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Récit des temps perdus – Aris Fakinos

Traduction du grec par Roselyne Majesté-Larrouy – Éditions Points

Aris Fakinos est né en Grèce en 1935 et a fui la dictature des colonels en 1967. C’est à Paris qu’il a trouvé refuge et, à en croire son éditeur, « il a fortement contribué à la diffusion de la culture grecque en France où il est mort en 1998. » Ce Récit des temps perdus, écrit dans sa langue maternelle, est l’histoire de son grand-père, rapportée à la manière d’une épopée qui se déroulerait à pied et en charrette.


« En 1970, à l’âge de cent trois ans, mon grand-père Vanguélis jugea qu’il avait assez vécu. Un dimanche d’avril, il se leva, fit sa toilette, changea de linge de corps, revêtit ses beaux habits, soigna son rosier bien-aimé, puis il fit appeler ses neuf enfants.
Lorsqu’ils furent tous rassemblés, mon grand-père s’assit sur le lit :
– Aujourd’hui je vais mourir, annonça-t-il. Pardonnez-moi et que Dieu vous pardonne. »

Vanguélis est un simple journalier. Il croise le regard de la belle Sophia, la fille du seigneur qui l’emploie, et leur destin est aussitôt scellé. Ils s’enfuient, se marient et vivront ensemble une longue vie marquée par la misère, des guerres et l’évolution de leur pays où les terres serviront de plus en plus à la construction immobilière et de moins en moins à l’agriculture.

La première partie est celle que j’ai préférée : rebelles, Vanguélis et Sophia sont prêts à affronter le monde et le récit de leur fuite et de leur installation ne manque pas de panache et de romanesque. Sophia a un caractère bien trempé, ne reculant pas devant la rudesse de sa nouvelle vie, elle qui était pourtant destinée à l’oisiveté et à une certaine opulence.

On a l’impression de lire un conte, d’autant que les superstitions sont monnaie courante dans cette région rurale. Quelques épisodes ne sont pas non plus sans rappeler le périple de héros grecs mythiques, recueillis par de superbes créatures qui jouent ensuite de leurs charmes pour les empêcher de repartir (la magie a de tout temps été une bonne excuse pour justifier des infidélités !). Et il y a même un puisatier aveugle qui verra souvent plus clair que son entourage. Toute ressemblance avec le fameux Tirésias n’est sûrement pas fortuite 😉. Je suppose que ce roman contient tout un tas d’autres références aux classiques grecs, mais je suis loin d’être une spécialiste et je ne les ai donc pas repérées.

Peut-être que cette méconnaissance a joué dans la baisse de mon intérêt dans la seconde partie du roman, plus contemplative et un peu répétitive à mon goût. J’ai aussi trouvé le personnage de Vanguélis bien faible devant les autres femmes alors que Sophia – impériale, fidèle et d’un courage immense – reste au second plan. Cette héroïne aurait mérité selon moi d’être plus centrale dans le récit. Mais j’ai sans doute un regard un peu trop post-#MeToo parfois 😆. On parle ici de la fin du 19e et d’avant 1968, le roman est donc de son époque. J’en suis bien consciente, ce qui ne m’a pas empêchée de lever les yeux au ciel à plusieurs reprises.

Image par Thomas G. de Pixabay

Même si j’ai été moins intéressée par la fin du roman, j’ai apprécié ce retour sur un siècle dans une Grèce secouée par de nombreux événements majeurs (tremblements de terre, guerres, dictature). Aris Fakinos a un style que je qualifierai de classique, sans être désuet, et très agréable à lire. Sans être particulièrement palpitante, cette lecture s’est donc avérée plutôt plaisante.

22 réponses sur « Récit des temps perdus – Aris Fakinos »

On découvre une Grèce rurale très pauvre, bien loin des îles paradisiaques et proprettes fréquentées par les touristes. Et c’est intéressant de sentir toute l’empreinte de cette mythologie dans un récit plus moderne.

Je suis toujours surprise par la violence de ce qui s’est passé en Grèce, bien loin de l’image que les touristes en ont rapporté

Je me rends compte que c’est un pays (de plus!) dont je connais mal l’histoire. La pauvreté de sa campagne est impressionnante…

Ma culture mythologique ne vole pas très haut et je n’en suis pas fière. La vision que j’ai de l’histoire de la Grèce me vient des quelques polars que j’ai pu lire dont l’intrigue se déroule dans ce pays. Je serais bien tentée par d’autres auteurs mais plutôt en littérature contemporaine.

Je compte justement lire prochainement des polars grecs que tu as recommandés, pour mieux comprendre l’histoire plus récente du pays. Cette incursion dans le passé n’était pas désagréable, mais j’ai parfois eu le sentiment que mon manque de connaissances historiques me faisait passer à côté de certaines choses.

Dans ce cas, je te recommande plutôt Petros Markaris ou éventuellement Minos Efstathiadis (pour la période contemporaine). Les polars de Christos Markogiannakis sont sympas mais tu n’apprendras pas grand chose sur son pays d’origine.

Voilà un auteur que je découvre, je reconnais ne pas vraiment connaître en détails ni l’histoire de la Grèce, ni les auteurs grecs alors autant te dire que tu titilles ma curiosité. Pourquoi pas me laisser tenter si je le trouve en médiathèque tant pis si la seconde partie est moins prenante, ce que tu en dis me donne envie. Merci

C’est quand même un très joli roman, qui m’a un peu rappelé ceux d’Amin Maalouf, sans doute par leur côté méditerranéen mais aussi par le style de l’auteur.

En tous les cas, j’adore le titre…. Je connais moyennement la mythologie grecque et j’ai peu lu de livres du vingtième siècle…Désolée pour toi avec cette lecture…

Je ne regrette pas cette lecture quand même, elle a eu des côtés très agréables. Et tu as raison, c’est un très beau titre.

Dommage pour la seconde partie. Ce roman ne semble pas dénué d’intérêt, surtout si on veut en apprendre davantage sur le Grèce que ses images de cartes postales, mais au vu de ma PAL, j’ai tendance à privilégier le sans faute.^^

C’est normal de lever les yeux au ciel pour les romans de cette époque-là, il y avait de quoi ! Vu le chemin à parcourir encore on n’est jamais « trop » post-me-too. La Grèce a une histoire violente. Je me souviens comme si c’était hier du coup d’état des colonels. A mon travail une voisine était Grecque, elle téléphonait partout, la plupart de ses connaissances étaient déjà en prison. Ça marque … Pour l’instant, je préfère m’en tenir à Markaris, qui parle bien des problèmes de la Grèce actuelle.

Markaris fait partie des auteurs que j’ai très envie de lire justement! Et tu as raison, on n’a pas fini de lever les yeux au ciel, et malheureusement pas que devant des romans un peu anciens…

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