Éditions du Chemin de fer
Poétesse et romancière née en Bulgarie, Zinaïda Polimenova écrit en français depuis plusieurs années et c’est dans cette langue qu’a paru en 2024 son dernier roman : Nucléus, ce qui reste quand il n’y a plus rien.

À partir d’images chinées sur un marché aux puces bulgare, elle a imaginé l’histoire d’un groupe de collègues et amis au début des années 1950. Ces jeunes hommes et femmes préparent la construction d’une usine qui sortira de terre en RDA. Un voyage est donc prévu dans ce pays qui vient de voir le jour et dont la capitale n’est pas encore divisée par un mur.
À propos de Berlin : « Ils mesurent la collision entre l’euphorie de la reconstruction et la ténacité de la guerre se lovant dans les traces qu’elle a laissées. Le temps est radieux, les murs sont criblés. On voit des toits arrachés. Découpées sur un fond céleste, les façades noires perdent leur peau. »
L’ambiance est à la fois légère et pesante. Ils et elles sont jeunes, pleins de vie et de rêves, et vont pouvoir voir du pays. Mais le groupe se méfie du responsable politique qui les accompagne, des rumeurs circulent, chacun doit mesurer ses paroles, des collègues sont remerciés du jour au lendemain…
Situé sur l’île Persine, Bénélé est un camp de « rééducation » où plus de 15 000 personnes ont été internées de 1949 à 1987 :
« Il revoit les interrogatoires à la Sécurité d’État, le départ pour Béléné, les mois sur l’île, les souvenirs ressurgissent, et pourtant, il ne dit à personne, à aucun moment, comment on y survit. Il lui est impossible d’en parler. Pourquoi ? Tout d’abord, ce sentiment de dégoût et de honte, je ne souhaite pas être cet homme-là… (…) Ensuite, si je nomme les choses, c’est leur donner une chair et des os, une représentation concrète, les faire durer. »

C’est chez Ally que j’ai remarqué ce livre dont elle avait fait un coup de cœur. Sans aller jusque-là pour ma part, j’ai beaucoup aimé l’écriture épurée et ciselée de Zinaïda Polimenova. Et si les personnages m’ont parfois paru « évanescents » à la lecture, je constate que ce petit groupe reste finalement bien présent à mon esprit après-coup. Ce roman m’a immanquablement rappelé Les dévastés de Théodora Dimova qui m’avait bouleversée et qui évoquait la période de purge d’après-guerre. Il semble d’ailleurs que la littérature s’empare de plus en plus de ce sujet longtemps resté tabou en Bulgarie.
Nucléus est un beau roman, empreint d’une grande délicatesse qui n’empêche pas la dureté du propos. Il est également servi par un remarquable travail éditorial : le livre à rabats contient les photos ayant inspiré cette histoire à l’autrice, sa couverture est extrêmement agréable sous les doigts et sa police de caractères est aussi lisible qu’élégante. De la belle ouvrage donc !

PS : La maison d’édition propose d’en découvrir les premières pages à l’adresse https://www.chemindefer.org/catalogue/styled-194/nucleus.html
29 réponses sur « Nucléus, ce qui reste quand il n’y a plus rien – Zinaïda Polimenova »
Vu la qualité éditoriale, si je craque, ce sera un achat et non un emprunt. J’apprécie quand malgré des sujets difficiles, la délicatesse est au rendez-vous.
C’est en effet un beau livre et il y a une vraie cohérence entre l’objet et le récit. Ca mérite un achat !
Merci pour cette belle découverte… J’imagine que ce n’est pas facile à lire… Mais parfois il est nécessaire pour faire revivre le passée.
Quelques pages ont été difficiles, c’est vrai, mais tu as raison : la Bulgarie, comme beaucoup d’autres pays, a sûrement besoin de rouvrir certaines plaies pour pouvoir guérir véritablement.
un roman qui semble très intéressant … mais … je n’en peux plus de noter des livres que finalement je n’ai pas le temps de lire .
Je ne te jetterai pas la pierre, nos listes sont comme le tonneau des Danaïdes et c’est parfois désespérant !
J’aime bien l’idée d’imaginer une histoire à partir de photos chinées sur un marché aux puces. Après, côté Bulgarie (mais ça vaut pour bien d’autres pays encore marqués par leur passé, ceux-là même dont on trouve finalement un choix restreint dans les rayons), j’aimerais bien trouver des histoires plus contemporaines.
Je vois ce que tu veux dire. Je vais bientôt chroniquer un roman aux enjeux beaucoup plus contemporains, mais c’est un peu l’exception parmi ce que j’ai lu pour ce rendez-vous.
Une belle découverte apparemment j’aime bien l’idée de bâtir tout un roman à partir de clichés trouvés sur un marché aux puces et représentant des inconnus. Merci pour ta chronique
L’Europe de l’Est dans les années 50 était encore sous l’influence de Staline… sûrement un livre dur, effectivement ! Mais cela mérite d’être raconté.
C’est important en effet d’en parler, et l’écriture assez poétique rend bien l’atmosphère joyeuse et pleine d’espoir qui a pu régner à un moment donné mais qui a dramatiquement tourné court.
Décidément, ce challenge est riche de découvertes !
C’est plutôt varié, mais beaucoup d’auteurs évoquent le passé, nous verrons s’il y a des sujets plus contemporains d’ici la fin du rendez-vous !
Une époque et un contexte géopolitique intéressants, donc une lecture tentante !
Et l’écriture est à la fois simple et belle!
C’est finalement Patrice qui le lira, mais je confirme au moins que le livre en tant qu’objet est très beau. J’ai passé beaucoup de temps à inspecter la photo, les visages de ces inconnus et je comprends tout à fait pourquoi ils ont attiré l’attention de l’autrice.
J’ai hâte de lire son avis ! Et je suis d’accord avec toi : ces photos sont très évocatrices et mystérieuses à la fois, un vrai plaisir pour un auteur certainement. Je trouve intéressant d’avoir « exposé » la démarche d’écriture ainsi. Après tout, l’autrice n’était pas obligée de dire ce qui l’avait inspirée.
J’ai entendu parler de ce camp dont j’ignorais tout dans justement le roman dont je viens de parler. Les auteurs abordent le sujet, c’est bien.
Zut alors, je n’avais pas vu ton billet ! Je note bien sûr Le roi d’argile : un coup de coeur, ça ne se refuse pas et le sujet mérite d’être creusé.
Tu donnes envie d’acheter ce livre pour garder cet objet après l’avoir lu.
J’apprécie beaucoup les livres aussi agréables à manipuler et regarder que celui-ci, mais j’avoue être intraitable : seuls les coups de coeur que je peux envisager de relire un jour restent dans mes étagères. Les autres, dont celui-ci, je les donne, les vends, bref, je fais circuler !
Je fais comme toi, avec les poches aussi.
Peut-être qu’une génération se permet d’écrire aujourd’hui sur le passé, ce qui n’était pas trop possible avant pour leurs ascendants. En tout cas c’est bien qu’ils arrivent jusqu’à nous maintenant.
Je pense en effet qu’il a fallu que du temps s’écoule pour que la chute du régime et les bouleversements que ça a provoqué commencent à être digérés et que des auteurs se penchent ensuite sur cette période plus lointaine.
Je suis contente de lire ton avis, car je ne me souviens pas d’en avoir croisé d’autres hormis celui d’Ally. Je me souviens que le point de départ m’avait plu dès que j’avais lu le résumé du livre, et si en plus tu dis que c’est un bel objet…
Je crois que Patrice s’apprête à le lire également, tu auras donc prochainement un point de vue supplémentaire. Et en effet, c’est un beau travail éditorial.
C’est amusant le nombre de romans qui partent de photos trouvées pour en créer un imaginaire.
C’était plutôt nouveau pour moi, j’avais l’impression que dans d’autres livres, c’était plus le point de départ pour mener une enquête alors qu’ici, les identités sont totalement fictives.
[…] Zinaïda : 🪆Nucléus – Ce qui reste quand il n’y a plus rien (chez moi, […]