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BD et romans graphiques

Les dames de Kimoto – Cyril Bonin

Éditions Sarbacane, d’après le roman de Sawako Ariyoshi

Avril, c’est notamment Un mois au Japon grâce au rendez-vous lancé par Lou et Hilde. L’occasion rêvée pour parler aujourd’hui d’une très belle bande dessinée française adaptée du roman éponyme signé Sawako Ariyoshi : Les dames de Kimoto.

J’ai profité d’un après-midi pluvieux de ce début de printemps pour me plonger, avec délice et un bon thé vert, dans cette histoire qui retrace la vie de trois générations de femmes d’une même famille au Japon. En réalité, l’héroïne centrale est Hana, dont le mariage ouvre le récit.

Élevée dans le respect des traditions, cette très belle jeune femme connaîtra une vie de devoir auprès de son mari qui se veut moderne et progressiste, mais qui réserve son ouverture d’esprit aux nouvelles techniques ou à la politique. Ce que fait Hana de ses journées ou ses éventuelles aspirations n’intéressent pas son époux et ce n’est pas réelle méchanceté de sa part, simplement le reflet de leur époque et de leur culture, toutes deux très misogynes.

La fille de Hana, elle, a un tempérament rebelle et supporte mal la résignation de sa mère face à la condition des femmes de sa génération. La guerre et les drames personnels passeront cependant par là et sa vision des choses s’adoucira avec le temps. Enfin, Hanako, la petite-fille, alliera ces deux mondes, l’ancien et le nouveau, prouvant qu’ils peuvent cohabiter au lieu de s’opposer.

J’ai aimé cette histoire de femmes aux modes de vie et aux personnalités très différentes, car elle ne tombe pas dans la caricature, le manichéisme. Si Hana ressent parfois du regret, elle trouve aussi de la sérénité et de la satisfaction dans cette vie traditionnelle. Les certitudes, parfois à l’emporte-pièce, de sa fille Fumio seront ébranlées et, peu à peu, elle comprendra mieux les superstitions de sa mère et son besoin de se conformer à certains rites.

J’ai énormément apprécié la douceur qui émane du dessin comme du récit. Le choix des couleurs en particulier, dans une vaste palette de roses et de verts, m’a beaucoup plu. Cyril Bonin a opté pour des tons très doux et une esthétique délicatement, mais pas exagérément japonisante. Les dames de Kimoto dégage ainsi une mélancolie et un charme intemporels. Un beau dépaysement pour une histoire finalement universelle.

PS : Si vous hésitez encore, je vous recommande de lire également la chronique de Doudou matous : https://jelisjeblogue.blogspot.com/2023/04/les-dames-de-kimoto-cyril-bonin.html?m=1

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Bulgarie Romans

Les dévastés – Théodora Dimova

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions des Syrtes

À travers le récit de quatre femmes frappées de plein fouet par l’épuration de leur pays à la fin de la Seconde Guerre mondiale, j’ai découvert un pan méconnu de l’Histoire de la Bulgarie, y compris dans ce pays où cette période a été totalement occultée. Surtout, j’ai été soufflée par la plume de Théodora Dimova (et sa traduction de toute beauté). Les dévastés est à lire d’urgence !

Dans ce roman, Théodora Dimova brosse le portrait d’une bourgeoisie menant une vie insouciante faite de pique-niques, d’harmonie conjugale et de jolis intérieurs, qui contraste avec ce qui se passe alors en Europe et dans le monde, comme avec la vie d’une grande partie de la population bulgare. Mais la guerre rattrapera aussi celles et ceux qui pensaient être épargnés.

Alliée de l’Allemagne nazie, la Bulgarie est vaincue, sans résistance, par l’Armée rouge à la fin de l’année 1944. Les communistes prennent les commandes du pays et cherchent à éradiquer toute influence religieuse et trace de la collaboration du gouvernement précédent avec l’ennemi. Intellectuels, religieux, mais aussi ennemis personnels des uns et des autres sont arrêtés, emprisonnés et exécutés clandestinement ou publiquement.

Dans ces portraits croisés se nouent les destins de trois familles qui resteront brisées par la mort du mari, du père. Chacune de ces histoires personnelles est tragique, bouleversante. Les femmes, en tant qu’épouses, mères et filles, sont au centre de ces récits, et pour cause : les hommes ne sont plus là, les femmes doivent vivre seules avec le poids de leur absence, de la culpabilité et du non-dit. Et si certains « vainqueurs » sont foncièrement mauvais, l’autrice ne tombe pas dans le cliché et montre que beaucoup cherchent simplement à sauver leur propre peau.

L’écriture fluide, extrêmement élégante et cinématographique de Théodora Dimova m’a tout simplement emportée. Elle nous met en empathie totale avec ses héroïnes et je voyais littéralement la scène se passer sous mes yeux, qu’il s’agisse d’une joyeuse soirée littéraire entre amis ou d’une attente angoissée dans l’intimité d’un appartement.

Dans sa postface, l’autrice explique brièvement pourquoi elle a tenu à écrire ce roman : « En tant qu’écrivain, ma tâche est de mettre le doigt dans la plaie (…). Notre génération se trouve à la frontière sur laquelle nous pouvons transmettre la mémoire de la vérité à ceux qui vivront après nous. Pour qu’ils ne vivent pas dans le monde humiliant du mensonge. » C’est chose faite ici, avec brio.

PS : Vous pouvez retrouver une passionnante interview de la traductrice Marie Vrinat chez Passage à l’Est !

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Allemagne Romans

Nouvel An – Juli Zeh

Traduction de l’allemand par Rose Labourie, éditions Actes Sud

Il y a fort longtemps, j’ai commencé La fille sans qualités (Spieltrieb) de l’autrice allemande Juli Zeh, sans réussir à dépasser les trente premières pages. Ce n’était peut-être pas le bon moment (le thème est assez rude), ou m’attaquer à sa version originale était trop ambitieux à l’époque, je ne saurais plus dire. Toujours est-il que, pendant des années, je n’ai plus osé me tourner vers cette autrice entretemps devenue prolifique.

Et voilà qu’il y a quelques semaines, j’ai repéré dans la petite section germanophone de ma médiathèque Nouvel An (Neujahr), un autre roman de Juli Zeh, plus récent, plus court et surtout désigné comme « coup de cœur » par les bibliothécaires. Je crois n’avoir jamais été déçue par ce label et le moment semblait donc venu d’enfin tenter de dépasser mon premier échec avec cette écrivaine. Et j’ai bien fait !

Dès les premières lignes, j’ai été happée par ce roman haletant, digne d’un thriller et pourtant dénué de meurtre ou d’enquête. La tension sans relâche que tisse Juli Zeh est purement psychologique et diablement efficace ! Je me suis plusieurs fois surprise à être en apnée au cours de ma lecture !

J’ai rapidement eu le sentiment de faire cette ascension à vélo avec Henning, son protagoniste. L’image de l’homme épanoui et de sa famille idyllique se fissure au fur et à mesure de la montée dans laquelle ce jeune père de famille s’est lancé et on comprend que ce n’est sans doute pas tout à fait un hasard s’il a choisi de passer ses vacances sur l’île de Lanzarote et de prendre cette route à ce moment de sa vie… Dans la deuxième partie du roman, encore plus intense, Juli Zeh décrit avec une minutie presque chirurgicale un souvenir d’enfance traumatique qui refait soudainement surface. J’ai lu la fin du roman d’une traite : il fallait absolument que je sache très, très vite ce qui s’était passé et quelles conséquences cette (re)découverte aurait sur Henning. Si j’ai été brièvement déroutée par le dénouement, je le trouve finalement très juste (et je n’en dirai pas plus pour ne pas vous divulgâcher cette histoire !).

J’ai lu Nouvel An en langue originale, donc en allemand, et j’ai apprécié l’écriture épurée, presque factuelle de Juli Zeh qui parvient pourtant à faire ressentir avec intensité les émotions de son personnage principal. Le roman soulève une foule de questions sur la vie de couple moderne, la parentalité et la paternité en particulier, mais aussi la mémoire, les non-dits, les relations familiales toxiques. Chez moi, la réflexion se poursuivra longtemps après avoir tourné la dernière page.

Un petit mot pour les germanophones qui n’oseraient pas franchir le pas de la lecture en version originale : ce roman m’a paru accessible (vocabulaire et structures simples, thèmes contemporains). Ça peut être l’occasion de vous lancer et si vous flanchez en route, la traduction pourra prendre le relais…

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Danemark Romans

De l’argent à flamber – Asta Olivia Nordenhof

Traduction du danois par Hélène Hervieu, Les Argonautes Éditeur

Une toute nouvelle maison d’édition est née dans ma ville ! Sa vocation : mieux faire connaître la littérature européenne traduite. Une véritable manne pour la lectrice férue de romans étrangers que je suis. Je me suis donc jetée sur les trois premières publications des Argonautes Éditeur, à commencer par un roman danois annoncé comme politique et engagé : De l’argent à flamber. Traversé par la violence aussi bien sociale, financière, psychologique que physique, ce court roman est aussi, et surtout, d’une grande beauté.

Asta Olivia Nordenhof s’est lancée dans l’écriture de sept romans consacrés à l’incendie d’un ferry qui reliait la Norvège et le Danemark en 1990, un drame qui avait fait près de 160 victimes et secoué toute la Scandinavie. De l’argent à flamber est le premier de ces sept ouvrages, les autres étant encore à paraître (ndlr : d’après mes sources, l’écriture du deuxième tome vient de s’achever, j’ai hâte qu’il soit traduit et publié en français !).

Sans être un prétexte, l’histoire du Scandinavian Star ne forme pas le nœud de ce roman. En découpant son récit en plusieurs courtes parties, l’autrice mêle ses propres réflexions et recherches sur ces événements aux souvenirs de Kurt et Maggie, un couple dysfonctionnel dont l’histoire personnelle n’est qu’en partie liée à cet incendie d’origine criminelle. Maggie et Kurt n’y apparaissent d’abord pas sous leur meilleur jour et je les ai jugés peu attachants au début, voire parfaitement méprisable pour Kurt. Rapidement pour Maggie, plus tardivement pour Kurt, ils se révèlent d’une grande vulnérabilité et tout simplement humains. Leur solitude et l’immense tendresse dont ils sont capables m’ont profondément émue, en particulier leur amour pour leur fille Sofie.

De l’argent à flamber m’a « remuée » parce qu’il illustre avec brio les violences à petite et grande échelle, leurs conséquences et leur cycle sans fin, tout en insufflant une saine indignation. Le roman devrait être sombre, et il l’est aussi. Pourtant, je l’ai avant tout trouvé beau et lumineux. Asta Olivia Nordenhof appelle un chat un chat, et son style direct tient le drame à la bonne distance. Dans ce magnifique roman, elle sait capter les petits riens de la vie qui lui donnent sa beauté, et touche au cœur.

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À propos

Pourquoi ce blog

Incurable lectrice, j’ai commencé à flâner sur des blogs littéraires il y a peu (oui, en 2022 seulement, tout vient à point à qui sait attendre !) pour y glaner encore et toujours plus d’idées de romans ou BD à lire (je traversais l’une de ces rares mais pénibles phases de « panne de lecture »). Et c’est tout un monde qui s’est ouvert à moi : des chroniques, des challenges et des débats entre « geeks » bibliophiles, des apartés, bref des échanges et des découvertes grâce à une blogosphère qui a une passion commune et des horizons très différents.

À mon tour, j’ai envie de partager mes coups de cœur pour des livres adulte et jeunesse, mais aussi des films ou des spectacles, de mettre un coup de projecteur (en douceur, hein 😉) sur la littérature européenne en particulier et étrangère en général, de convaincre que la lecture audio c’est top aussi, et bien sûr de parler de tout ça avec d’autres mordu(e)s de lecture et de culture. Ce sera aussi l’occasion de me mettre à la photo, ce qui ne se fera pas en un jour, merci d’avance pour votre indulgence donc ! Promis, j’essaierai de ne pas abuser des parenthèses dans mes chroniques (c’est mal parti !).

À très vite,

Sacha