Catégories
Nouvelle-Zélande Romans

La baleine tatouée – Witi Ihimaera

Traduction de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Mireille Vignol – Éditions Au vent des îles

Avec La baleine tatouée, j’ai retrouvé avec plaisir la maison d’édition Au vent des îles et la traductrice Mireille Vignol qui m’ont déjà offert deux coups de cœur ces derniers mois avec Bones Bay et Stasiland. Cette fois, c’est un autre roman néo-zélandais que j’ai voulu découvrir après avoir vu son adaptation il y a quelques mois et lu l’avis enthousiaste de Cyan. Paï, l’élue d’un peuple nouveau (The Whale Rider – 2002) est un film magnifique à voir en famille (dès 10 ans, même s’il est assez dur), idéalement en VO pour savourer l’accent rocailleux de la population néo-zélandaise et l’alternance entre anglais et maori. Bilan de cette lecture : Le roman est tout aussi beau que son adaptation et je vous le recommande chaudement.

Kahu a le malheur d’être née fille alors que son arrière-grand-père attendait un héritier mâle pour lui transmettre son savoir et ses responsabilités de chef de clan. Assurer la survie des traditions et défendre les intérêts maoris dans un monde en constante évolution n’est pas simple. Si le vieux Koro Apirana s’arc-boute sur ses convictions, c’est donc sans doute une question de génération mais aussi par peur face aux bouleversements que subissent son peuple et sa terre. L’équilibre entre les trois mondes (mer, terre et humains) menace en effet de s’effondrer.

« J’imagine que cette histoire, s’il faut lui trouver un début, commence avec Kahu. Après tout, c’est Kahu qui était là à la fin, et son intervention nous a peut-être tous sauvés. Nous avions toujours attendu la venue d’un tel enfant, mais, à sa naissance, eh bien, disons seulement que nous regardions ailleurs. On était chez nos grands-parents, les cousins et moi, on buvait et on faisait la fête, lorsque le téléphone sonna.
− Une fille, cracha notre grand-père, Koro Apirana, dégoûté. Je ne veux pas en entendre parler. Elle a rompu la lignée masculine de notre tribu.
 »

Avec ce récit sous forme de conte, Witi Ihimaera nous parle de la nécessité d’une relation respectueuse entre les humains et la nature, du besoin de préserver les traditions mais aussi de savoir embrasser le changement. Il évoque aussi le racisme dont sont victimes les Maoris, et on perçoit en filigrane leur manque de perspectives et les dérives dans lesquelles ils peuvent tomber.


L’espoir vient en grande partie des femmes, à commencer par Kahu bien sûr, mais aussi l’inénarrable Nani Flowers, son arrière-grand-mère :

« Et quand il partit bouder en mer, il prit mon canot, celui qui avait un moteur.

Vas-y, ça ne me fait ni chaud ni froid, lui lança-t-elle.
Il faut dire que plus tôt dans la journée, elle avait eu la malveillance de siphonner la moitié du carburant, s’assurant ainsi que le grand-père ne puisse pas revenir. Il passa l’après-midi à crier et à gesticuler, mais elle fit simplement semblant de ne pas le voir. Puis, elle le rejoignit en ramant et lui annonça qu’il était trop tard, qu’il ne pouvait plus rien faire. Elle avait téléphoné à Porourangi pour l’autoriser à nommer le bébé Kahu, en honneur de Kahutia Te Rangi. »

Image par Pexels de Pixabay

Empreint de légendes intemporelles, ce court roman est néanmoins parfaitement contemporain. Il déborde de tendresse et d’humour, et lance un cri d’amour pour ces créatures majestueuses que sont les tohorā, les baleines. Il donne d’ailleurs furieusement envie de s’engager pour la défense des cétacés et des océans en général. C’est aussi un joli hommage à la puissance des femmes et tout simplement une très belle histoire.

Lire aussi l’avis d’Ingannmic.

PS : Près de 40 ans après la parution de La baleine tatouée, les Maoris continuent le combat : https://reporterre.net/Le-roi-des-Maoris-veut-accorder-une-personnalite-juridique-aux-baleines

40 réponses sur « La baleine tatouée – Witi Ihimaera »

Ce « genre » d’histoire de fille maorie et de baleine, comme « Pitch », ça me disait vaguement quelque chose… Il y a déjà longtemps (2002, une éternité!) était sorti un film (que je n’avais pas vu), Par.
… et, vérification faite, c’était déjà tiré d’un roman de Witi Ihimaera!
Je vais peut-être finir par le lire (l’auteur, je veux dire – je ne sais pas encore quel titre!).
Je me demande s’il y a suffisamment d’embarcations (bateaux « civilisés », pirogues, ou que sais-je…) dans La baleine tatouée pour que ça puisse rentrer dans le challenge « Book trip en mer » de Fanja?
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola

Oui, j’en parle justement, car c’est ce qui m’a donné envie de lire le roman ☺️. Le livre a été édité en français une première fois à la sortie du film et du coup sous le même titre (Paï en effet). Cette édition est épuisée et Au vent des îles a publié sous un nouveau titre en 2022 (et peut-être avec une nouvelle traduction, je n’ai pas trouvé d’info à ce sujet).

J’ai lu cet article dans Reporterre et le sujet de ce livre me semble vraiment intéressant…merci pour ton enthousiasme il n’est pas dans ma médiathèque mais je le note tout de même.

Je l’ai lu à l’occasion de l’activité sur les Minorités ethniques, et comme toi, j’ai aimé notamment ce mélange de modernité et de légendaire. J’ignorais qu’il avait fait l’objet d’une adaptation cinématographique, je vais aller voir ça… on oublie souvent -parce qu’ils sont de l’autre bout du monde ?- la condition des maoris et des aborigènes qui ont subi une colonisation extrêmement violente de la part des européens, et c’est bien que la littérature permette de mettre en évidence la culture de ces peuples et nous rappelle les vexations qu’ils ont subis et qui rendent parfois encore leurs vies bien difficiles.

J’ajouterai ton lien (je note scrupuleusement d’où je tiens telle ou telle idée de lecture mais je pense rarement à chercher dans les archives des blogs alors que j’aurais dû penser au tien avec le thème des minorités ethniques!). Dans la baleine tatouée, il est aussi question de la population « indigène » de Papouasie-Nouvelle-Guinée et du racisme de la part des Blancs qui semble exacerbé par rapport à ce que vivent les Maoris. On s’intéresse plus à notre passé colonial, mais je me demande si les Anglo-saxons « continentaux » travaillent sur leur propre passé dans les régions australes…

Je ne sais pas trop ce qu’il en est en Nouvelle-Zélande, mais en Australie, le questionnement sur le passé colonial semble relativement balbutiant = le récit de Stan Grant, Sourde colère (à lire, pour tous ceux qui s’intéresse au sujet !), le démontre de manière édifiante.

Le livre voyageur d’Ingannmic est toujours chez moi : n’hésite pas à me le demander si tu souhaites le lire, c’est un livre très intéressant.

Je trouve aussi ! D’ailleurs, le premier spécimen complet d’une baleine très rare vient aussi d’être retrouvé sur une côte néo-zélandaise. On n’en avait trouvé que des restes jusqu’à présent. Mais cette fois encore, c’est une baleine échouée, elle n’a jamais été vue en mer et/ou vivante, un vrai mystère…

cette phrase me fait craquer
« Il déborde de tendresse et d’humour, et lance un cri d’amour pour ces créatures majestueuses que sont les tohorā, les baleines. »
Alors que je suis encore une fois dans une phase je ne note rien bien évidemment je vais une place à ce roman dans ma liste .

L’avis de Cyan m’avait donné envie de lire ce roman et le tien confirme nettement mon intérêt pour ce roman qui aborde deux thèmes que j’affectionne : les baleines (un animal fascinant) et la puissance des femmes, a fortiori dans un contexte culturel que je ne connais pas. Quant au film, j’espère pouvoir l’emprunter.

Ce sont des créatures magnifiques et mystérieuses (je parle des baleines bien sûr, quoique… 😉). Le contexte néo-zélandais est très intéressant aussi. Il est détaillé dans le film comme dans le livre mais avec des aspects différents. Je les trouve donc très complémentaires. Le film est notamment disponible sur Benshi.

J’ai rate la LC sur ce roman l’année dernière. Ensuite, j’ai lu une critique qui m’a dissuadée de le lire mais je ne sais plus où. Je note que vous êtes finalement plusieurs à l’avoir apprécié

Il faut accepter de faire avec les croyances locales, mais c’est passé tout seul dans mon cas. Je crois que c’est Kathel qui avait moins aimé…

Ce que j’aime dans ce type de récit c’est la présence des aînés. On les écoute contrairement à nos sociétés occidentales où on les enferme pour ne plus les voir, pour ne plus les entendre…

C’est très présent dans ce roman, c’est vrai. Ils ont un rôle fondamental et sont très respectés. Et en plus, Nanny Flowers est un sacré personnage !

Oh pour une fois l’adaptation me tente davantage ! J’avais déjà repéré le livre mais j’ignorais qu’il avait été adapté. Le côté visuel avec les paysages et les Maoris, l’occasion d’entendre la langue maori en VO, un film qui vaut visiblement le détour, tout cela est très tentant.

Le film est vraiment très bien. J’adore l’accent néo-zélandais et c’est vrai qu’on entend pas du maori tous les jours. Il y a aussi plus de détails sur les traditions maories que dans le roman qui a autant de charme mais plus d’humour. Les deux valent le coup ;-D

Je me rends compte que tu as publié ta chronique le lendemain de l’arrestation de Paul Watson qui lutte notamment contre la chasse aux baleines… Je ne connais pas cette maison d’édition mais je trouve la couverture particulièrement réussie et le dernier paragraphe de ton billet donne vraiment envie de découvrir cette histoire.

Drôle de coïncidence en effet, mais cela prouve que les baleines représentent toujours un enjeu écologique majeur ! Par ailleurs, il y a eu un incident avec des orques en Bretagne il y a quelques jours (elles ont « joué » avec un voilier dont les occupants ont eu la peur de leur vie). Les cétacés sont au premier plan de l’actualité autrement dit !

J’ai « 39 façons de transformer des obsèques hawaïennes en beuverie » dans ma PAL, qui semble une autre réussite de cette maison d’édition au nom qui fait déjà voyager 🏝️.

Bonsoir Sacha, j’ai vu mes premières baleines au large des côtes argentines en 1999 et j’en garde un souvenir inoubliables. C’est un animal magnifique et il y avait en plus des petits baleineaux. Je note ce court roman. Bonne soirée.

Les baleines et l’égalité filles-garcons dans le même roman, l’auteur a été très habile pour lier ces deux thèmes et c’est très réussi.

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

En savoir plus sur Des romans, mais pas seulement

Abonnez-vous pour poursuivre la lecture et avoir accès à l’ensemble des archives.

Continue reading