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Romans Zimbabwe

Le meilleur coiffeur de Harare – Tendai Huchu

Traduction de l’anglais par Odile Ferrard- ZOE Éditions

Répéré chez Ingannmic et Fanja, Le meilleur coiffeur de Harare est à nouveau une belle trouvaille chez ZOE Éditions. Ce roman est dépaysant à souhait et, sous une apparence légère, fait découvrir la réalité sociale – loin d’être rose – du Zimbabwe.

Vimbai est une coiffeuse au caractère bien trempé qui règne sur le salon de coiffure de Mme Khumalo. Mais derrière une apparence de femme forte se cachent bien des fragilités. Elle mène une vie très solitaire, est confrontée au quotidien aux violences sexistes et aux pénuries alimentaires, élève seule sa fille et se ronge les sangs pour leur avenir dans un pays où la situation économique est absolument catastrophique, et le mot est faible.

« Les pilleurs de tombes ne chômaient pas, si bien que les obsèques étaient devenues un véritable exercice de prévention des vols. Le jour où nous avions enterré Robert, les fossoyeurs avaient griffé le cercueil avant de l’abaisser en terre, de manière à ce qu’il ne présente aucune valeur aux yeux de qui aurait eu l’intention de le déterrer et de le revendre. »

Et voilà que déboule dans la vie de Vimbai le pétillant Dumi, une vraie boule de charme et d’énergie qui va la détrôner dans le monde de la coiffure. Incapable de lui résister malgré ce coup dur pour son ego, la jeune femme s’attache de plus en plus à ce représentant d’une classe sociale très éloignée de la sienne.

Vimbai n’est pas particulièrement sympathique au premier abord. Au fur et à mesure, on comprend mieux pourquoi elle peut paraître si dure et j’ai été ravie qu’elle retrouve de la joie de vivre et prenne confiance en elle. Il y a de ce point de vue-là un petit côté « conte de fées » plutôt bien assumé et, surtout, largement contrebalancé par des observations sociales révoltantes. Mon sang n’a fait qu’un tour à de nombreuses reprises ! Pauvreté, corruption, violences politiques, racisme …, l’auteur aborde tous les sujets sans tabou et les intègre sans lourdeur à son récit.

C’est un roman qui se lit tout seul, avec des situations amusantes et d’autres graves, un peu de suspense et des retournements de situation qui rythment agréablement la lecture. Et on apprend beaucoup au passage, y compris sur la ville de Harare. Cela me permet d’ailleurs d’inscrire Le meilleur coiffeur de Harare à la fois au rendez-vous du Mois africain chez Jostein et aux lectures urbaines Sous les pavés, les pages chez Ingannmic et Athalie.

Vous vous demandez si ce roman peut vous plaire ? Alors, je vous conseille d’aller en lire les premières pages sur le site de la maison d’édition, à cette adresse : https://editionszoe.ch/livre/le-meilleur-coiffeur-de-harare-poche/#favorites

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Bulgarie Romans

Rhapsodie balkanique – Maria Kassimova-Moisset

Traduction du bulgare par Marie Vrinat – Éditions des Syrtes

En musique classique, une rhapsodie ou rapsodie (du grec ancien ῥάπτω / rháptō, « coudre », et ᾠδή / ōidḗ, « chant », littéralement couture de chants) est une composition pour un soliste, un ensemble de musique de chambre ou un orchestre. De style et de forme très libres, souvent en un seul mouvement et assez proche de la fantaisie, la rhapsodie repose presque toujours sur des thèmes et des rythmes régionaux, folkloriques ou traditionnels. (source : Wikipedia).

Une couture d’histoires marquées par des superstitions et des croyances religieuses poussant à l’intolérance, par la pauvreté mais aussi par la fantaisie, la joie de vivre, l’amour : Rhapsodie balkanique est un titre parfait pour ce très beau roman aux accents turcs, grecs et bulgares :


« Contrairement à son frère, Haalim comprenait bien cette langue. Il aimait sa sonorité ferme, parfois aiguë, ses mots anguleux s’accrochant lourdement les uns aux autres, comme quelqu’un qui essaie d’atteler des chevaux fougueux. « Mon petit garçon », lui disait sa mère, et ce m avec ce p, ensuite ce r avec le ç roulaient comme ces billes en verre bigarrées un peu bosselées et s’ordonnaient joliment malgré leur vilaine apparence. »

Cette rhapsodie, c’est l’histoire de la famille de Maria Kassimova-Moisset, et plus particulièrement celle de sa grand-mère paternelle Miriam. Miriam qui – par amour pour Ahmed – n’a pas cédé d’un pouce face aux conventions et aux malédictions, qui a quitté sa chère Bulgarie pour la Turquie, qui a trimé pour élever ses enfants et qui a dû prendre un jour une décision terrible que sa petite-fille cherche encore à comprendre.

« Elle n’était pas comme les autres, cette enfant, ça non. Elle la regardait droit dans les yeux et ne cillait pas. Elle pleurait rarement – depuis ce premier vagissement, lorsque pour la première fois elle avait entendu son prénom, ses pleurs choisissaient eux-mêmes pourquoi ils devaient être versés. Elle se comportait comme si tout lui était familier. Elle n’avait peur de rien ni de personne. »

Avec une très belle langue, servie par une remarquable traduction, Maria Kassimova-Moisset parvient à faire de petits gestes, d’infimes détails un récit palpitant qui nous transporte dans les Balkans du début du 20e siècle. Fluide, délicate et imagée, son écriture m’a envoûtée. J’ai adoré Miriam, Ahmed et Haalim, et même Theotitsa, véritable personnage de tragédie grecque. Je ne suis pas prête de les oublier !

Si je ne vous ai pas convaincu(e)s, lisez les avis de Doudoumatous, Luocine, Patrice et Ally 😉.

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Chine Romans

Le maître a de plus en plus d’humour – Mo Yan

Connaissez-vous Mo Yan, lauréat du Prix Nobel de littérature 2012 ? C’est Doudoumatous qui m’a rendue curieuse de découvrir cet auteur extrêmement prolifique (il a quelque 80 essais, nouvelles et romans à son actif). J’avoue que l’idée de pouvoir ajouter la Chine l’an prochain à la carte des pays visités avec ce blog a pu jouer (vu la surface occupée par son territoire, ce sera visuellement très satisfaisant !).

Autant par hasard (trouvaille en bouquinerie) que par sécurité (je suis très novice en littérature chinoise), j’ai opté pour Le maître a de plus en plus d’humour (moins de 100 pages). Doudoumatous ayant envie d’explorer plus avant la bibliographie de Mo Yan, elle s’est jointe à moi pour cette lecture et vous pourrez donc trouver son avis sur son blog aujourd’hui.

Pour ma part, je ne m’attendais pas à une critique aussi franche de la Chine moderne et c’était très réjouissant ! Dans Le maître a de plus en plus d’humour, les entreprises ont subi rachat sur rachat, les directeurs s’en mettent de toute évidence plein les poches tandis que même les ouvriers modèles se retrouvent à la porte du jour au lendemain. Les chômeurs sont livrés à eux-mêmes et la police est corrompue, bref ce n’est pas la joie dans la République populaire.

« Le maire adjoint s’en alla au volant de son Audi, suivi du directeur de l’usine dans sa Santana rouge, et même le directeur adjoint partit, tout débraillé, au volant de sa Cherokee blanche. Après tout ce tapage, chaque ouvrier se dirigea vers son destin. Lü Xiaohu pissa un grand coup contre le panneau d’affichage, puis il déclara à Lao Ding qui se tenait appuyé contre un arbre : « Maître, allons-y, ce n’est pas en restant ici qu’on trouvera de quoi manger, quand le père est mort et que la mère est remariée, c’est chacun pour soi ! » »

Seule une initiative audacieuse digne d’un start-uper (qui sait saisir l’air du temps et optimiser une solution jusqu’alors gratuite) permettra à Maître Ding de subsister et même de connaître une aisance inédite pour lui. Mais en bon élève du maoïsme, il est taraudé par la culpabilité face au succès de son business plan

Ce court roman a des airs de conte : il est émaillé de proverbes, son héros est un vieil homme naïf doté d’un apprenti bien plus dégourdi qui lui enseigne le b.a.-ba du commerce, et surtout c’est l’histoire d’un homme intègre et pauvre qui doit sa survie à l’abandon de ses valeurs (voilà pour la morale). Moi qui aime beaucoup les contes, je l’ai donc lu avec plaisir. Je vous le recommande pour une initiation en douceur à la littérature chinoise !