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Junil – Joan-Lluís Lluís

Traduction du catalan par Juliette Lemerle – Les Argonautes Éditeur

Pas fan des romans historiques, a fortiori lorsqu’ils se déroulent dans l’Antiquité, j’ai pourtant dévoré ce roman en moins de 2 jours ! Joan-Lluís Lluís est un conteur hors pair qui m’a captivée avec l’histoire de Junil et de ses compagnons de route qui fuient l’Empire romain. C’est donc un coup de cœur ❤️ auquel je ne m’attendais pas du tout !

« Il y avait un homme qui méprisait sa fille. Ce mépris, manifeste et constant, fut d’une certaine façon la cause de la mort de cet homme, qui n’interviendra donc que brièvement dans ce roman. Peu de temps après avoir surgi de la page blanche, il y retournera à jamais. Et même si sa présence restera vive et implacable dans l’esprit de sa fille, il ne fera ici que des apparitions allusives, sans doute superflues, comme une brise matinale qui renonce vite à souffler. S’effacer ; tel sera son châtiment. »

Dès ce premier paragraphe, j’étais ferrée ! L’auteur nous narre une magnifique aventure qui redonne foi en l’être humain. Portée par son désir d’indépendance et son amour pour les vers d’Ovide, la frêle Junil est celle dont le départ entraîne celui d’une poignée d’hommes avides de liberté. Leur groupe hétéroclite (un esclave, un ancien gladiateur, un prêtre) grandira au fur et à mesure de leur périple et leur modeste fuite deviendra épopée.

Magnifique hommage à l’écriture, aux histoires et à la littérature comme vecteurs d’émancipation et d’émotions, ce roman est un petit bijou à découvrir absolument ! Le charme qu’il exerce est difficile à mettre en mots pour moi, alors puisque la maison d’édition met généreusement les premières pages à disposition, foncez et voyez par vous-même(s). Vous pouvez aussi lire l’avis tout aussi enthousiaste, et bien plus détaillé, de la Livrophage avant de vous lancer. Mais ensuite, plus d’excuses !

PS : Pour la petite histoire, Joan-Lluís Lluís est un auteur français d’expression catalane. C’est donc un Français traduit vers le français que j’ai découvert grâce au superbe travail de Juliette Lemerle.

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Allemagne Romans

Quand la lumière décline – Eugen Ruge

Traduction de l’allemand par Pierre Deshusses – Éditions 10/18

Après ma lecture récente et très mitigée de Tout va bien, je ne pensais pas pouvoir apprécier un roman construit sur le même mode, couvrant en grande partie les mêmes périodes et dont je découvre après l’avoir refermé qu’il a lui aussi remporté le Deutscher Buchpreis. Malgré ces troublantes similitudes, j’ai dévoré Quand la lumière décline. (Le problème était donc ailleurs 😉.)

Comme chez Arno Geiger, le roman s’ouvre ici en 2001 et chaque chapitre est consacré à une journée et à un point de vue différents. Différence notable : Dans Quand la lumière décline, sous-titré Roman d’une famille, c’est l’histoire de sa propre famille que nous raconte l’auteur. La complexité des relations intrafamiliales (rivalités, grand âge) se mêle à la grande Histoire : exil au Mexique des grands-parents, goulag et bannissement en URSS pour le père, retour de la famille en RDA, service militaire en tant que garde-frontière et fuite à l’Ouest du fils…

« Il ne verrait rien de tout ça, se dit Alexander pendant qu’un sous-lieutenant se mettait à expliquer, un papier à la main, quelle position réglementaire il fallait prendre quand on devait tirer à plat ventre, « bien droit mais en oblique par rapport à la cible », rien de tout ça parce qu’entre ici et là-bas, entre ce monde et l’autre, entre le petit monde étriqué où il serait contraint de passer sa vie et l’autre monde, grand et vaste où se trouvait la vraie vie ; parce qu’entre ces deux mondes, il y avait une frontière que lui, Alexander Umnitzer allait bientôt devoir surveiller. »

Peut-être est-ce avant tout cette authenticité, cette sensation de vécu qui fait la différence avec le roman de Geiger (sans doute aussi l’absence d’effet stylistique ostentatoire). Chacun des personnages est ici très incarné, ce qui en rend certains attachants, d’autres détestables mais avec les nuances que permettent les points de vue renversés. Les très nombreux dialogues contribuent aussi à les rendre plus « vivants », me semble-t-il. En tous cas, l’émotion affleure en permanence.

« Nadejda Ivanovna regarda sa propre main, elle avait l’impression de lui avoir fait mal avec cette main usée par l’arrachage des pommes de terre, par la scierie ; elle regardait les veines qui ressortaient sur le dos de sa main à en faire peur, la peau plissée sur les phalanges, les ongles abîmés par les petites et les grosses blessures, les cicatrices, les pores de la peau, les rides et les paumes sabrées de centaines de petites lignes. Elle comprenait d’une certaine façon qu’il ne veuille pas être touché par tout ça. » 

Cette immersion dans une famille de RDA, avant même la création du pays et jusqu’à sa dissolution, est passionnante parce qu’elle y montre la vie de tous les jours, les compromissions et les ambitions à l’œuvre, les différences et incompréhensions au sein d’un couple et entre les générations, sans oublier la violence des bouleversements qu’ont entraînés la guerre, la division de l’Allemagne et sa réunification. 

À lire, en particulier si l’histoire de la RDA vous intéresse !

C’était ma dernière participation aux Feuilles allemandes 2024. Vivement novembre prochain !

D’autres avis (du plus enthousiaste au moins convaincu) chez Montagnedazur, Kathel, Passage à l’Est et Livr’escapades.

PS : Dans un autre roman traduit sous le titre Le Metropol, Eugen Ruge complète le puzzle en relatant ce qui s’est passé lors des grands procès de Moscou en 1936 pour Charlotte et Wilhelm, les grands-parents de Quand la lumière décline.