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La main gauche de la nuit – Ursula K. Le Guin

Traduction de l’anglais (États-Unis) par Jean Bailhache – Le Livre de poche

Figurez-vous que c’est grâce à Jane Austen si j’ai lu Ursula K. Le Guin. Le premier ou la première d’entre vous à deviner le lien entre la célèbre romancière britannique et l’autrice de science-fiction américaine au nom breton remportera mon exemplaire personnel de La main gauche de la nuit ! À vos claviers pour tenter votre chance via les commentaires !

Ce roman paru en 1969 est le 8e tome du cycle intitulé Livre de Hain mais on peut tout à fait le lire indépendamment de la série (c’est ce que j’ai fait).

Un Envoyé d’une sorte d’alliance de planètes (l’Ekumen), vit depuis plusieurs mois sur la planète Nivôse-Géthen dont il veut convaincre les dirigeants de rejoindre l’Ekumen. Entre défiance envers cet étranger et rivalités entre les différents chefs d’État de cette planète au climat glacial, Genly Aï aura fort à faire pour obtenir gain de cause, mais aussi … pour survivre.

Quel plaisir de lecture ! Je ne m’attendais pas à un style aussi « littéraire » et c’était un vrai bonheur. D’ailleurs, le titre lui-même est déjà très poétique.

Dès la première page, l’autrice nous plonge directement dans l’action avant d’opérer quelques retours en arrière et de proposer différents points de vue pour construire un récit ample et extrêmement intelligent. Comme il se doit en science-fiction, tout un monde est créé, avec sa toponymie et ses langues inventées, mais tout est amené avec subtilité (c’est quelque chose que j’ai particulièrement apprécié : l’autrice ne nous prend jamais pour des imbéciles à qui il faudrait tout expliquer de A à Z et fait au contraire de nombreuses ellipses). Faite d’intrigues politiques, d’observations sociologiques et de réflexions philosophiques, l’histoire qui nous est racontée est aussi pleine de suspense, d’aventure et d’inventivité, avec une grande clairvoyance sur le genre humain.

Une idée de génie en particulier fait de ce roman un sujet d’études pour la littérature LGBTQ+ : Sur Géthen, les êtres humains sont hermaphrodites 3 semaines sur 4. La 4e semaine les voit évoluer sexuellement vers une forme féminine ou masculine, sachant qu’un même être peut adopter ces deux formes indifféremment au cours de sa vie. Un être humain peut donc devenir père ou mère et même être les deux ! Voilà qui donne bien sûr matière à réflexion : le Terrien se demande par exemple si les Géthéniens ne connaissent pas la guerre justement parce que leurs instincts sexuels sont en sommeil la plupart du temps tandis que les Géthéniens sont méfiants envers cet être qu’ils jugent pervers car soumis en permanence à des pulsions sexuelles. Sans parler des traits de caractère attribués à un genre : ils peuvent difficilement avoir cours quand tout le monde passe de l’un à l’autre. Les implications sont assez vertigineuses !

« Si quiconque, de 17 jusque vers 35 ans, peut toujours, suivant l’expression de Nim, « être cloué par une grossesse », il en résulte que personne ici ne peut être « cloué » aussi radicalement que les femmes ont des chances de l’être ailleurs – psychiquement ou physiquement. Servitude et privilège sont répartis assez équitablement ; chacun a le même risque à courir ou le même choix à faire. »

Cette question traverse le roman mais celui-ci est bien plus vaste et je ne voudrais pas trop en dévoiler. Sachez juste qu’Ursula K. Le Guin est une formidable conteuse. Son œuvre, par ses thèmes comme par son écriture merveilleusement évocatrice, devrait pouvoir réconcilier bien des sceptiques avec la science-fiction.

Mise à jour du 10 mars 2024 : Anne-Yes, la gagnante de mon petit concours, a beaucoup aimé elle aussi. Sa chronique est à lire ici.

PS : Si vous voulez en savoir plus sur l’importance de ce roman, je vous conseille l’émission de France culture consacrée à La main gauche de la nuit dans la série Les romans qui ont changé le monde (l’une des intervenantes n’était autre que Catherine Dufour, l’autrice – entre autres – d’Arithmétique de la misère).