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Canada Romans

À la lisière du monde – Ronald Lavallée

Les Presses de la Cité – (Paru au Canada sous le titre Tous des loups)

« Callwood les observe de loin et s’étonne de voir les marques d’amitié que les jeunes Cris prodiguent à Suchenko. Ils doivent connaître ses idées, pourtant. L’échelle des races. La supériorité des Blancs. Mais tous les mâles se ressemblent. La force et l’adresse, voilà ce qu’ils admirent. Le courage est la seule vraie vertu. »

Aujourd’hui, je vous emmène dans les grands espaces du Nord canadien à une époque où trappeurs et bouilleurs de cru faisaient tourner la police en bourrique et où la population autochtone avait déjà été tragiquement affaiblie. À la lisière du monde est un roman haletant dont les personnages, quasiment mythiques, me resteront longtemps en tête.

Nous sommes à la veille de la Première Guerre mondiale. Matthew Callwood, fils de bonne famille pétri d’idéaux, prend ses fonctions de policier dans ce coin « à la lisière du monde », où son quotidien est loin d’être celui dont il rêvait. En effet, point d’aventures glorieuses, ni de rapports susceptibles de lui valoir des éloges de ses supérieurs, pas plus que d’opérations lui attirant le respect de ses concitoyens. Désœuvré et raillé par la population locale, il ne rêve que d’une chose lorsque la guerre éclate en Europe : rejoindre les rangs des combattants, sous la bannière de la Couronne britannique. Cette échappatoire lui étant refusé, il se lance sur les traces d’un criminel notoire en cavale, un certain Moïse Corneau, accusé d’avoir tué sa femme et leur enfant.

Difficile d’en dire plus sans divulgâcher, donc je me contenterai de vous dire qu’il y a de l’attente et de l’action, des personnages plus complexes et plus attachants qu’on ne le penserait, mais aussi des réflexions très bien vues sur la nature humaine, les rapports de classe, le bien et le mal… La nature est omniprésente, à la fois hostile et grisante, sans que l’on soit vraiment dans du nature writing, me semble-t-il. En tous cas, ce genre a tendance à m’ennuyer alors qu’ici, j’ai tourné les pages avec avidité.

Une lecture notée chez Je lis je blogue, dévorée en un rien de temps et que je ne vais pas oublier de sitôt !

PS : Ronald Lavallée a remporté de nombreux prix avec son premier roman (1987) intitulé Tchipayuk ou le chemin du loup, décrit comme « la grande saga des indiens métis du Canada au 19e siècle ». Très tentant, bien sûr…

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Colombie Romans

La chienne – Pilar Quintana

Traduction de l’espagnol (Colombie) par Laurence Debril – Calmann-Lévy

Voilà un très court roman (128 pages) que j’ai lu presque d’une traite, envoûtée que j’étais par l’atmosphère tissée par Pilar Quintana.

Sur la côte pacifique de la Colombie, Damaris et Rogelio vivotent dans une cabane grâce aux quelques sous gagnés au prix de campagnes de pêche plus ou moins fructueuses et de ménages. En mal d’enfant, ils se sont éloignés et, depuis plusieurs années, ne font plus que cohabiter. Sur un coup de tête, Damaris adopte un jour une petite chienne à laquelle elle s’attache sans doute plus que de raison. Après une première fugue, celle-ci prend goût à la liberté et s’échappe à la première occasion. Ces abandons font passer Damaris par toute une palette d’émotions, des plus douces aux plus féroces.

C’est bien Damaris que l’on suit, et sa ou plutôt ses douleurs qui se dévoilent au fil de retours dans le passé. Mais Pilar Quintana nous parle aussi de Rogelio, bien moins fruste qu’au premier abord, et de toute une petite communauté accrochée à ce bord de mer hostile. Tous ces personnages m’ont paru extrêmement seuls, à commencer par Damaris bien sûr, une impression renforcée par leur isolement géographique. Les tempêtes, la chaleur, la mer, la jungle et sa faune, bref, la nature est également omniprésente dans ce roman. Et elle n’y est pas généreuse, mais impitoyable et menaçante.

La chienne est un roman resserré, au style sobre et poignant à la fois. Très fort et dépaysant, il se lit vite mais ne s’oubliera pas facilement.

PS : Koryfée, dont je viens de découvrir le blog, l’a aimé aussi. Sa chronique est à retrouver ici (avec en prime son adorable toutou en photo !).

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Classiques français Romans

L’homme qui plantait des arbres – Jean Giono

Sur une belle idée d’Ingannmic, la blogosphère littéraire est invitée aujourd’hui à une lecture commune (LC pour les initié(e)s) autour de Jean Giono. De lointains souvenirs plutôt mitigés me sont revenus et j’étais curieuse de vérifier si les années passées depuis ma lecture de Regain ou de Colline me permettraient de davantage apprécier cet auteur.

Je n’avais pas été insensible à la beauté de la plume de Giono, je m’étais juste ennuyée. J’avais même abandonné avant la fin Le hussard sur le toit qui promettait pourtant plus d’action… Bref, pour cette LC, j’ai joué la sécurité et choisi une œuvre très courte : L’homme qui plantait des arbres. Je l’ai trouvé au rayon jeunesse de ma bibliothèque, dans une édition « collège » (destinée plus précisément à la classe de 5e) comprenant l’intégralité du texte et un dossier d’étude.

Le texte se prête en effet très bien à une étude scolaire ou à une lecture dès la fin de primaire : il est très court (15 pages !), aborde des sujets qui peuvent intéresser la jeunesse tout en la plongeant dans une époque et un mode de vie très lointains pour eux (et même pour nous), dans un style à la fois accessible et très poétique. Car, incontestablement, Jean Giono est un excellent conteur et un poète aussi bien par sa manière d’observer le monde qui l’entoure que par sa très belle écriture.

J’ai donc pris plaisir à découvrir ici l’histoire d’un certain Elzéard Bouffier, un berger provençal auteur d’un petit miracle écologique. Dans cette nouvelle, Giono évoque sa rencontre (en fait purement fictive) avec cet homme qu’il nous rend très réel à force de détails concrets. Le message est très beau : par la seule force de sa persévérance, un homme seul aurait planté des milliers d’arbres et fait revivre une région asséchée et désolée. Et la forme est charmante elle aussi : Giono livre une sorte de conte moderne dans lequel « plus de dix mille personnes doivent leur bonheur (…) à un vieux paysan sans culture ». On ressent l’amour de l’auteur pour la nature et pour sa région en particulier, tout comme son aversion pour la guerre qu’il évoque à plusieurs reprises et dont on sent qu’il aurait aimé pouvoir s’abstraire, comme le fait son personnage.

Alors (re)lirai-je d’autres œuvres de Giono à l’avenir ? Pour être honnête, je l’ignore ! Avec un texte si court, l’ennui n’a pas eu le temps de pointer son nez, mais qu’en serait-il d’un roman plus conséquent ? Le côté poétique qui peut avoir tant de charme peut malheureusement aussi avoir un effet soporifique assez puissant sur moi… Les contributions des lectrices et lecteurs qui participent à cette LC spéciale Giono m’aideront peut-être à décider si je tente à nouveau l’expérience (ou pas !).

PS : Toujours au rayon jeunesse, ma médiathèque propose une lecture audio de cette courte nouvelle par l’excellent Jacques Bonnaffé. Une autre manière de découvrir ce texte (environ 30 minutes d’écoute, parfait pour initier des enfants à l’audiolivre).