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Argentine Romans

Double fond – Elsa Osorio

Traduction de l’espagnol (Argentine) par François Gaudry – Éditions Métailié

Le Mois latino bat son plein chez Ingannmic et j’avais envie d’un bon polar. Autant combiner les deux, me suis-je dit en mon for intérieur ;-D. J’ai donc fouiné chez Actudunoir, une valeur sûre pour trouver des romans policiers du monde entier. C’est un titre argentin, avec son intrigue entre Saint-Nazaire et Buenos Aires, qui a retenu mon attention.

L’enquête est menée essentiellement par Muriel, une jeune journaliste talentueuse mais reléguée à la rédaction de Saint-Nazaire parce qu’elle a fait des vagues. Avec l’aide de son ami Marcel et de la voisine de la victime, elle va chercher le lien entre celle-ci et les crimes commis en Argentine sous la dictature. La femme dont le corps a été retrouvé par un pêcheur s’est-elle suicidée ou a-t-elle été assassinée selon les méthodes des « vols de la mort » ? Et qui était-elle vraiment ?

J’ai tout de suite été passionnée par le contexte historique sur lequel revient Elsa Osorio grâce à ce roman. Muriel ne connaissant rien au sujet, elle étudie une foule de documents, rencontre des témoins, et nous (re)découvrons avec elle l’horreur de toute cette période en Argentine, la surveillance tentaculaire exercée à l’étranger également et l’impunité dans laquelle vivent toujours de nombreux tortionnaires. Cela fait froid dans le dos…

L’enquête à proprement parler alterne avec un récit au passé et la lettre qu’une mère adresse à son fils dont elle a été séparée à cause du contexte politique. Le roman est rythmé, ultra documenté et se lit à toute allure. En revanche, je n’ai pas été convaincue par l’écriture. Certaines coïncidences m’ont paru tirées par les cheveux et des éléments secondaires comme la relation entre Muriel et Marcel m’ont plus ennuyée qu’autre chose. Très concrètement aussi, l’autrice m’a parfois un peu embrouillée : elle a visiblement tenu à éviter les dialogues directs autant que possible, et pourquoi pas ? Problème : ce n’était pas particulièrement bien construit et je ne savais pas toujours qui parlait. J’ai dû relire certains passages pour m’y retrouver, ce qui a tendance à m’agacer quand je suis à fond dans le récit.

En résumé, Double fond est un polar efficace sur un sujet historique pas si lointain dont les conséquences continuent de secouer le pays (agiche* : ma prochaine chronique parlera justement de l’Argentine 20 ans après le « Mondial de la honte »). En dépit de mes réserves, je reviendrai peut-être vers Elsa Osorio, ce roman ayant malgré tout été très addictif. Fabienne a notamment apprécié Luz ou le temps sauvage qui pourrait me tenter.

*Une aguiche est la recommandation officielle pour traduire teaser. Je le découvre lors de la rédaction de ce billet. Le terme peut surprendre, mais il est parlant et a un côté rétro qui me plaît bien !

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Angola Romans

Le marchand de passés – José Eduardo Agualusa

Traduction du portugais (Angola) par Céline Lombard – Éditions Métailié

Une fois encore chez José Eduardo Agualusa, le point de départ est aussi fantasque que prometteur : Felix Ventura crée de toutes pièces un passé pour ceux qui sont prêts à payer pour se forger une nouvelle hérédité, souvent pour le prestige. Un client un peu différent le sollicite un jour et s’approprie sa nouvelle histoire familiale (pourtant fictive) au point de sembler la confondre avec la réalité. Parallèlement, Felix tombe amoureux d’une jeune femme qui semble cacher un secret et il rencontre un fou peut-être pas si dérangé que ça…

Dans Le marchand de passés, il faut accepter de se laisser porter car plusieurs mystères planent et la construction du roman peut surprendre. Grâce à une galerie de personnages intrigants et hautement romanesques, l’auteur s’amuse à brouiller les frontières entre rêve et réalité, souvenirs et imagination. Jusqu’au dénouement qui fera ressurgir l’histoire douloureuse et bien réelle de l’Angola et qui changera la vie du marchand de passés.

Encore une très belle (et courte) lecture dans une atmosphère onirique rattrapée par la réalité d’un pays au lourd passé et au présent complexe lui aussi.

Le mois africain, c’est chez Jostein en octobre !

PS: Je recommande aussi Les vivants et les autres du même auteur, lu et beaucoup aimé il y a quelques mois. Ma chronique est à lire ici : https://des-romans-mais-pas-seulement.fr/romans/les-vivants-et-les-autres-jose-eduardo-agualusa/

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Angola Romans

Les vivants et les autres – José Eduardo Agualusa

Traduction du portugais (Angola) par Danielle Schramm – Éditions Métailié

Quel beau roman, d’une richesse immense ! La littérature et la création littéraire sont au centre de ce récit, mais il tisse aussi les fils d’une multitude d’histoires, une véritable caverne d’Ali Baba de l’imagination.

Aussi appelée Muhipiti, l’île de Mozambique (reliée par un pont au pays auquel elle a donné son nom) accueille son premier festival littéraire panafricain. C’est l’occasion de rencontres avec les lecteurs et lectrices, mais aussi entre écrivain(e)s de différentes générations, qui ont fait le voyage depuis l’Angola, le Nigeria, ou encore Londres et New-York. Mais dès la fin du premier jour, les choses basculent, d’abord de manière imperceptible.

C’est ainsi que tout commence : un énorme éclair déchire la nuit, l’île se détache du monde. Un temps s’achève, un autre commence. A ce moment-là, personne ne s’en rendit compte.

Peu à peu, des doubles des écrivain(e)s et des personnages de fiction s’échappent des livres et déambulent dans l’île coupée du continent, d’Internet et peut-être de la réalité. Des rumeurs étranges commencent à circuler et la peur à s’emparer des habitant(e)s et des gens de passage. Mais n’imaginez pas un récit de science-fiction ou fantastique, il est simplement teinté d’un peu de réalisme magique, au sens où inventer et écrire des histoires tient de la magie.

Image par Gordon Johnson de Pixabay

José Eduardo Agualusa entremêle des portraits vibrants, cocasses ou émouvants, à une foule de dialogues, poèmes, contes et amorces de romans. Il réussit le tour de force de ne jamais nous perdre tout en nous donnant le sentiment d’être emporté(e)s dans mille vies et mille récits. Surtout, il met brillamment en scène le pouvoir de la littérature :

C’est nous qui construisons les mondes ! crie Moira. C’est nous ! Les mondes germent dans nos têtes et y grandissent jusqu’à ne plus pouvoir y loger, alors ils nous quittent et acquièrent des racines. La réalité est là, c’est ce qui arrive à la fiction quand nous croyons en elle.

Original sans être difficile d’accès, poétique et lumineux, Les vivants et les autres nous emmène loin, comme les bons romans savent le faire. Cette lecture de José Eduardo Agualusa était donc la première, mais ne sera pas la dernière. Cela tombe bien car au moins 5 autres de ses romans sont traduits en français.

Eve-Yeshé a aimé elle aussi !