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Nouvelle-Zélande Romans

Le patriarche – Witi Ihimaera

Traduction du néo-zélandais par Mireille Vignol – Au vent des îles

Parfois, le hasard fait vraiment bien les choses. À peine avais-je fini de lire La baleine tatouée que je découvrais un autre roman de son auteur, Witi Ihimaera, dans une boîte à livres ! Je l’ai (bien sûr) rapporté chez moi, mais laissé de côté pendant plusieurs mois car d’autres romans attendaient depuis longtemps dans ma PAL. Le rendez-vous des Pavés de l’été étant arrivé, c’est le moment de vous en parler.

Bon à savoir : ce roman a d’abord (en 2008) paru sous le titre Bulibasha, roi des gitans (c’est l’édition que j’ai lue). Pourquoi des gitans alors que nous sommes chez des Maoris de Nouvelle-Zélande ? Le prologue vous dira tout à ce sujet. Toujours est-il qu’un film en a été tiré sous le titre Mahana en 2016 et, dans la foulée, le roman a été réédité sous son nouveau titre : Le patriarche.

J’ai retrouvé la verve de Witi Ihimaera, son humour et son talent pour raconter des histoires jalonnées d’épisodes burlesques ou très émouvants. Cette fois-ci, nous sommes loin de la mer, dans une campagne sèche où règnent les moutons, mais aussi deux familles qui se détestent cordialement : les Mahana et les Poata. Tous les terrains se prêtent à leurs affrontements : le pont à sens unique qui conduit à la ville, les matches de rugby et de hockey (sur gazon, point de glace dans ces contrées), les spectacles traditionnels, les contrats et compétitions de tonte de laine …

Un hangar à tonte – Photo de Keith Clarkson via Pixabay

L’histoire nous est racontée par Simeon Mahana, l’un des petits-fils du patriarche, tiraillé entre son amour pour sa famille et la rébellion qui le fait bouillonner devant nombre d’obligations imposées par son grand-père tout-puissant (et mormon). Car Tamihana Mahana décide de tout : qui a le droit de se marier (et avec qui), qui peut recevoir des terres, qui travaille avec qui et comment… La solidarité de la famille est vitale dans cette région hostile, a fortiori dans un pays et à une époque où les Maoris sont traités et perçus comme des citoyens de seconde zone. Mais ce grand-père est véritablement tyrannique et rejette toute forme de changement (même capillaire).

Les Pavés de l’été, c’est chez Sibylline du 21 juin au 22 septembre.

On sent la nostalgie d’une époque où les liens communautaires et familiaux étaient très forts, où un quotidien rude était égayé par des personnalités hautes en couleur (les tantes de Simeon sont assez phénoménales) et rythmée par des fêtes plus ou moins traditionnelles. À travers les yeux de Simeon, on vit un temps révolu avec ce qu’il avait de bon, mais aussi de mauvais. D’ailleurs, la révélation finale m’a estomaquée 😱 et la famille Mahana, passé un moment de choc, m’a semblé s’en accommoder un peu vite, alors que j’en suis encore révoltée plusieurs semaines après 😡.
Malgré quelques pages en trop (sur les compétitions sportives 🏑), cette saga familiale offre une belle découverte, dépaysante, tendre et cruelle d’une vie maorie dans les années 1950.

PS : Sur son site, la maison d’édition Au vent des îles vous propose de déguster « un bonbon littéraire » tiré de ce roman pour vous ouvrir l’appétit.

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États-unis Romans

39 bonnes raisons de transformer des obsèques hawaiiennes en beuverie – Kristiana Kahakauwila

Traduction de l’anglais (Hawai’i) par Mireille Vignol – Au vent des îles

À 2 reprises déjà, je vous ai parlé de publications de la précieuse maison d’édition Au vent des îles spécialisée dans la littérature du grand Pacifique et dans les ouvrages relatifs à l’Océanie. Après les romans néo-zélandais Bones bay et La baleine tatouée, ce sont d’excellentes nouvelles venues de Hawai’i que j’ai pu lire sur les conseils avisés de Kathel et Sunalee.

Il y a quelques éditeurs dont les livres offrent un grand plaisir de lecture mais aussi de bibliophile : couverture souple mais suffisamment épaisse, belle charte graphique et choix de la couverture extrêmement soigné, papier de qualité et police de caractère aussi sobre qu’élégante… Je pense en particulier aux Argonautes et au Vent des îles qui réalisent un travail d’amoureux de l’objet-livre. Ces nouvelles hawaiiennes ne font pas exception et les coqs qui figurent sur la couverture ont bien entendu un lien avec l’une d’elles (ma préférée, je crois) : Wanle est une jeune coqueleuse qui a été formée à cet art de dresser les coqs au combat par son père, victime d’un meurtre et qu’elle entend venger.

Dans cette nouvelle comme dans les 5 autres, Kristiana Kahakauwila explore avec brio la complexité de la société hawaiienne. La route de Hana, qui met en scène un jeune couple en vacances, est très révélatrice des tensions qui peuvent surgir même lorsque l’on pense que l’origine n’a pas d’importance. Le contraste, mais aussi les points communs entre les touristes et la population locale sont au cœur de la première et tragique nouvelle intitulée C’est le paradis. La difficulté à vivre ouvertement son homosexualité, la vie de paniolo (cow-boy), la famille hawaiienne avec ses bons et mauvais côtés, la délinquance voire le crime organisé, tous ces aspects viennent contrebalancer l’image idyllique de ces îles du Pacifique qui est pourtant réelle aussi.

En bref, je ne peux que vous recommander ce recueil pour découvrir :

  • l’envers du décor de Hawaii
  • une très belle traduction de Mireille Vignol (qui a dû ruser pour rendre le pidgin local en français, et c’est une réussite)
  • le travail d’une maison d’édition fondée à Tahiti il y a 30 ans
  • une jeune autrice très talentueuse.

C’était une nouvelle participation aux Bonnes nouvelles, un rendez-vous organisé par Je lis, je blogue pour mettre en lumière ce genre littéraire que j’adore. Merci à elle !

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Romans

Bones Bay – Becky Manawatu

Traduction de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par David Fauquemberg – Au vent des îles

Dans une boîte à livres (dès que j’en vois une, je l’explore alors forcément, il y a quelques bonnes pioches dans le lot), j’ai déniché un roman qui m’a attirée parce que néo-zélandais. Pour moi, tous les prétextes sont bons pour choisir un livre 😜. Bones Bay présentait l’avantage d’avoir en plus une belle couverture, et le contenu a plus que tenu ses promesses. J’ai eu un vrai coup de cœur !

Nous sommes donc en Nouvelle-Zélande, à la campagne et en bord de mer, et l’on passe de l’Île du Nord à celle du Sud. Subtilement imprégnée de la langue et des traditions maories, l’histoire commence lorsque Taukiri (17 ans) dépose son petit frère Ārama (8 ans) chez leur tante, dans une ferme isolée, avant de prendre le ferry pour quitter l’île. Leurs parents viennent de mourir et Taukiri veut rompre avec le passé. Rongé par la culpabilité, il va vivoter entre travail dans une conserverie de poissons et musique jouée dans la rue. De son côté, Ārama apprend à connaître sa tante, gentille mais éteinte, et son oncle dont la présence menaçante vient encore accentuer la douleur de son deuil.



« Taukiri était vraiment un con de m’avoir abandonné. Il aurait dû savoir que j’allais pas être heureux avec Tante Kat et Oncle Stu. Si ç’avait été un bon endroit, il serait resté aussi, mais il était parti, il était parti avec sa guitare et quelque part dans une foutue ville, il jouait des chansons que je pouvais pas entendre. Personne jouait de chansons ici. Personne écoutait de la musique, personne racontait d’histoires. Ils ne se rendaient même pas compte que pas faire ces choses, ça faisait d’eux des mauvaises personnes. Le pire, c’est que je pensais pas que Tante Kat était une mauvaise personne, elle était juste le fantôme d’une personne et je savais pourquoi. Oncle Stu faisait douter les gens de leur propre existence, et à force de douter de son existence, on finissait par disparaître. »

Heureusement, il y a Beth, petite voisine dégourdie, et son père Tom Aiken, à la bienveillance salvatrice. Le point de vue des deux frères alterne et sera complété par l’histoire de Sav et Jade, puis de Toko. La temporalité est volontairement brouillée, ce qui ne pose pas de problème car chaque chapitre est addictif et l’autrice maîtrise parfaitement la construction chorale de son roman. Tous les fils qui en forment la trame se rejoindront en un final haletant et bouleversant.

Pour savoir ce que vient faire Django Unchained dans ce billet, lisez Bones Bay !

La violence et la mort sont omniprésentes, détruisant tout comme une malédiction qui se serait abattue sur cette famille. Par contraste, les moments de joie pure, tels que peut les ressentir un enfant, n’en sont que plus lumineux et poignants. Ārama et Beth forment un duo que l’on n’oublie pas, tout comme Jade et Kat, des femmes profondément meurtries qui gardent une impressionnante capacité d’aimer. Bones Bay est un magnifique roman sur l’amour familial et la résilience, éclairé par une plume poétique et magnétique.

Le charme a agi aussi sur Kathel et Mes échappées livresques. Un premier mais très grand roman à découvrir absolument.