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Tea rooms – Luisa Carnés

Traduction de l’espagnol par Michelle Ortuno – Éditions La contre allée

Après l’excellent recueil de nouvelles La femme à la valise, j’avais très envie de continuer à lire Luisa Carnés. Son roman Tea rooms, femmes ouvrières correspondant parfaitement à la thématique des mondes du travail proposée cette année par Ingannmic, je n’ai pas hésité longtemps avant de me lancer dans sa lecture.

Hélas, ce qui faisait la force et la qualité de La femme à la valise s’est avéré gênant dans ce roman. Dans ses nouvelles, la concision et la sobriété de Luisa Carnés allaient à l’essentiel et ont su me bouleverser tandis qu’ici, les personnages manquent de chair. Luisa Carnés se centre certes sur quelques-uns d’entre eux, mais ils restent nombreux et trop survolés. D’ailleurs, était-il judicieux d’avoir un Paco et une Paca dans le personnel du salon de thé dont il est question ? Il faut déjà rester concentré(e) pour mémoriser qui est à tel comptoir et qui à tel autre… Surtout, l’autrice a voulu être exhaustive au risque d’un manque d’épaisseur qui crée à mon avis de la distance et un manque d’intérêt vis-à-vis de ses personnages. Malgré leurs vies difficiles et leurs destins souvent tragiques, je n’ai pas été touchée. Sans doute aussi à cause du message trop didactique, qui atteint son paroxysme dans la dernière page :

« « Maintenant, devant la femme s’ouvre un nouveau chemin… » (…) « Ce nouveau chemin, à travers la misère et le chaos actuel, est celui de la lutte consciente pour l’émancipation prolétaire internationale. » La femme nouvelle, « sans allure », a parlé et a fait réagir la petite Matilde. Mais la femme nouvelle a aussi parlé pour toutes les innombrables Matilde de l’univers. »

Comme dans cet extrait, j’ai parfois eu l’impression de lire un tract ou un article de presse engagé et non un roman. Le fond est cependant très intéressant : le constat de Luisa Carnés est lucide et son analyse de la situation des femmes m’a semblé très moderne. Elle nous montre très bien l’ampleur de la crise et de la misère qui touchaient alors l’Espagne, comme une grande partie de l’Europe, et, comme dans La femme à la valise, ce sont avant tout les Espagnoles de petite condition que Laura Carnés évoque : les mères de familles nombreuses, les veuves, les grenouilles de bénitier, mais aussi les petites bourgeoises qui subissent elles aussi les avanies de leur sexe (avortements clandestins risqués) et les jeunes femmes pauvres qui n’ont le plus souvent que deux choix, c’est-à-dire le mariage ou la prostitution, et qui, avant d’en arriver à l’un ou l’autre, cherchent à travailler pour soutenir leur famille.

Luisa Carnés au Mexique, où elle vécut en exil – Crédits famille Puyol-Carnés

J’adhère tout à fait au propos féministe et social qui est d’ailleurs le fruit de l’expérience personnelle de Laura Carnés (née dans une famille ouvrière, elle a commencé à travailler à l’âge de 11 ans et s’est formée en autodidacte). La forme, trop sèche, ne m’a en revanche pas convaincue.

PS : D’autres avis sont à retrouver chez Kathel et Lorenztradfin. 

26 réponses sur « Tea rooms – Luisa Carnés »

Le contexte est différent, mais oui, La femme à la valise est beaucoup plus réussi à mon avis (mais il faut apprécier les nouvelles).

Ah oui, dommage, car j’avais noté ce titre !! Cela fait en tous cas un ajout à la catégorie « Femmes au travail » dans le récapitulatif de l’activité, c’est une très bonne chose !

Oui, c’est centré sur les femmes, ce qui m’intéressait beaucoup, et c’est instructif, mais stylistiquement pas terrible. Cela dit, il se lit vite donc si tu l’as dans ta PAL, tu peux envisager une lecture un peu diagonale.

Merci pour le lien. Je me disais bien que j’avais lu un autre avis relativement récent mais je ne savais plus chez qui ! Je te rejoins sur la modernité du style, très étonnante et agréable au début (j’ai beaucoup aimé les premières pages, très cinématographiques) mais il manque quelque chose pour qu’elle reste agréable dans la durée. La femme à la valise devrait te plaire.

Je suis en train de faire la même chose 😉. Il est difficile de résister aux tentations des libraires et des bibliothèques mais il y a une satisfaction certaine à voir la pile baisser peu à peu.

C’est d’autant plus une déception que le travail des femmes à cette époque est rarement traité. Mais j’avais aussi beaucoup d’attentes après La femme à la valise, ça a pu jouer.

Comme il y a très peu voire pas du tout de romans sur la vie des femmes à cette époque, notamment en Espagne, et vue par une femme, ça reste un texte important, mais pas le plus fluide 😉

Ah mince, j’avais beaucoup d’espoir en ce livre qui semblait si prometteur. Avant de lire ton billet, un petit « zut » m’a échappé d’ailleurs en voyant le titre sur ton blog parce que je l’avais aussi en projet et j’ai raté l’occasion d’une LC. Cela dit, j’ai peut-être tout intérêt à me focaliser plutôt sur La femme à la valise maintenant.^^

J’avais peut-être trop d’attentes, mais sur le plan littéraire, c’était décevant. La femme à la valise est plus réussi, mais ça ne rentre dans aucun challenge en ce moment (mais les Bonnes nouvelles ne sont plus si loin 😉).

C’est dommage pour les bémols mais c’est vrai que ta citation resonne comme un tract de prosélyte

Dommage en effet car je ne connais pas cette autrice, je note donc plutôt « la femme à la valise » mais comme il n’est pas dans ma médiathèque, ce ne sera pas pour tout de suite

Je ne vais pas noter le livre, mais j’ai beaucoup aimé lire ton billet et j’étais contente de découvrir cette photo ancienne de l’autrice. L’histoire de Paca et Paco m’a fait sourire !

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