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Romans Venezuela

Ce que Frida m’a donné – Rosa Maria Unda Souki

Traduit de l’espagnol (Venezuela) par Margot Nguyen Béraud et l’auteure – Éditions Zulma

C’est le Printemps des artistes chez Marie-Anne du blog La bouche à oreilles. L’occasion rêvée de me plonger dans Ce que Frida m’a donné, un livre original, coloré et absolument délicieux ! Rosa Maria Unda Souki est une artiste contemporaine vénézuélienne qui vit à Paris. Dans ce journal de bord, elle nous raconte, humour et dessins à l’appui, sa résidence au Couvent des récollets pendant l’été 2019.

Rosa Maria Unda Souki doit préparer l’accrochage d’une exposition que lui ont inspirée la personnalité et la vie de Frida Kahlo. Il lui faut d’abord s’acclimater au lieu qu’on a mis à sa disposition. Puis ses tableaux, expédiés depuis le Brésil, semblent ne vouloir jamais arriver… Et c’est l’angoisse de la page blanche au moment de rédiger le texte qui accompagnera le catalogue. L’artiste-autrice se disperse et digresse, replongeant dans ses souvenirs d’enfance et dans son travail de création autour de Frida Kahlo et de sa maison, la Casa azul. On découvre donc peu à peu ce qui les a façonnées toutes les deux en tant que femmes et artistes, ce qui les relie aussi.

Par petites touches, on entre dans le processus créatif à l’œuvre chez Rosa Maria Unda Souki. Ses dessins au graphite sont d’une saisissante précision architecturale, mais ils sont toujours émaillés de détails pleins de vie voire d’annotations amusantes. Ses tableaux y apparaissent aussi, et l’autrice amène très judicieusement notre regard sur eux à évoluer, à s’affiner grâce à des retours en arrière sur les éléments qui l’ont guidées : motifs des vêtements, souvenirs et portraits de Frida Kahlo, déconstruits et retissés par l’artiste contemporaine… J’ai trouvé cet hommage à Frida Kahlo passionnant, parfaitement accessible et d’une grande délicatesse.

Ce que Frida m’a donné est un livre léger en apparence, profond en réalité, qui témoigne de l’admiration sans borne de Rosa Maria Unda Souki pour Frida Kahlo. Il nous fait toucher du doigt les affres de la création, la libération et la nécessité vitale (et non « la détente » !) qu’elle représente pour les artistes.

Ce format m’a fait sortir de mes sentiers battus et je suis ravie de cette expérience. C’est aussi, à mon humble avis, une très belle idée cadeau… Vous pouvez en feuilleter un extrait sur le site de la maison d’édition à cette adresse pour vous en convaincre.

D’autres avis, très enthousiastes chez Fanja, Kathel, Maryline, un peu moins chez Anne et pas du tout chez Athalie.

PS : Pour en savoir plus sur Rosa Maria Unda Souki en tant qu’artiste, c’est ici !

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Bosnie-Herzégovine Romans

Dans le fossé – Sladjana Nina Perković

Traduction du serbo-croate (Bosnie-Herzégovine) par Chloé Billon – Éditions Zulma

Dans cette comédie burlesque et un peu désespérée, la narratrice (dont on ignore le nom tout au long du roman) nous relate ses péripéties à partir du moment où elle apprend le décès de sa tante. Sa mère l’oblige en effet à se rendre à l’enterrement de cette sœur avec laquelle elle était en froid. La journée qui suivra sera épique et absurde.


« À dire vrai, je ne comprends pas très bien comment font les jeunes Japonais pour se barricader si facilement. N’ont-ils pas de mères ? La mienne aurait déjà trouvé une manière de s’introduire dans ma chambre, quitte à grimper sur le toit et sauter par la fenêtre, tel un membre d’une unité spéciale antiterroriste. Et elle m’aurait déjà fait sortir au pas de charge en me refilant une mission quelconque, comme par exemple aller à la Sécu lui faire tamponner son carnet de santé. Et pas de « oui, mais » avec elle. J’aurais à peine ouvert la bouche qu’elle se serait déjà pris la tête entre les mains, et se serait mise à crier que j’étais une « sale gosse pourrie gâtée » ou qu’elle aurait « mieux fait d’accoucher d’une pelote de laine », ce genre de choses. Ma mère est capable d’étouffer la moindre forme de révolte en deux minutes chrono. »

L’autrice enchaîne les événements comiques, proches du grotesque, avec des descriptions très visuelles et des apostrophes réussies de la narratrice au lectorat. De nombreux détails finissent par brosser un tableau désabusé de la Bosnie actuelle : infrastructures délabrées et services publics exsangues, police corrompue, chômage, marché noir…

L’apathie de la narratrice, qui rêve de pouvoir rester sous sa couette à regarder des séries policières évoque sans aucun doute une génération désenchantée, sans perspective d’avenir dans son pays et qui ne parvient littéralement pas à se faire entendre. Je n’ai toutefois pas compris le « délire paranoïaque » de la narratrice à la fin du roman et j’ai tendance à le mettre sur le compte de difficultés pour l’autrice à conclure son histoire.


« Et d’ailleurs, qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Une vieille femme dans un trou paumé s’est étouffée avec un morceau de poulet ? Qui ça peut bien intéresser ? Sans parler de tous ces personnages peu crédibles et de cette panique autour de l’enterrement. Rien de bien original. Se jeter sur le cercueil du défunt et donner des coups de pelle sur la fosse fraîchement comblée, n’est-ce pas un lieu commun de la littérature balkanique ? »

En résumé, cette écrivaine me semble prometteuse, mais ce (premier) roman m’a laissée sur ma faim. Je m’attendais à davantage de rythme et j’aurais aimé des portraits plus fouillés des différents membres de la famille. Dans un esprit assez proche, j’ai largement préféré Miracle à la combe aux aspics, loufoque aussi mais plus féroce et dont les personnages sont, eux, inoubliables.

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Allemagne Romans

Marzahn, mon amour – Katja Oskamp

Traduction de l’allemand par Valentin René-Jean – Éditions Zulma

Paru en 2021 en Allemagne, Marzahn, mon amour fait partie de la rentrée littéraire 2023 des éditions Zulma qui tapent une nouvelle fois dans le mille avec ce formidable petit livre.

Katja Oskamp est une autrice née en ex-Allemagne de l’Est. Au milieu de la quarantaine, cette période « où la rive que l’on a quittée n’est plus en vue et où la destination a tendance à se rapprocher bien trop vite » (citation libre car j’ai lu ce livre en VO et n’ai pas consulté sa traduction), elle constate qu’elle ne peut pas vivre de sa plume et décide d’exercer un tout autre métier.

Elle commence donc une formation où elle côtoie d’autres femmes elles aussi autour de la cinquantaine qui rencontrent des difficultés personnelles ou financières et entament une reconversion plus ou moins choisie. Katja Oskamp devient ainsi pédicure et c’est dans un salon de beauté du quartier berlinois de Marzahn qu’elle exerce, aux côtés d’une masseuse et d’une manucure. En plus d’un métier qui l’épanouit, elle trouve là une source d’inspiration pour d’émouvants portraits de gens simples, dignes, courageux ou exaspérants.

Le sous-titre allemand Histoires d’une pédicure, qui a disparu dans la version française, donne d’emblée le ton : Chaque chapitre nous présente un(e) autre client(e) dont Katja Oskamp ausculte et soigne les pieds, écoute les récits de vie, les récriminations, les confessions ou même les propositions indécentes. À Marzahn, les client(e)s du salon sont pour la plupart des personnages âgées qui vivent chichement dans les gigantesques immeubles en cages à lapin érigés dans les années 1980 par la RDA pour donner une image de modernité. On est loin du Berlin des clubs branchés qui attire la jeunesse.

Katja Oskamp lance ici un cri d’amour à ce quartier mal-aimé et à ses habitant(e)s. Elle nous livre un récit plein d’humanité et de tendresse. Difficile de rester insensible aux portraits du touchant M. Paulke, de Mme Noll (dont on aimerait pouvoir faire taire la fille une fois pour toutes !), de la fougueuse Mme Blumeier ou de Mme Bronkat, elle qui fut une « réfugiée de l’intérieur ». J’ai été très touchée par ces destins (pas si) banals qui nous font découvrir la vie au quotidien en ex-RDA et dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Et j’ai beaucoup souri aussi car Katja Oskamp a un indéniable sens de l’humour qu’elle sait parfaitement doser pour ne pas verser dans la sensiblerie. Autrement dit, c’est une lecture que je vous recommande chaudement !

PS : Le hasard a voulu que je chronique deux romans allemands en ce début septembre. Pas d’inquiétude : Je garde en réserve une ribambelle de titres pour le rendez-vous des Feuilles allemandes chez Eva & Patrice en novembre 😀

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Porto Rico Romans

La maîtresse de Carlos Gardel – Maya Santos-Febres

Traduction de l’espagnol (Porto Rico) par François-Michel Durazzo – Éditions Zulma

Une première lecture d’Amérique latine pour mon blog ! Je vous invite aujourd’hui à découvrir un roman foisonnant, sensuel et dépaysant autour de la rencontre (a priori imaginaire) entre le mythique Carlos Gardel et une jeune Portoricaine tiraillée entre son héritage de guérisseuse et son ambition scientifique.

Mon nom est Michaela Thorné et je suis une femme qui se souvient. Avant cela, j’ai été bien des choses : une jeune élève infirmière, la petite-fille d’une vieille guérisseuse, la protégée du docteur Martha Roberts de Romeu. J’ai aussi été la maîtresse de Gardel.

C’est sur ces trois phrases que s’ouvre ce roman passionnant et passionné. Il y sera question du racisme subi par la population noire de Porto Rico, et d’Amérique latine en général, de la connaissance subtile des plantes médicinales qu’avaient les natifs de ce continent, du pillage des ressources par les Occidentaux, du rôle de cobayes joué par les Portoricains et les Portoricaines pour les laboratoires et médecins américains. Bien sûr, il y sera également question de tango, de chanson, mais aussi de Toulouse (car Carlos Gardel serait né sous le nom de Charles Gardes dans la Ville rose), de Buenos Aires évidemment, de Paris ou encore de New York et de son Spanish Harlem.

Mayra Santos-Febres a une écriture vibrante, exubérante et précise à la fois. Elle parvient à entrecroiser le parcours d’une jeune femme qui se cherche et se construit avec celui d’un Carlos Gardel toujours tombeur, mais en bout de course. On ressent la chaleur des corps, la touffeur de l’air et la luxuriance de la nature, tout comme le dilemme de celles et ceux qui veulent échapper à leur destin de misère.

Une très belle découverte, à la fois d’un pays à l’histoire coloniale lourde et victime d’innombrables fléaux, d’un personnage de légende (qui se résumait pour moi surtout à un nom et à un costume de faux gaucho à paillettes), et enfin d’une formidable écrivaine.

PS : Le blog se met en pause estivale. Retour le 21 août ici et dans vos messageries ! Bel été et à bientôt !

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Espagne Romans

Du givre sur les épaules – Lorenzo Mediano

Traduction de l’espagnol par Hélène Michoux – Éditions Zulma poche

Il y a du Roméo et Juliette là-dedans, mais aussi une atmosphère de Far West : une histoire d’amour empêchée, un héros mi-Zorro, mi-Spartacus, une nature hostile qui peut aussi être un refuge, des propriétaires terriens cupides et défendant farouchement leur pouvoir… Du givre sur les épaules se dévore comme un récit d’aventures et résonne comme un conte universel.

Dans une bourgade perdue des Pyrénées espagnoles où l’on vit – péniblement – de l’élevage de moutons et de l’agriculture, le jeune Ramón et la gracile Alba tombent amoureux. Sous la plume de Lorenzo Mediano, ce récit ancestral a des airs de western spaghetti. Le surnom donné à Ramón (Desperado), l’atmosphère du roman et de nombreuses scènes évoquent en effet immanquablement les films de Sergio Leone, humour compris.

« D’un geste presque imperceptible, Ramón fit s’arrêter ceux qui le suivaient et avança avec sa mule vers Don Mariano qui serrait convulsivement son fusil anglais. Ils se retrouvèrent face à face, leurs yeux se fixant dans une colère glaciale. Ramón saisit alors sa houlette de berger, qui pendait du bât de la mule, la rompit d’un coup sec sur sa jambe et la jeta par terre. Il s’écria : « Je ne suis plus berger ! » Avec cela, il voulait dire bien des choses. »

L’auteur confie la narration à l’instituteur du village, l’un de seuls lettrés des lieux, exilé pour des raisons politiques (l’histoire se déroule quelques années avant la guerre civile espagnole). À la manière d’un conteur, celui-ci multiplie les digressions pour retarder le moment du dénouement. Grâce à des retours en arrière, des épisodes comiques et des apartés sur les différents personnages, le suspense est adroitement entretenu et tient le lecteur en haleine.

Qu’il s’agisse de décrire les réalités les plus crues, de faire rire avec des personnages hauts en couleur ou de créer un climat de tension, Lorenzo Mediano est parfaitement à son affaire. Ce court roman est un petit bijou !

Si vous hésitez encore, lisez l’extrait (presque 20 pages) que l’éditeur met librement à disposition ici : https://www.zulma.fr/wp-content/uploads/givre-epaules-Extrait.pdf Et n’oubliez pas de me dire ce que vous en aurez pensé !

Cette petite chronique est ma contribution au Mois espagnol et sud-américain organisé par Sharon. Pendant tout le mois de mai, des lecteurs et lectrices averti(e)s partageront leurs impressions sur une foule de romans en espagnol et en portugais. Buen viaje/boa viagem à toutes et tous !