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La sorcière de Limbricht – Susan Smit

Traduction du néerlandais par Marie Hooghe – Éditions Charleston

Au fil des jours qu’elle passe en captivité, Entgen Luijten se remémore son enfance, son mariage, la naissance de sa fille et ses relations avec les habitants de Limbricht, tissant a posteriori le fil des événements qui ont conduit à son arrestation. Elle se sera affranchie de sa mère, fervente catholique vivant dans la crainte permanente du péché et de l’enfer, aura choisi un mari qui lui laisse volontiers le rôle traditionnellement dévolu aux hommes (négocier, débattre) et vécu en accord avec ses convictions et avec la nature.

Le thème de la sorcière, très à la mode ces dernières années, m’intéresse beaucoup. Dans ce domaine, le film Les sorcières d’Akkelare, sorti en 2021 et – fait rare – tourné presque exclusivement en basque espagnol, m’a particulièrement marquée, tout comme l’intrigant roman de Siri Hustvedt Souvenirs de l’avenir. Dans ma pile à lire (P.A.L pour les initié(e)s) figure bien entendu l’incontournable Sorcières – la puissance invaincue des femmes de Mona Chollet. Mais je préfère de loin les romans aux essais, et voilà déjà des années qu’il m’attend… J’ai encore repoussé le moment en choisissant de lire plutôt La sorcière de Limbricht.

Dans ce roman néerlandais, Entgen est arrêtée à l’âge de 74 ans, au soir d’une vie indépendante et libre. C’est précisément cette indépendance ainsi que sa « langue acérée » qui la perdront, à une époque où une femme n’était pas censée prendre la parole et décider par elle-même. Susan Smit s’est inspirée du procès d’Entgen Luijten qui a eu lieu en 1674. Les faits liés à la procédure sont directement tirés d’archives d’époque et de recherches historiques, mais le récit à la première personne fait par Entgen provient de l’imagination de l’autrice, qui se revendique elle-même « sorcière moderne ».

J’ai apprécié la profondeur du personnage d’Entgen qui reconnaît et regrette parfois sa part d’ombre, ces « remparts » qu’elle élève autour d’elle et qui l’éloignent de ceux qu’elle aime. Susan Smit parle alors très bien des revers qui peuvent accompagner une telle volonté de liberté. C’est pour moi l’un des atouts du livre, par ailleurs élégamment construit et écrit.

Si celles et ceux qui s’intéressent déjà à la thématique des sorcières en Europe n’apprendront sans doute pas grand-chose, il offrira aux autres une excellente porte d’entrée dans l’histoire de ces femmes craintes parce qu’« indociles ». La sorcière de Limbricht offre un beau portrait de femme qui mène sa vie comme elle l’entend, sans se soucier du regard des autres et qui paie pour cela le prix fort.

PS : Mespagesversicolores a lu Anna Thalberg d’Eduardo Sangarcía, autre roman consacré à une sorcière au 17e siècle, en Allemagne cette fois : https://pagesversicolores.wordpress.com/2023/02/09/anna-thalberg-eduardo-sangarcia/