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L’amour par temps de crise – Daniela Krien

Traduction de l’allemand par Dominique Autrand – Éditions Points

Enfin novembre ! Contrairement à beaucoup, j’aime ce mois de l’année avec ses odeurs de sous-bois humide, ses longues soirées qui promettent de belles séances de lectures, ses après-midi chocolat chaud à gogo, et cerise sur le gâteau : c’est aussi le rendez-vous des Feuilles allemandes ! Merci à Et si on bouquinait et à Livr’escapades de nous inviter à explorer la littérature germanophone, qu’elle vienne d’Allemagne, d’Autriche, de Suisse ou d’ailleurs. Je sens que je vais me régaler !

Pour ouvrir ce mois germanophile, j’ai lu L’amour en temps de crise, attirée que j’étais par ce beau titre et le joli succès que s’est taillé ce roman allemand à sa sortie en 2019. Daniela Krien nous plonge dans quelques années de la vie de 5 femmes âgées d’une trentaine à une quarantaine d’années. Certaines ont des enfants, d’autres non. Certaines ont un amant, d’autres plusieurs, d’autres pas. Ce qui les relie ? Elles vivent toutes à Leipzig, en ex-RDA, et se connaissent directement ou par personne interposée, parfois juste de vue. En femmes de leur temps, Paula, Judith, Brida, Malika et Jorinde essaient de tenir debout face aux multiples injonctions bien lourdes à porter qu’elles subissent.

L’autrice décrit avec précision et justesse les premiers temps de la passion amoureuse, le bouleversement que représente la maternité, le choix ou la souffrance de ne pas avoir d’enfant, les relations d’emprise qui peuvent se tisser au sein du couple ou au détour d’une amitié, les séquelles laissées par un modèle parental ou éducatif bancal, le déchirement d’une rupture… Les souvenirs d’une enfance au temps de la RDA ainsi que les préjugés et incompréhensions qui persistent entre Allemand(e)s de l’Est et l’Ouest transparaissent également dans ces portraits sans fard de femmes contemporaines.

L’œuvre de Johann Sebastian Bach, indissociable de Leipzig, traverse ce roman. Image par scholacantorum de Pixabay

On s’identifie facilement à certaines facettes de ces 5 femmes. Tout chez elles n’est pas d’ailleurs pas sympathique, ce que j’ai apprécié car elles nous apparaissent ainsi sous un jour nuancé, réaliste et d’autant plus humain. Elles savent aussi réinventer les modèles de vie qu’on cherche à leur imposer. Les hommes sont en revanche présentés soit comme faibles, égoïstes, donneurs de leçons voire destructeurs, soit parfaitement à l’écoute, sensibles et attentionnés. J’aurais aimé un peu plus d’objectivité et de finesse sur cet aspect. Ce sera ma seule réserve pour ce roman qui saisit très bien l’air du temps et la psyché féminine.

PS : De Daniela Krien, Eva a également lu Un jour nous nous raconterons tout et L’incendie. Ils rejoindront sûrement ma PAL très bientôt.

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Marzahn, mon amour – Katja Oskamp

Traduction de l’allemand par Valentin René-Jean – Éditions Zulma

Paru en 2021 en Allemagne, Marzahn, mon amour fait partie de la rentrée littéraire 2023 des éditions Zulma qui tapent une nouvelle fois dans le mille avec ce formidable petit livre.

Katja Oskamp est une autrice née en ex-Allemagne de l’Est. Au milieu de la quarantaine, cette période « où la rive que l’on a quittée n’est plus en vue et où la destination a tendance à se rapprocher bien trop vite » (citation libre car j’ai lu ce livre en VO et n’ai pas consulté sa traduction), elle constate qu’elle ne peut pas vivre de sa plume et décide d’exercer un tout autre métier.

Elle commence donc une formation où elle côtoie d’autres femmes elles aussi autour de la cinquantaine qui rencontrent des difficultés personnelles ou financières et entament une reconversion plus ou moins choisie. Katja Oskamp devient ainsi pédicure et c’est dans un salon de beauté du quartier berlinois de Marzahn qu’elle exerce, aux côtés d’une masseuse et d’une manucure. En plus d’un métier qui l’épanouit, elle trouve là une source d’inspiration pour d’émouvants portraits de gens simples, dignes, courageux ou exaspérants.

Le sous-titre allemand Histoires d’une pédicure, qui a disparu dans la version française, donne d’emblée le ton : Chaque chapitre nous présente un(e) autre client(e) dont Katja Oskamp ausculte et soigne les pieds, écoute les récits de vie, les récriminations, les confessions ou même les propositions indécentes. À Marzahn, les client(e)s du salon sont pour la plupart des personnages âgées qui vivent chichement dans les gigantesques immeubles en cages à lapin érigés dans les années 1980 par la RDA pour donner une image de modernité. On est loin du Berlin des clubs branchés qui attire la jeunesse.

Katja Oskamp lance ici un cri d’amour à ce quartier mal-aimé et à ses habitant(e)s. Elle nous livre un récit plein d’humanité et de tendresse. Difficile de rester insensible aux portraits du touchant M. Paulke, de Mme Noll (dont on aimerait pouvoir faire taire la fille une fois pour toutes !), de la fougueuse Mme Blumeier ou de Mme Bronkat, elle qui fut une « réfugiée de l’intérieur ». J’ai été très touchée par ces destins (pas si) banals qui nous font découvrir la vie au quotidien en ex-RDA et dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Et j’ai beaucoup souri aussi car Katja Oskamp a un indéniable sens de l’humour qu’elle sait parfaitement doser pour ne pas verser dans la sensiblerie. Autrement dit, c’est une lecture que je vous recommande chaudement !

PS : Le hasard a voulu que je chronique deux romans allemands en ce début septembre. Pas d’inquiétude : Je garde en réserve une ribambelle de titres pour le rendez-vous des Feuilles allemandes chez Eva & Patrice en novembre 😀