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Italie Romans

Une fleur qui ne fleurit pas – Maria Messina

Traduction de l’italien par Marguerite Pozzoli – Éditions Cambourakis

Maria Messina est l’autrice de nombreux romans et nouvelles qui lui ont valu une certaine notoriété de son vivant (1887-1944) avant de tomber dans l’oubli jusque dans les années 1980. En France, ce sont les éditions Cambourakis qui ont publié l’an dernier la traduction inédite d’un roman écrit en 1923 qu’on pourrait dire féministe avant l’heure.

« Leur père disait : « Un jour ou l’autre, chacune de vous sera en mesure de gagner sa vie honnêtement. Mais tant que je tiendrai debout, je ne permettrai jamais que mes filles sortent de la maison pour se procurer un salaire. Est-ce que vous manquez de quoi que ce soit ? » Sa femme approuvait avec gravité. Elles ne manquaient de rien, ni de pain, ni de chaussures, ni de vêtements. Mais Liliana se disait confusément que leur avenir de jeunes filles sans dot, qui ignoraient la discipline du travail, était sombre, et leur vie incomplète. »

Ce roman me laisse un peu perplexe, je l’avoue. J’ai eu le sentiment à plusieurs reprises de ne plus savoir qui était qui, surtout au tout début du roman, et de manquer de certains codes sociaux de l’époque qui m’auraient permis de saisir des allusions déterminantes. Le style alerte, parfois même virevoltant, et les dialogues très nombreux et fournis m’ont cependant convaincue de continuer ma lecture. Et j’ai bien fait car malgré mes bémols, la situation désespérante de ces jeunes filles du début du 20e siècle méritait bien qu’on s’y attarde un peu.

Si elles ne sont pas pauvres, la jeune Franca et ses amies n’ont souvent pas de dot et pas de perspectives hors du mariage. Ce serait un déshonneur pour leur père si elles travaillaient, mais privées de la possibilité de se constituer un pécule, elles n’ont d’autre choix que de se marier avec un homme pas trop regardant (donc pas de première jeunesse et/ou pas des plus vifs d’esprit) ou très souvent, de devenir ce qu’on appelle alors une « vieille fille », ce qui est loin d’être considéré comme un sort enviable. Et si par dessus le marché, elles ont eu envie de s’émanciper, de flirter, de faire preuve d’audace vestimentaire ou capillaire, elles découvriront vite qu’elles le paieront un jour. Les hommes, eux, peuvent bien être coureurs de jupons, laids, arrogants, manipulateurs, leur réputation n’en souffrira pas plus que ça et ils restent aux commandes de leur vie. Les choses ont-elles véritablement changé depuis cette époque, on peut d’ailleurs se le demander…

Maria Messina a eu la bonne idée de ne pas faire de Franca une jeune femme particulièrement attachante (on n’est pas dans le romantisme ici). Prise en étau entre ses envies de liberté et le carcan de son milieu et de son époque, elle réagit souvent avec agressivité, voire méchanceté, ce qui n’a rien de surprenant car il y a de quoi vous rendre folle ! C’est cependant ce qui m’a en partie tenue un peu à distance, même si je pense que la construction du roman a joué un rôle aussi.

Bref, un roman très intéressant qui m’a parfois semblé un peu trop froid pour me convaincre totalement. Et une lecture qui me permet de participer pour la première fois au #challengeauteursitaliens organisé par @vuottomarie.

PS : À propos des « vieilles filles », j’ai entendu la journaliste Marie Kock à la radio, où elle était interrogée à propos de ce qui se voulait une insulte contre Kamala Harris (traitée de « childless cat lady« ). Dans la foulée, j’ai noté son essai (celui de Marie Kock, pas de Kamala Harris 😊) intitulé Vieille fille – Une proposition qui m’a l’air tout à fait passionnant.

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Colombie Romans

La chienne – Pilar Quintana

Traduction de l’espagnol (Colombie) par Laurence Debril – Calmann-Lévy

Voilà un très court roman (128 pages) que j’ai lu presque d’une traite, envoûtée que j’étais par l’atmosphère tissée par Pilar Quintana.

Sur la côte pacifique de la Colombie, Damaris et Rogelio vivotent dans une cabane grâce aux quelques sous gagnés au prix de campagnes de pêche plus ou moins fructueuses et de ménages. En mal d’enfant, ils se sont éloignés et, depuis plusieurs années, ne font plus que cohabiter. Sur un coup de tête, Damaris adopte un jour une petite chienne à laquelle elle s’attache sans doute plus que de raison. Après une première fugue, celle-ci prend goût à la liberté et s’échappe à la première occasion. Ces abandons font passer Damaris par toute une palette d’émotions, des plus douces aux plus féroces.

C’est bien Damaris que l’on suit, et sa ou plutôt ses douleurs qui se dévoilent au fil de retours dans le passé. Mais Pilar Quintana nous parle aussi de Rogelio, bien moins fruste qu’au premier abord, et de toute une petite communauté accrochée à ce bord de mer hostile. Tous ces personnages m’ont paru extrêmement seuls, à commencer par Damaris bien sûr, une impression renforcée par leur isolement géographique. Les tempêtes, la chaleur, la mer, la jungle et sa faune, bref, la nature est également omniprésente dans ce roman. Et elle n’y est pas généreuse, mais impitoyable et menaçante.

La chienne est un roman resserré, au style sobre et poignant à la fois. Très fort et dépaysant, il se lit vite mais ne s’oubliera pas facilement.

PS : Koryfée, dont je viens de découvrir le blog, l’a aimé aussi. Sa chronique est à retrouver ici (avec en prime son adorable toutou en photo !).

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Allemagne Romans

L’amour par temps de crise – Daniela Krien

Traduction de l’allemand par Dominique Autrand – Éditions Points

Enfin novembre ! Contrairement à beaucoup, j’aime ce mois de l’année avec ses odeurs de sous-bois humide, ses longues soirées qui promettent de belles séances de lectures, ses après-midi chocolat chaud à gogo, et cerise sur le gâteau : c’est aussi le rendez-vous des Feuilles allemandes ! Merci à Et si on bouquinait et à Livr’escapades de nous inviter à explorer la littérature germanophone, qu’elle vienne d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse ou d’ailleurs. Je sens que je vais me régaler !

Pour ouvrir ce mois germanophile, j’ai lu L’amour en temps de crise, attirée que j’étais par ce beau titre et le joli succès que s’est taillé ce roman allemand à sa sortie en 2019. Daniela Krien nous plonge dans quelques années de la vie de 5 femmes âgées d’une trentaine à une quarantaine d’années. Certaines ont des enfants, d’autres non. Certaines ont un amant, d’autres plusieurs, d’autres pas. Ce qui les relie ? Elles vivent toutes à Leipzig, en ex-RDA, et se connaissent directement ou par personne interposée, parfois juste de vue. En femmes de leur temps, Paula, Judith, Brida, Malika et Jorinde essaient de tenir debout face aux multiples injonctions bien lourdes à porter qu’elles subissent.

L’autrice décrit avec précision et justesse les premiers temps de la passion amoureuse, le bouleversement que représente la maternité, le choix ou la souffrance de ne pas avoir d’enfant, les relations d’emprise qui peuvent se tisser au sein du couple ou au détour d’une amitié, les séquelles laissées par un modèle parental ou éducatif bancal, le déchirement d’une rupture… Les souvenirs d’une enfance au temps de la RDA ainsi que les préjugés et incompréhensions qui persistent entre Allemand(e)s de l’Est et l’Ouest transparaissent également dans ces portraits sans fard de femmes contemporaines.

L’œuvre de Johann Sebastian Bach, indissociable de Leipzig, traverse ce roman. Image par scholacantorum de Pixabay

On s’identifie facilement à certaines facettes de ces 5 femmes. Tout chez elles n’est pas d’ailleurs pas sympathique, ce que j’ai apprécié car elles nous apparaissent ainsi sous un jour nuancé, réaliste et d’autant plus humain. Elles savent aussi réinventer les modèles de vie qu’on cherche à leur imposer. Les hommes sont en revanche présentés soit comme faibles, égoïstes, donneurs de leçons voire destructeurs, soit parfaitement à l’écoute, sensibles et attentionnés. J’aurais aimé un peu plus d’objectivité et de finesse sur cet aspect. Ce sera ma seule réserve pour ce roman qui saisit très bien l’air du temps et la psyché féminine.

PS : De Daniela Krien, Eva a également lu Un jour nous nous raconterons tout et L’incendie. Ils rejoindront sûrement ma PAL très bientôt.

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Films et séries

La dernière reine – Damien Ounouri & Adila Bendimerad (2023)

Le cinéma algérien offre régulièrement des pépites dans des genres très variés : drames, chroniques politiques et sociales, comédies… Aujourd’hui, pour le Mois africain proposé par Sur la route de Jostein, c’est une fresque historique alliant grand spectacle et girl power en Algérie que je vous invite à découvrir : La dernière reine.

L’histoire commence en 1516 lorsque Barberousse aide le roi local à libérer Alger des tentatives de domination espagnole. Le fameux corsaire ne compte cependant pas s’arrêter là et convoite le pouvoir. Une femme va alors s’opposer à lui : la reine Zaphira, la deuxième épouse du souverain jusqu’alors plus connue pour sa frivolité que pour ses talents politiques.

Il y a autant de légende que de véritable Histoire dans ce récit puisque la vie de Barberousse est plutôt bien documentée tandis que celle de Zaphira est plus contestée. Le duo aux commandes du scénario et de la réalisation a voulu montrer que les femmes ont de tout temps conseillé les hommes et leur ont tenu tête, y compris dans l’Algérie du XVIe siècle. Damien Ounouri et Adila Bendimerad ont donc choisi de mettre en avant un personnage méconnu mais ô combien cinématographique. Zaphira se révèle lorsque le royaume est menacé. Pour son mari, pour son fils, pour Alger, elle résiste au corsaire au bras d’argent (accessoire fort bien employé dans la dramaturgie de l’histoire). Son dilemme m’a d’ailleurs rappelé celui d’une certaine Andromaque.

Les actrices sont magistrales (j’ai adoré la reine Chegga), les acteurs ténébreux à souhait, les décors sublimes et les scènes d’action efficaces (même si un chouïa trop sanglantes pour moi, mais elles sont concentrées au début du film donc c’est tout à fait supportable). Offrant de beaux moments oniriques et de convaincantes confrontations politiques et psychologiques, ce film est un excellent divertissement, très bien mené et visuellement brillant (dans tous les sens du terme car les bijoux et étoffes précieuses sont très présentes à l’image). Le plus de La dernière reine : l’Algérie, bien sûr ! Sa langue, son histoire, ses paysages (ah ! éternelle et envoûtante Tipasa !)…

PS : Le film, sorti en début d’année, ne passe plus en salle. Vous le trouverez en VOD et en DVD.

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Classiques français Romans

La Petite Fadette – George Sand

Éditions Folio classique

Pour le challenge Les classiques, c’est fantastique organisé par Moka et Fanny, je n’ai pas hésité longtemps lorsque j’ai découvert le thème du mois de mai : Colette vs Sand. J’ai en effet gardé un très bon souvenir de ma lecture au collège (il y a une éternité) de La Mare au diable, alors que je sais m’être sérieusement ennuyée avec Sido et Le blé en herbe.

Deux romans de George Sand ont donc rejoint ma PAL et c’est le plus court, La Petite Fadette, que j’ai lu pour ce rendez-vous, la 4e de couverture m’ayant rappelé ma récente lecture de la Sorcière de Limbricht :

Qu’on l’appelle sorcière ou farfadet, le personnage de la Petite Fadette est nimbé d’une inquiétante magie. Les paysans l’accusent d’avoir ensorcelé un jeune villageois tombé amoureux d’elle : Landry est en effet métamorphosé par cette jeune fille mystérieuse. Mais, en fait de magie, Fadette initie le jeune homme aux secrets de la nature, pour laquelle elle nourrit une foi simple et raisonnée.

Au passage, j’ai repéré dans ma médiathèque une BD consacrée à la vie de George Sand et signée par le duo Sandrine Vidal/Kim Consigny. George Sand, fille du siècle est un petit pavé et l’on comprend pourquoi à sa lecture : Aurore Dupin, baronne Dudevant de son vrai nom, a eu une vie incroyable que je serais bien en peine de résumer ici et qui mérite d’être redécouverte. Je pose donc la question : À quand un biopic sur George Sand ? Des drames, de la passion, de la politique, de l’art… Tous les ingrédients sont là pour un film ou une mini-série en costumes et à gros budget ! En attendant cette éventualité, je recommande cette bande dessinée très réussie si vous souhaitez en savoir plus sur cette personnalité hors du commun.

Mais je m’égare… Il est temps de revenir à La Petite Fadette. Ce petit roman a un charme fou, un vrai feel good book avant l’heure ! L’histoire en elle-même tiendrait en quelques lignes mais sous couvert d’une histoire sentimentale assez classique, George Sand décrypte les mœurs paysannes de son cher Berry avec acuité et de nombreuses notes d’humour.

George Sand se place ici en conteuse et n’hésite pas à intégrer quelques intermèdes comme ici, lorsque le narrateur intervient dans l’histoire pour railler la soi-disant érudition des lettrés des environs :

Vous me reprendrez peut-être sur ce mot-là parce que le maître d’école s’en fâche et veut qu’on dise « capharnaüm » ; mais, s’il connaît le mot, il ne connaît point la chose, car j’ai été obligé (sic) de lui apprendre que c’était l’endroit de la grange où l’on serre les jougs, les chaînes, les ferrages et les épelettes de toute espèce qui servent aux bêtes de labour et aux instruments du travail de la terre.

Elle s’appuie sur les superstitions campagnardes et les atmosphères villageoises pour souligner les contradictions entre le bon sens et la charité affichés et ce qui se pratique vraiment : la petite Fadette à laquelle on attribue des pouvoirs surnaturels est par exemple celle qui a le plus la tête sur les épaules et le plus de vertu.

La Petite Fadette est une histoire d’amour à l’atmosphère champêtre, pleine de bon sens et de superstitions à la fois, dans laquelle les femmes mènent plus souvent la danse qu’on ne l’imaginerait. Et quel plaisir de lire cette belle langue du XIXe siècle, agrémentée d’expressions authentiquement berrichonnes ou inventées par l’autrice. Je n’ai donc aucun regret, c’était George Sand qu’il me fallait pour ce duel littéraire !

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Angleterre Romans

Toute passion abolie – Vita Sackville-West

Traduction de l’anglais par Micha Venaille – Le Livre de poche

Voici ma deuxième chronique proposée dans le cadre du #Moisanglais de Lou et Titine grâce auquel vous pourrez découvrir une foule de romans, mais aussi des recettes (« coronation quiche » en tête), des films, des podcasts…

Dans Toute passion abolie, Lady Slane, âgée de 88 ans, décide de vivre enfin pour elle-même au lendemain de la mort de son mari. Lasse des faux-semblants et des obligations familiales ou mondaines, elle s’ouvre à de nouvelles amitiés choisies, savoure le calme retrouvé et se souvient de ses aspirations de jeune femme.

La plume de Vita Sackville-West est une merveille d’élégance et son regard sur la place des femmes, l’ambition humaine et la vieillesse est d’une grande modernité. Ce court roman aux accents mélancoliques, mais malicieux aussi, fait partie de ces livres que l’on prend plaisir à lire et à relire à différentes périodes de sa vie car ils sont une source inépuisable de réflexion.

Des pensées choquantes, peu naturelles, l’avaient souvent traversée. « Si seulement je ne m’étais pas mariée… si je n’avais pas eu d’enfant… » Pourtant elle aimait Henry – jusqu’à en mourir. Elle aimait ses enfants – jusqu’à la sentimentalité.

En quelques lignes, Vita Sackville-West résume par exemple merveilleusement le dilemme qui peut assaillir les femmes et mères de famille tiraillées entre leurs aspirations personnelles, les injonctions sociales et leur amour pour leurs proches.

Toute passion abolie n’est pas pour autant un pamphlet féministe et Lady Slane comme ses nouveaux amis ont un recul délicieux, ironique et plein de sagesse sur la vie. C’est sans amertume que cette ancienne vice-reine des Indes se retourne sur son passé, même s’il est émaillé de regrets, et elle savoure chaque jour sans craindre la mort qui approche mais qu’elle voit comme « la grande aventure à laquelle nous préparent toutes les autres. » Il est rare de lire une vision aussi sereine de cette période si particulière qu’est le très grand âge et j’ai trouvé ça particulièrement rafraîchissant.

Vita Sackville-West (quel nom flamboyant, digne d’une héroïne de roman d’aventures !) m’a séduite et je compte bien continuer à explorer son œuvre, pourquoi pas avec la correspondance qu’elle a entretenue avec Virginia Woolf chroniquée par Fanny récemment ?

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Essais et autres livres Grèce

Autobiographie, Mémoires d’une recluse – Elisavet Moutzan-Martinengou

Traduction du grec et postface par Lucile Arnoux-Farnoux – Éditions Cambourakis

Première écrivaine grecque, première femme à écrire son autobiographie en Grèce, Elisavet Moutzan-Martinengou est l’autrice d’une vingtaine de pièces de théâtre, de poèmes, contes et fables rédigés en italien et en grec. Un véritable tour de force quand on sait dans quelles circonstances elle a vécu et écrit.

Elisavet Moutzan-Martinengou a lutté toute sa vie pour pouvoir s’instruire et écrire. Son rêve de voir ses œuvres publiées et reconnues ne se sera pas réalisé. Le seul écrit qui a résisté au temps et aux destructions est cette autobiographie partielle, publiée pour la première fois en français en 2022.

Deux aspects ressortent de ce très court livre (à la postface passionnante) : la condition d’Elisavet Moutzan-Martinengou en tant que femme et sa détermination sans faille à devenir une écrivaine reconnue. Parce qu’elle était une femme née au début du 19e siècle dans une famille très conservatrice de l’île de Zakynthos, elle a grandi enfermée dans la maison de ses parents de l’âge de 8 ans jusqu’à son mariage, n’a pas eu droit à une véritable instruction et a dû lutter pour obtenir des bribes d’enseignement dispensées par des religieux de passage. Surtout, elle a travaillé d’arrache-pied et avec les moyens du bord, le plus souvent seule, pour atteindre son objectif. La modernité et la virulence de son combat de femme et d’écrivaine sont d’autant plus frappantes que, par ailleurs, elle ne conteste que peu son éducation et son époque.

Pour être honnête, je ne suis pas certaine que j’aurais apprécié les autres écrits d’Elisavet Moutzan-Martinengou, qu’elle qualifie elle-même de « moralistes » et dont elle livre quelques extraits dans cette autobiographie. Par moments, j’ai également été un peu agacée par sa naïveté et son côté présomptueux. Elle ne doute par exemple pas un instant que ses œuvres rencontreraient le succès si seulement elles étaient publiées. Mais cette arrogance, surprenante de la part d’une jeune femme vivant totalement à l’écart du monde, est aussi très attachante et stimulante : Après tout, pourquoi aurait-elle dû douter de son talent ? Son autobiographie mérite en tout cas d’être (re)découverte, ne serait-ce que pour mesurer le chemin accompli par les femmes, mais aussi celui qui reste à parcourir.

Cette lecture me permet de m’associer au Printemps des artistes, un défi culturel proposé par La bouche à oreilles, pour partager des idées de livres ou des films dont le héros ou l’héroïne est un artiste ou qui parlent d’art.

Dans un entretien accordé au site Grèce hebdo, sa traductrice parle d’Elisavet Moutzan-Martinengou et de la littérature grecque moderne : https://www.grecehebdo.gr/interviews/2870-interview-lucile-arnoux-farnoux

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Bulgarie Romans

Les dévastés – Théodora Dimova

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions des Syrtes

À travers le récit de quatre femmes frappées de plein fouet par l’épuration de leur pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale, j’ai découvert un pan méconnu de l’Histoire de la Bulgarie, y compris dans ce pays où cette période a été totalement occultée. Surtout, j’ai été soufflée par la plume de Théodora Dimova (et sa traduction de toute beauté). Les dévastés est à lire d’urgence !

Dans ce roman, Théodora Dimova brosse le portrait d’une bourgeoisie menant une vie insouciante faite de pique-niques, d’harmonie conjugale et de jolis intérieurs, qui contraste avec ce qui se passe alors en Europe et dans le monde, comme avec la vie d’une grande partie de la population bulgare. Mais la guerre rattrapera aussi celles et ceux qui pensaient être épargnés.

Alliée de l’Allemagne nazie, la Bulgarie est vaincue, sans résistance, par l’Armée rouge à la fin de l’année 1944. Les communistes prennent les commandes du pays et cherchent à éradiquer toute influence religieuse et trace de la collaboration du gouvernement précédent avec l’ennemi. Intellectuels, religieux, mais aussi ennemis personnels des uns et des autres sont arrêtés, emprisonnés et exécutés clandestinement ou publiquement.

Dans ces portraits croisés se nouent les destins de trois familles qui resteront brisées par la mort du mari, du père. Chacune de ces histoires personnelles est tragique, bouleversante. Les femmes, en tant qu’épouses, mères et filles, sont au centre de ces récits, et pour cause : les hommes ne sont plus là, les femmes doivent vivre seules avec le poids de leur absence, de la culpabilité et du non-dit. Et si certains « vainqueurs » sont foncièrement mauvais, l’autrice ne tombe pas dans le cliché et montre que beaucoup cherchent simplement à sauver leur propre peau.

L’écriture fluide, extrêmement élégante et cinématographique de Théodora Dimova m’a tout simplement emportée. Elle nous met en empathie totale avec ses héroïnes et je voyais littéralement la scène se passer sous mes yeux, qu’il s’agisse d’une joyeuse soirée littéraire entre amis ou d’une attente angoissée dans l’intimité d’un appartement.

Dans sa postface, l’autrice explique brièvement pourquoi elle a tenu à écrire ce roman : « En tant qu’écrivain, ma tâche est de mettre le doigt dans la plaie (…). Notre génération se trouve à la frontière sur laquelle nous pouvons transmettre la mémoire de la vérité à ceux qui vivront après nous. Pour qu’ils ne vivent pas dans le monde humiliant du mensonge. » C’est chose faite ici, avec brio.

PS : Vous pouvez retrouver une passionnante interview de la traductrice Marie Vrinat chez Passage à l’Est !