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Pologne Romans

Les cœurs endurcis – Martyna Bunda

Traduction du polonais par Caroline Raszka-Dewez – Éditions Noir sur blanc

Rozela, Gerta, Truda, Ilda sont les héroïnes de Cœurs endurcis. Un titre trompeur : Elles ont toutes le cœur tendre, et le garderont envers et contre tout, même si elles affronteront plus que leur lot de problèmes et de malheurs. Impossible de ne pas s’attacher à cette petite famille clairement dominée par les femmes.

Dans l’entre-deux-guerres, Rozela perd son mari et élève seule ses filles dans sa maison de la Colline-aux-vierges. Pendant la guerre, elle abrite une famille juive puis des évadés français dans sa cave, travaille dur pour nourrir ses filles. Elle gardera une haine farouche des Allemands et une terreur absolue des Russes. Le temps passe, les filles grandissent, Gerta et Truda se marient, Ilda rencontre un artiste aussi fascinant que manipulateur, des enfants naissent – ou pas -, et l’Histoire de la Pologne se dessine en toile de fond : surveillance par la milice, arrestations et détentions « épuratives », pénurie de logements, système D, émeutes, passage à l’Ouest…

Encore une saga familiale sur fond historique, me direz-vous. Certes, mais ce serait oublier la plume virevoltante et pleine d’humour de l’autrice (l’anecdote des cochons à frange noire est formidable), ce qui n’empêche pas l’émotion d’être au rendez-vous. En nous racontant cette belle histoire de sororité et d’amour filial, Martyna Bunda rend un hommage appuyé à toutes les femmes qui luttent chaque jour contre l’adversité, les injonctions sociales, leurs propres démons et contre la bêtise et la cruauté de certains hommes.

Ève-Yeshé et La barmaid aux lettres ont aimé elles aussi.

PS : Vous pouvez découvrir un extrait de ce roman sur le site de la maison d’édition.

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Lectures audio

Filles de l’Est, femmes à l’Ouest

Podcast France culture

Elles sont écrivaines, vivent en France ou en Belgique, et ont aussi en commun d’être nées de l’autre côté du Rideau de fer dans les années 1970 et 1980. À force d’entendre les mêmes questions de la part du public « occidental » qu’elles rencontrent lors de lectures et débats, elles ont voulu donner à entendre leur vision de ce qu’était la vie, en particulier la vie des femmes, dans les ex-pays de l’Est.


Albena Dimitrova, née en Bulgarie, Lenka Horňáková-Civade, née en Tchécoslovaquie (Tchéquie), Katrina Kalda, née en Estonie, Grażyna Plebanek, née en Pologne, Sonia Ristić, née en ex-Yougoslavie (Serbie), Andrea Salajova, née en Tchécoslovaquie (Slovaquie), Marina Skalova, née en Russie, et Irina Teodorescu, née en Roumanie, ont donc chacune écrit (en français, à l’exception de Grażyna Plebanek) une des nouvelles qui composent le recueil Filles de l’Est, femmes à l’Ouest paru aux éditions Intervalles et adapté par France culture en une série de 10 podcasts passionnants.

« Ce nouveau monde de filles fortes, qui paraissaient si sûres d’elles et si insouciantes, elle n’en connaissait que trop le revers. Elle repensait souvent, seule sur le canapé de la petite cuisine d’été, aux années de sa jeunesse. Elle avait suivi la route toute tracée de ses aînées : un peu d’études, puis mari, foyer, enfants. Fidélité, obéissance, patience. Mais surtout, il y avait l’État socialiste, la construction d’un monde meilleur, cette pensée tout simple : le même bonheur pour tout le monde.
Depuis que personne ne montrait plus de direction dans cette société démocratique, les gens faisaient n’importe quoi. Elle n’en parlait jamais avec ses filles. Elles ne pouvaient pas comprendre. »
(Andrea Salajova, épisode 3)

Elles racontent leur enfance, leur jeunesse, leur pays avant et après la chute des régimes socialistes et communistes, avec du positif et du négatif, et battent ainsi en brèche autant les images caricaturales de l’Est que celles de la « vie de rêve » qu’a voulu vendre l’Occident. C’est instructif, émouvant, drôle, en un mot vivifiant ! Et comme toujours, ai-je envie de dire, c’est formidablement adapté (mention spéciale à la chanson utilisée en guise de générique et qui a toujours le don de me mettre la larme à l’œil quand je pense au tournant de 1989).


C’est à écouter ou à lire, comme vous préférez !


PS : Le podcast est réalisé par Volodia Serre, avec Emmanuelle Chevrière comme conseillère littéraire, Sophie Bissantz au bruitage, et les voix de Miglen Mirtchev, Tereza Kelka, Maria Zachenska, Maya Sarac, Aleksandra Yermak, Radoslav Majerik, Matej Hofmann, Natalia Pujszo, Grégory Kristoforoff, Anton Yakovlev, Galina Vincenot, Liza Paturel, Malgorzata Virgili Karcz, Emma Ciazynski, Robert Sahin, Roustem Khaibrakhmanov et Jacqueline Pierre.

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Allemagne Pologne Romans

188 mètres sous Berlin – Magdalena Parys

Traduction du polonais par Margot Carlier et Caroline Raszka – Agullo Éditions

J’avais des attentes vis-à-vis de ce roman et tout a plutôt bien commencé (si j’ose dire) avec un meurtre commis en 2000 mais lié à des événements survenus en 1980, soit près d’une décennie avant la chute du Mur de Berlin. Dix ans après le crime, Peter, ancien fonctionnaire en retraite anticipée, cherche à en savoir plus. Il s’entretient alors avec celles et ceux qui avaient participé – avec lui ainsi que la victime – à la construction d’un tunnel censé permettre des évasions de Berlin-Est vers Berlin-Ouest. Ce sont leurs témoignages respectifs que nous livre Magdalena Parys, des récits fictifs que l’on sent néanmoins nourris par des expériences très documentées.

La construction chorale qui distille les informations au compte-goutte est faite pour nous faire tourner les pages avec avidité et cela fonctionne. J’ai lu ce roman très vite, voulant avoir le fin mot de l’histoire et appréciant d’apprendre de nombreux détails historiques. L’autrice a visiblement beaucoup de choses à dire sur la Pologne derrière le rideau de fer, la Stasi et la RDA, les magouilles des uns et des autres à l’Ouest comme à l’Est pendant la Guerre froide et après. Le propos est donc intéressant. Pourtant, j’ai été déçue.

Les personnages sont nombreux, et plusieurs d’entre eux sont trop survolés pour que leur présence soit utile. Les fils de l’intrigue, multiples et intéressants en eux-mêmes s’entrecroisent par ailleurs d’une manière trop alambiquée à mon goût. C’est surtout le cas dans la dernière partie du roman, comme si Magdalena Parys avait voulu accélérer le rythme, au risque d’en faire trop.

D’autres éléments ont gâché mon plaisir : Tout d’abord quelques choix hasardeux et/ou erreurs de traduction/d’édition tels que « elle avait des visières sur les yeux » (vu le contexte, il s’agissait clairement d’œillères), des noms intervertis ou encore le fait de laisser le terme Hakenkreuz en allemand au lieu de le traduire. « Croix gammée » est quand même plus parlant pour un lectorat francophone, me semble-t-il. Plus embêtant, l’intrigue contient quelques grosses ficelles et incohérences qui m’ont gênée.

Bref, des maladresses, des lourdeurs et des complications scénaristiques superflues m’ont par moments égarée ou fait tiquer. Le but était sans aucun doute de maintenir la tension jusqu’à la révélation finale censée nous laisser bouche bée. Pour ma part, j’ai plutôt eu un sentiment de « tout ça pour ça », l’enjeu de toute cette histoire m’ayant en effet paru moyennement palpitant, même s’il est crédible et indubitablement criminel.

La couverture polonaise du roman

Cette lecture commune avec Patrice (du blog Et si on bouquinait un peu ?) débouche donc sur une déception, peut-être due avant tout à mes attentes initiales. Pour vous faire une idée plus complète à défaut d’être objective, je vous recommande donc de lire l’avis de Patrice ici. Celui-ci avait d’ailleurs déjà chroniqué Le Prince, autre roman de Magdalena Parys.