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Allemagne Romans

La diplomate – Lucy Fricke

Traduction de l’allemand par Isabelle Liber – Éditions Le Quartanier

Fred Andermann fait partie du corps diplomatique allemand depuis une vingtaine d’années. Entre expatriations à répétition, vie de fonctionnaire (« de luxe » car elle occupe des postes élevés) et imbroglios politiques, la vie de diplomate n’est pas toujours une sinécure. Deux affectations successives vont ainsi bouleverser Fred, nous entraînant au passage dans un thriller politique et un portrait psychologique passionnants.

Dans la première partie du roman, Fred est ambassadrice à Montevideo, l’une des destinations les plus tranquilles que l’on puisse imaginer dans son métier. Fred se sent simple VRP de son pays et s’interroge vaguement sur son utilité jusqu’à un événement qui va profondément l’ébranler.

Dans la deuxième partie, on la retrouve consule à Istanbul où la situation est beaucoup plus tendue qu’en Uruguay : la police politique est omniprésente, les arrestations et assignations à résidence de ressortissants allemands et germano-turcs sont monnaie courante et les diplomates ne disposent que d’une très faible marge de manœuvre pour tenter d’obtenir leur libération. Et Fred semble sur le point de craquer …

Une participation aux lectures sur le monde du travail chez Ingannmic

Comment concilier l’art feutré de la conversation diplomatique pleine de sous-entendus ? À quoi sert cette vie passée le plus souvent loin de son pays pour le représenter ? Que devient un ambassadeur ou une ambassadrice à la retraite qui perd subitement tous ses avantages (résidence de rêve, chauffeur personnel, cuisinier et autre personnel de maison payés par l’État) ? Lucy Fricke parle très bien des nombreux aspects de la vie des diplomates (ou plutôt des chef(fe)s de missions diplomatiques). On sent qu’elle en a interrogés un certain nombre et ses personnages sont parfaitement crédibles.

Son roman souligne aussi (surtout) les relations ambiguës de nos États européens avec un régime autocratique que l’on ne peut pas se mettre à dos, en particulier parce qu’il endigue la majorité des flux de migrants à destination de l’Europe. Elle brosse un portrait sans concession de la Turquie d’aujourd’hui et rend hommage au travail souvent ingrat mené dans l’ombre par des hommes et de plus en plus de femmes pour tenter de préserver la paix, parfois (souvent) au prix de leurs convictions personnelles.

J’ai lu ce roman comme on regarde ces excellents films que sont Les trois jours du condor ou Serpico. Ici, pas de flics ni de journalistes, mais ça fonctionne tout aussi bien avec des diplomates. En bref, je l’ai dévoré et me suis régalée de sa tension constante comme de l’humour à froid de l’autrice. C’est intelligent, divertissant et bouleversant, jusqu’aux toutes dernières pages.

Eva l’a lu également, ainsi qu’Alex (mais la page correspondante semble avoir disparu de son blog…)

PS : Une interview croisée de Lucy Fricke et de son personnage (de fiction) Fred Andermann est à lire ici. Et vous pouvez lire les premières pages du roman .

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Biélorussie Romans

Un fils perdu – Sacha Filipenko

Traduction du russe par Philie Arnoux et Paul Lequesne – Éditions Noir sur Blanc

Sacha Filipenko est un jeune auteur biélorusse (ou belarusse) d’expression russe qui vit aujourd’hui en exil, contraint de déménager sans cesse pour échapper aux foudres du pouvoir de son pays. Rien d’étonnant à cela : Un fils perdu est une satire politique qui dénonce avec férocité la léthargie dans laquelle est plongée la Biélorussie (qu’il ne nomme jamais) depuis l’arrivée au pouvoir de son président en 1994, c’est-à-dire depuis bientôt 30 ans (!).

Tout commence de manière pourtant assez potache : Francysk, 16 ans, néglige ses études de violoncelle et ne pense qu’à jouer au foot dans la cour ou à retrouver sa bande de copains. Sacha Filipenko s’inspire ensuite d’une tragédie bien réelle, un mouvement de foule dans un souterrain de métro à Minsk qui a fait 54 morts et 300 blessés environ en 1999. Victime de cette abominable bousculade, Francysk tombe dans un coma qui durera 10 ans.

Cette première partie du roman est en réalité la plus longue, contrairement à ce que laisse penser le résumé de la maison d’édition. Elle est portée par l’incroyable Elvira Alexandrovna, véritable grand-mère courage qui ne perdra jamais l’espoir que Francysk se réveille. Tout le temps de son inconscience, elle parle à son petit-fils de son quotidien, de ce qui se passe dans le pays, déambule avec lui dans leur ville par la seule force de l’imagination. Et c’est ainsi que nous voyons la vie en Biélorussie à travers son regard acéré et plein d’ironie. C’est passionnant, émouvant et désespérant à la fois.

La plume de Sacha Filipenko est mordante et assez addictive. Mais il y a aussi quelques longueurs dans son récit et des références qui m’ont un peu échappé au début. Je n’ai vu que tardivement les notes de la traductrice de l’édition allemande ajoutées à la fin du roman. Celles-ci donnent d’utiles renseignements qui facilitent la compréhension et même si j’aurais apprécié de les lire plus tôt, elles étaient toujours bienvenues à la fin du roman. Mon conseil : N’hésitez pas à vous y référer en cours de lecture.

La deuxième partie d’Un fils perdu est, comme le laisse présager le titre, très désabusée. Car quand Francysk se réveille au bout d’une décennie, il doit bien constater que les rares choses qui ont changé sont loin d’être des améliorations. Va-t-il réussir à s’adapter ? L’amour sera-t-il une échappatoire ? Pour le savoir, rendez-vous dans une librairie ou une bibliothèque bien achalandée !

Image par Juuud28 de Pixabay

Dans ce roman, achevé d’écrire en 2012 et traduit en français en 2022, Sacha Filipenko rêvait de protestations massives du peuple contre le régime en place, un soulèvement qu’il imaginait être aussitôt durement réprimé. L’Histoire lui a donné raison puisqu’en 2020 et 2021, les Biélorusses ont manifesté en nombre et fait grève lors de ce qu’on a appelé « la révolution des pantoufles » ou « la révolution anti-cafard ». En vain à ce jour. La principale opposante au régime, Svetlana Tikhanovskaïa, vit d’ailleurs elle aussi toujours en exil.

PS : Un autre avis enthousiaste est à lire ici : https://jelisjeblogue.blogspot.com/2022/06/un-fils-perdu-sacha-filipenko.html?m=1