la majorité des flux de migrants à destination de l’Europe. Elle brosse un portrait sans concession de la Turquie d’aujourd’hui et rend hommage au travail souvent ingrat mené dans l’ombre par des hommes et de plus en plus de femmes pour tenter de préserver la paix, parfois (souvent) au prix de leurs convictions personnelles.

J’ai lu ce roman comme on regarde ces excellents films que sont Les trois jours du condor ou Serpico. Ici, pas de flics ni de journalistes, mais ça fonctionne tout aussi bien avec des diplomates. En bref, je l’ai dévoré et me suis régalée de sa tension constante comme de l’humour à froid de l’autrice. C’est intelligent, divertissant et bouleversant, jusqu’aux toutes dernières pages.

Eva l’a lu également, ainsi qu’Alex (mais la page correspondante semble avoir disparu de son blog…)

PS : Une interview croisée de Lucy Fricke et de son personnage (de fiction) Fred Andermann est à lire ici. Et vous pouvez lire les premières pages du roman .

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Le Chat, le Général et la Corneille – Nino Haratischwili

Traduction de l’allemand par Rose Labourie – Editions Belfond

Nino Haratischwili est née en Géorgie où elle a vécu de nombreuses années. Elle vit désormais en Allemagne où elle avait déjà fui avec sa famille pendant la guerre civile qui a fait rage dans son pays au début des années 1990. C’est aussi en allemand qu’elle écrit et son roman Le Chat, le Général et la Corneille me permet donc une nouvelle participation aux Feuilles allemandes organisées cette année par Patrice & Eva et en prime une LC avec Sunalee.

Chat est une jeune comédienne géorgienne qui vit en Allemagne. Elle se cherche, professionnellement et personnellement. Sa ressemblance avec une jeune Tchétchène comme surgie du passé va servir de déclencheur pour le Général. Celui-ci charge la Corneille, l’ex-petit ami de sa fille, de recruter Chat pour une mystérieuse mission. Que cherche à déclencher le Général, cet homme à la richesse et au pouvoir phénoménaux ? Qui est-il et pourquoi fait-il appel à la Corneille, qu’il déteste ? Chat ne va-t-elle pas se brûler les ailes, elle qui semble peu à peu confondre fiction et réalité ?

La huitième vie (pour Brilka), autre roman de cette jeune autrice extrêmement talentueuse, était un de mes coups de cœur 2023, et j’ai retrouvé ici ce que j’y avais aimé : des personnages incroyablement incarnés et complexes (sauf un, mais j’y reviendrai), un souffle romanesque, de la tension et des émotions à gogo, sans oublier un éclairage passionnant sur l’histoire – ô combien tragique et violente – du Caucase. Pourtant, je n’aurais pas parié un kopeck si on m’avait dit que je lirai un jour un roman sur le conflit en Tchétchénie…

Nino Haratischwili tisse une toile dont ni ses personnages ni son lectorat ne peuvent facilement s’échapper. Il est question de crime, de culpabilité et de fatalité, de pouvoir et de châtiment. Ce retour sur la Première guerre de Tchétchénie et la libéralisation économique en Russie (événements que l’autrice réussit à rendre haletants et limpides) explique bien des choses observées aujourd’hui. L’évolution de Malich en particulier est passionnante.

J’ai cependant quelques reproches à faire à ce roman. Tout d’abord, la psychologie d’Ada m’a semblée tirée par les cheveux et j’ai eu l’impression que l’autrice avait eu du mal à trouver un prétexte pour expliquer la soudaine machination du Général. Par ailleurs, l’histoire et le suspense créé s’étirent un peu trop. La fin aurait selon moi pu arriver plus tôt et avec moins d’« effets cinématographiques » dans ses toutes dernières pages. Le récit y aurait gagné en force.

Sachant que Le Chat, le Général et la Corneille a précédé La huitième vie (qui était parfait de bout en bout), j’en déduis que l’autrice a su affiner son talent avec le temps et je laisse donc La lumière vacillante, qui vient tout juste de paraître, en très bonne place dans ma liste de livres à lire.

D’autres avis sur ce roman sont à retrouver chez Temps de lecture, Anniemots, Madame Lit et bien sûr Sunalee. Et pour écouter Nino Haratischwili parler d’amitié, d’écriture, de la Géorgie ou des femmes (en littérature notamment), c’est ici : https://youtu.be/FZMl9NbLveI

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188 mètres sous Berlin – Magdalena Parys

Traduction du polonais par Margot Carlier et Caroline Raszka – Agullo Éditions

J’avais des attentes vis-à-vis de ce roman et tout a plutôt bien commencé (si j’ose dire) avec un meurtre commis en 2000 mais lié à des événements survenus en 1980, soit près d’une décennie avant la chute du Mur de Berlin. Dix ans après le crime, Peter, ancien fonctionnaire en retraite anticipée, cherche à en savoir plus. Il s’entretient alors avec celles et ceux qui avaient participé – avec lui ainsi que la victime – à la construction d’un tunnel censé permettre des évasions de Berlin-Est vers Berlin-Ouest. Ce sont leurs témoignages respectifs que nous livre Magdalena Parys, des récits fictifs que l’on sent néanmoins nourris par des expériences très documentées.

La construction chorale qui distille les informations au compte-goutte est faite pour nous faire tourner les pages avec avidité et cela fonctionne. J’ai lu ce roman très vite, voulant avoir le fin mot de l’histoire et appréciant d’apprendre de nombreux détails historiques. L’autrice a visiblement beaucoup de choses à dire sur la Pologne derrière le rideau de fer, la Stasi et la RDA, les magouilles des uns et des autres à l’Ouest comme à l’Est pendant la Guerre froide et après. Le propos est donc intéressant. Pourtant, j’ai été déçue.

Les personnages sont nombreux, et plusieurs d’entre eux sont trop survolés pour que leur présence soit utile. Les fils de l’intrigue, multiples et intéressants en eux-mêmes s’entrecroisent par ailleurs d’une manière trop alambiquée à mon goût. C’est surtout le cas dans la dernière partie du roman, comme si Magdalena Parys avait voulu accélérer le rythme, au risque d’en faire trop.

D’autres éléments ont gâché mon plaisir : Tout d’abord quelques choix hasardeux et/ou erreurs de traduction/d’édition tels que « elle avait des visières sur les yeux » (vu le contexte, il s’agissait clairement d’œillères), des noms intervertis ou encore le fait de laisser le terme Hakenkreuz en allemand au lieu de le traduire. « Croix gammée » est quand même plus parlant pour un lectorat francophone, me semble-t-il. Plus embêtant, l’intrigue contient quelques grosses ficelles et incohérences qui m’ont gênée.

Bref, des maladresses, des lourdeurs et des complications scénaristiques superflues m’ont par moments égarée ou fait tiquer. Le but était sans aucun doute de maintenir la tension jusqu’à la révélation finale censée nous laisser bouche bée. Pour ma part, j’ai plutôt eu un sentiment de « tout ça pour ça », l’enjeu de toute cette histoire m’ayant en effet paru moyennement palpitant, même s’il est crédible et indubitablement criminel.

La couverture polonaise du roman

Cette lecture commune avec Patrice (du blog Et si on bouquinait un peu ?) débouche donc sur une déception, peut-être due avant tout à mes attentes initiales. Pour vous faire une idée plus complète à défaut d’être objective, je vous recommande donc de lire l’avis de Patrice ici. Celui-ci avait d’ailleurs déjà chroniqué Le Prince, autre roman de Magdalena Parys.