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La Petite Fadette – George Sand

Éditions Folio classique

Pour le challenge Les classiques, c’est fantastique organisé par Moka et Fanny, je n’ai pas hésité longtemps lorsque j’ai découvert le thème du mois de mai : Colette vs Sand. J’ai en effet gardé un très bon souvenir de ma lecture au collège (il y a une éternité) de La Mare au diable, alors que je sais m’être sérieusement ennuyée avec Sido et Le blé en herbe.

Deux romans de George Sand ont donc rejoint ma PAL et c’est le plus court, La Petite Fadette, que j’ai lu pour ce rendez-vous, la 4e de couverture m’ayant rappelé ma récente lecture de la Sorcière de Limbricht :

Qu’on l’appelle sorcière ou farfadet, le personnage de la Petite Fadette est nimbé d’une inquiétante magie. Les paysans l’accusent d’avoir ensorcelé un jeune villageois tombé amoureux d’elle : Landry est en effet métamorphosé par cette jeune fille mystérieuse. Mais, en fait de magie, Fadette initie le jeune homme aux secrets de la nature, pour laquelle elle nourrit une foi simple et raisonnée.

Au passage, j’ai repéré dans ma médiathèque une BD consacrée à la vie de George Sand et signée par le duo Sandrine Vidal/Kim Consigny. George Sand, fille du siècle est un petit pavé et l’on comprend pourquoi à sa lecture : Aurore Dupin, baronne Dudevant de son vrai nom, a eu une vie incroyable que je serais bien en peine de résumer ici et qui mérite d’être redécouverte. Je pose donc la question : À quand un biopic sur George Sand ? Des drames, de la passion, de la politique, de l’art… Tous les ingrédients sont là pour un film ou une mini-série en costumes et à gros budget ! En attendant cette éventualité, je recommande cette bande dessinée très réussie si vous souhaitez en savoir plus sur cette personnalité hors du commun.

Mais je m’égare… Il est temps de revenir à La Petite Fadette. Ce petit roman a un charme fou, un vrai feel good book avant l’heure ! L’histoire en elle-même tiendrait en quelques lignes mais sous couvert d’une histoire sentimentale assez classique, George Sand décrypte les mœurs paysannes de son cher Berry avec acuité et de nombreuses notes d’humour.

George Sand se place ici en conteuse et n’hésite pas à intégrer quelques intermèdes comme ici, lorsque le narrateur intervient dans l’histoire pour railler la soi-disant érudition des lettrés des environs :

Vous me reprendrez peut-être sur ce mot-là parce que le maître d’école s’en fâche et veut qu’on dise « capharnaüm » ; mais, s’il connaît le mot, il ne connaît point la chose, car j’ai été obligé (sic) de lui apprendre que c’était l’endroit de la grange où l’on serre les jougs, les chaînes, les ferrages et les épelettes de toute espèce qui servent aux bêtes de labour et aux instruments du travail de la terre.

Elle s’appuie sur les superstitions campagnardes et les atmosphères villageoises pour souligner les contradictions entre le bon sens et la charité affichés et ce qui se pratique vraiment : la petite Fadette à laquelle on attribue des pouvoirs surnaturels est par exemple celle qui a le plus la tête sur les épaules et le plus de vertu.

La Petite Fadette est une histoire d’amour à l’atmosphère champêtre, pleine de bon sens et de superstitions à la fois, dans laquelle les femmes mènent plus souvent la danse qu’on ne l’imaginerait. Et quel plaisir de lire cette belle langue du XIXe siècle, agrémentée d’expressions authentiquement berrichonnes ou inventées par l’autrice. Je n’ai donc aucun regret, c’était George Sand qu’il me fallait pour ce duel littéraire !

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Pays-Bas Romans

La sorcière de Limbricht – Susan Smit

Traduction du néerlandais par Marie Hooghe – Éditions Charleston

Au fil des jours qu’elle passe en captivité, Entgen Luijten se remémore son enfance, son mariage, la naissance de sa fille et ses relations avec les habitants de Limbricht, tissant a posteriori le fil des événements qui ont conduit à son arrestation. Elle se sera affranchie de sa mère, fervente catholique vivant dans la crainte permanente du péché et de l’enfer, aura choisi un mari qui lui laisse volontiers le rôle traditionnellement dévolu aux hommes (négocier, débattre) et vécu en accord avec ses convictions et avec la nature.

Le thème de la sorcière, très à la mode ces dernières années, m’intéresse beaucoup. Dans ce domaine, le film Les sorcières d’Akkelare, sorti en 2021 et – fait rare – tourné presque exclusivement en basque espagnol, m’a particulièrement marquée, tout comme l’intrigant roman de Siri Hustvedt Souvenirs de l’avenir. Dans ma pile à lire (P.A.L pour les initié(e)s) figure bien entendu l’incontournable Sorcières – la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet. Mais je préfère de loin les romans aux essais, et voilà déjà des années qu’il m’attend… J’ai encore repoussé le moment en choisissant de lire plutôt La sorcière de Limbricht.

Dans ce roman néerlandais, Entgen est arrêtée à l’âge de 74 ans, au soir d’une vie indépendante et libre. C’est précisément cette indépendance ainsi que sa « langue acérée » qui la perdront, à une époque où une femme n’était pas censée prendre la parole et décider par elle-même. Susan Smit s’est inspirée du procès d’Entgen Luijten qui a eu lieu en 1674. Les faits liés à la procédure sont directement tirés d’archives d’époque et de recherches historiques, mais le récit à la première personne fait par Entgen provient de l’imagination de l’autrice, qui se revendique elle-même « sorcière moderne ».

J’ai apprécié la profondeur du personnage d’Entgen qui reconnaît et regrette parfois sa part d’ombre, ces « remparts » qu’elle élève autour d’elle et qui l’éloignent de ceux qu’elle aime. Susan Smit parle alors très bien des revers qui peuvent accompagner une telle volonté de liberté. C’est pour moi l’un des atouts du livre, par ailleurs élégamment construit et écrit.

Si celles et ceux qui s’intéressent déjà à la thématique des sorcières en Europe n’apprendront sans doute pas grand-chose, il offrira aux autres une excellente porte d’entrée dans l’histoire de ces femmes craintes parce qu’« indociles ». La sorcière de Limbricht offre un beau portrait de femme qui mène sa vie comme elle l’entend, sans se soucier du regard des autres et qui paie pour cela le prix fort.

PS : Mespagesversicolores a lu Anna Thalberg d’Eduardo Sangarcía, autre roman consacré à une sorcière au 17e siècle, en Allemagne cette fois : https://pagesversicolores.wordpress.com/2023/02/09/anna-thalberg-eduardo-sangarcia/