Traduction du vietnamien par Yves Bouillé – Éditions Riveneuve
Je me suis un peu creusé les méninges pour trouver un roman épistolaire qui me permette de participer cette année encore au rendez-vous proposé par Madame Lit et Et si on bouquinait. À défaut d’avoir trouvé ce qu’il fallait dans ma PAL, j’ai choisi une destination grâce à laquelle je fais coup double en me joignant enfin à l’activité sur les Littératures d’Asie du Sud-Est proposée par Sunalee. Car après le Japon l’an dernier, c’est au Vietnam que m’a conduite cette lecture épistolaire.
Tenant plus du journal intime que du roman épistolaire, Lettres à Mina a une forme originale : Entre les missives adressées par la narratrice à une amie afghane perdue de vue s’intercalent de véritables articles de presse consacrés à la situation en Afghanistan, en particulier celle des femmes, ainsi que des lettres que Pema, une amie de la narratrice vivant à Saïgon, destine à son amant photographe en reportage en Afghanistan.
La narratrice vit, elle, à Paris depuis qu’elle a quitté le Vietnam et navigue dans ses lettres entre passé et présent. Elle se remémore ses années d’études en URSS où elle a rencontré Mina. Car oui, alors même que les Soviétiques combattaient en Afghanistan, ils accueillaient des Afghans, on n’est pas à un paradoxe près ! Elle se souvient aussi de sa relation passionnée avec un homme marié qui vivait au Vietnam lorsqu’elle était déjà en France. Apercevant par hasard une autre immigrée vietnamienne 15 ans après lui avoir donné quelques cours de français, elle se met à sa recherche. Elle joue donc les détectives et, en bonne romancière qu’elle est, laisse surtout son imagination s’emballer et inventer des scénarios rocambolesques.
Sur le fond, cela part donc un peu dans tous les sens et ces mélanges de genres et de temporalités pourraient sembler hasardeux. Je me suis d’ailleurs régulièrement demandée où voulait en venir l’autrice. Une fois le livre terminé, je ne le sais toujours pas ! Pourtant, j’ai apprécié ce roman sans doute largement autobiographique fait de réflexions, sensations, rêveries et digressions. L’écriture est fluide et délicate, et j’ai pris plaisir à suivre Thuân dans ses souvenirs et ses élucubrations (qui s’avèrent parfois moins farfelues que la réalité). De là à parler de récit « hilarant » comme je l’ai lu ici ou là, il y a un grand pas que je me garderai de faire. Le ton est drôlatique, mais il m’a surtout paru nostalgique voire mélancolique. Il est cependant fort possible qu’il me manque des « codes » vietnamiens pour comprendre toute l’ironie de certains dialogues et certaines scènes. De Thuân, Doudoumatous a lu un autre roman, le Parc aux roseaux. Je vous recommande de lire son billet si vous avez envie d’en savoir plus sur les sujets de prédilection de cette autrice.
Traductrice en vietnamien de Sartre et de Houellebecq, Thuân serait aussi une grande admiratrice de Modiano et ses Lettres à Mina en témoigneraient. Je mets tout cela au conditionnel car je me fie ici à des articles parus à propos de ce livre. Pour ma part, je n’ai lu qu’un roman de Modiano et c’était il y a plus de 20 ans. Je ne m’aventurerai donc pas à me prononcer là-dessus.
En résumé : une première incursion dans la littérature vietnamienne parfois déroutante mais plaisante qui signe ma participation au beau rendez-vous des lectures épistolaires.
PS : Les éditions Riveneuve, dont – au passage – j’aime beaucoup la police de caractère d’une grande lisibilité et la très belle couverture avec ses solides rabats, proposent une collection consacrée à la littérature vietnamienne contemporaine à découvrir ici.
21 réponses sur « Lettres à Mina – Thuân »
Un beau doublé donc !
Je ne connais pas cette autrice, et tu me fais découvrir par la même occasion une maison d’édition qui a l’air très intéressante (quoique très éclectique).
Je ne suis pas sûre que ce livre-ci me tenterais mais j’en ai repéré quelques autres.
Merci pour la participation.
L’objet livre est vraiment chouette et c’est intéressant de découvrir une collection vietnamienne. Tu y trouveras peut-être ton bonheur.
J’ai lu « Le Parc aux roseaux » de la même autrice, l’an dernier. Je me retrouve d’ailleurs dans ton billet. Sans détester le roman (que j’ai cru plus ou moins autobiographique aussi), j’ai été déroutée par le style de Thuân. Dans « Le Parc aux roseaux », la narratrice raconte son retour au Vietnam après des études en France.
J’étais passée à côté de ton billet mais je vais ajouter un lien. Doan Bui a même dit, suite aux Lettres à Mina, que Thûan est la voix vietnamienne la plus fascinante du moment. Je pense donc qu’il y a des choses qui m’échappent mais c’est malgré tout une lecture que je ne regrette pas du tout.
Je ne suis pas très tentée par ce genre d’histoire. Au passage, tu me fais découvrir une maison d’édition.
Plus ça va, plus je trouve incroyable le nombre de maisons d’édition qui existent. Pas étonnant que la concurrence soit rude, mais ça permet de voir toutes sortes d’auteurs et autrices représentés et ça, c’est précieux !
Peut-être un autre titre de la littérature vietnamien, étant donné que celui-ci ne t’a pas convaincu.
Je l’ai bien aimé mais je n’ai pas tout compris donc c’est un peu déroutant. Je tenterai d’autres auteurs vietnamiens pour essayer de cerner ce qui est propre à une culture et ce qui est lié au style particulier d’un écrivain.
Merci pour ta participation à notre Lecture de romans épistolaires. Cette lecture m’apparaît singulière et intrigante. Merci aussi pour la découverte de cette voix vietnamienne!
C’était un plaisir ! Je suis ravie d’avoir découvert cette autrice vietnamienne et ce roman épistolaire original.
C’est peut-être un peu décousu pour moi mais j’avoue que la forme me tente bien.
Elle est spéciale, mais j’ai trouvé que cette alternance de réflexions très intimes et d’articles tirés du Monde me faisait lire ces derniers avec bien plus d’attention et une autre perspective que quand on lit un journal. J’ai ainsi appris l’existence d’un cours de kung-fu shaolin pour femmes (existe-t-il 10 ans plus tard, j’en doute avec le retour des Talibans au pouvoir)…
Oui, j’allais dire, intéressant, mais ça a l’air de partir dans tous les sens.^^ Je ne sais pas si je saurais me satisfaire de ne pas savoir où l’autrice voulait en venir. En tout cas, merci pour la découverte de cette maison d’édition qui semble avoir un catalogue assez inédit.
On devine quelques fils, mais après réflexion et lecture du billet de Doudoumatous sur un autre roman de Thûan, je suppose que son oeuvre forme un tout et que pour la comprendre pleinement, il faut continuer à le lire, ce que je n’exclus pas du tout. Il faut aussi se laisser porter par une ambiance comme nimbée de brouillard (son côté modianesque). Bref, on aime ou n’aime pas (ou à petites doses seulement).
Je ne connais pas cette autrice mais tu parles d’une écriture délicate, d’autobiographie et la couverture est superbe je trouve, du coup tu me donnes envie ! Merci pour ta chronique
Je trouve moi aussi le tableau choisi pour la couverture absolument magnifique. C’est un beau livre dans tous les sens du terme.
[…] Lettres à Mina – Thu… dans De la saison sèche à la mousso… […]
Tu as choisi un titre très original et c’est excellent si la lecture t’a permis de participer à deux lectures thématiques en même temps – ça fait toujours plaisir de cocher deux cases ! Je suis un peu mitigée entre « les mélanges de genres et de temporalités » et ton ressenti final plutôt positif. J’ai du mal à trouver un bon titre pour l’Asie du Sud-Est et celui-ci pourrait quand même faire l’affaire!
Merci d’avoir participé à nos lectures épistolaires.
Je n’aime pas trop les histoires décousues mais j’ai bizarrement aimé celle-ci. C’est assez inexplicable et je me dis donc que l’autrice a quelque chose de vraiment spécial.
Tentée pour l’écriture, mais un peu peur d’être perdue dans toutes les tergiversations
Il faut laisser porter mais c’est particulier, je le reconnais !