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L’Oiseau qui buvait du lait – Jaroslav Melnik

Traduit du russe (Lituanie) par Michèle Kahn – Actes Sud

Fans d’Erlendur Sveinsson, je vous conseille de faire la connaissance du commissaire Algimantas Butkus car il a la même capacité à s’attacher les lecteurs et lectrices et à mener une enquête complexe qui exige de sonder l’âme du meurtrier, le tout dans une ambiance humide et grise. Après tout, la Lituanie n’est pas loin de la Suède 😉, et j’ai été embarquée comme dans un bon Henning Mankell.

Ukrainien et lituanien russophone, Jaroslav Melnik a déjà vu plusieurs de ses romans publiés en France, essentiellement des dystopies – dont Espace lointain. Pour la Rentrée à l’Est, j’ai cependant préféré un roman ancré dans la Lituanie actuelle.

Dans le polar intitulé L’oiseau qui buvait du lait, à la couverture et au titre intrigants, le commissaire Butkus n’est pas très en forme, ni physiquement ni moralement. Il se demande d’ailleurs à quoi rime son obstination à enquêter au prix de sa vie privée. Quand un premier meurtre au rituel étrange est commis, son équipe doit à la fois enquêter sur la filière de l’allaitement et sur les spécialistes en ornithologie. Cette enquête les conduira sur l’isthme de Courlande, à Londres et à Stockholm, mais c’est bel et bien Vilnius qui est au centre du récit.

« Nikanorov, lui était russe. Et lituanien aussi. Au travail, il parlait un lituanien impeccable. Il avait monté tous les jours la garde devant le Seimas, le parlement, quand la Lituanie avait décidé de se séparer de l’Union soviétique et, avec d’autres, il avait entouré le bâtiment d’une montagne de dalles de béton en cas d’attaque des chars soviétiques. »

L’enquête est classique mais bien ficelée (un fil narratif reste toutefois irrésolu à la fin, c’est dommage). L’enjeu du commerce de lait maternel est original, et surtout Algimantas Butkus est un personnage attachant qui préfère la réflexion à l’action, ce que j’ai apprécié. Cela laisse le temps à l’auteur de glisser des explications sur la situation actuelle de la Lituanie, par exemple avec l’influence scandinave sur son économie ou la cohabitation entre des populations d’origines différentes. Je ressors de cette lecture bien dépaysée, distraite et mieux informée sur la Lituanie. J’avoue que cela m’a donné très envie de visiter le pays aussi !

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Vilnius Poker- Ričardas Gavelis

Traduit du lituanien par Margarita Le Borgne – Monsieur Toussaint Louverture

« lls l’observent, Ils le suivent, Vytautas Vargalys le sait : sa vie est celle d’un homme qu’on a mis en joue. Ils sont partout, Vilnius Leur appartient, alors que lui n’est qu’un simple employé de bibliothèque chargé de référencer les livres qu’Ils ont mis à l’index. Traumatisé par neuf années de tortures endurées au goulag, il se bat désormais pour comprendre Leur but. Gardien de l’histoire de son pays et de ses mythes, le dernier des Vargalys sombre petit à petit dans la folie. Seule Lolita, jeune séductrice au passé trouble et au corps parfait, lui permet encore de croire qu’une nouvelle vie est possible. Mais le sauvera-t-elle ou ­précipitera-t-elle sa chute ? »

Pour cette première lecture commune de la Rentrée à l’Est consacrée aux États baltes, j’ai choisi Vilnius Poker, paru en 2015, dont le message s’annonçait très fort et qui présentait l’avantage d’avoir suscité un écho suffisant pour se trouver dans de nombreuses bibliothèques. Avec ses 544 pages, il permettait aussi de participer au rendez-vous des Pavés de l’été chez Sibylline et à celui de Sous les pavés, les pages puisque la ville de Vilnius y joue un rôle central. Ça, c’était le projet, la théorie. En pratique, j’ai abandonné après m’être accrochée pendant près d’une centaine de pages. C’est donc un flop pour moi !

Je mets le lien vers le rendez-vous des Pavés malgré cette tentative avortée, il vous fera découvrir des romans volumineux extrêmement variés chroniqués cet été par un grand nombre de blogueurs et blogueuses.

En fait, c’est une simple erreur de casting. Lorsque j’ai fait mon choix pour cette LC, je n’aurais pas dû m’arrêter au 1er paragraphe de la quatrième de couverture (qui ouvre ce billet). Je dois être claire : Je n’ai rien à reprocher à la plume de Ričardas Gavelis, ni à sa traductrice qui a réalisé un travail
d’orfèvre. Ce roman fait simplement partie de ceux que j’évite habituellement, je veux parler des romans qualifiés d’« excessifs », « hallucinés », etc. Si certains passages sont accessibles, quand Vytautas se souvient des tortures qu’il a subies notamment, le reste oscille entre rêve, ou plutôt cauchemar voire folie, et une réalité floue, grise et pour moi franchement opaque. Même en m’appuyant sur le propos de l’éditeur, je n’ai pas compris les « délires » de Vytautas (le 1er narrateur, je ne suis pas allée assez loin dans le roman pour découvrir les autres). J’ai tenté de me laisser porter, l’écriture étant par ailleurs fluide, mais cela n’a pas fonctionné non plus.

Idem, je vous invite à consulter les lectures faites au cours de la 3e édition de Sous les pavés, les pages chez Athalie et Ingannmic.

Je suis bien consciente que cette atmosphère pesante et hallucinée contribue sans aucun doute à l’attrait du roman pour qui l’a apprécié. Ma lecture est un ratage parce que ce livre n’était pas fait pour moi, et j’aurais assez vite pu m’en rendre compte si j’avais prêté attention aux précisions de l’éditeur dans la 2e  partie de la quatrième de couverture :

« Excessif, magistral, ébouriffant, ce roman à quatre voix (…) raconte par un jeu de miroirs la descente aux enfers d’hommes et de femmes qui tentent de survivre dans un monde sans âme. Hallucinante fresque de la monstruosité qui sommeille en chacun de nous, tour à tour poétique, pornographique, métaphysique ou politique, Vilnius Poker est une violente ode à la liberté. (…) C’est Dostoïevski. C’est Kafka et Burroughs. C’est Kundera. C’est un piège. »

En effet, c’était un piège dans mon cas, car il a provoqué une mini-panne de lecture dont j’ai heureusement pu me sortir grâce à L’impératrice de pierre dont je vous ai parlé lundi, beaucoup plus accessible mais évidemment plus classique.

Je suis curieuse de savoir si d’autres m’ont suivie aujourd’hui dans cette proposition de lecture commune et quels seront alors leurs avis. Pour Ingannmic, ce livre est « indispensable », et je ne peux donc que vous encourager à lire son billet pour contrebalancer le mien !

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L’impératrice de pierre (tome 1)- Kristina Sabaliauskaite

Traduit du lituanien par Marielle Vitureau – Éditions de La Table ronde

Je suis ravie d’ouvrir cette Rentrée à l’Est avec un roman lituanien qui s’est déjà taillé un beau succès que je comprends désormais très bien : L’impératrice de pierre est un roman historique enlevé et incarné qui m’a en plus énormément dépaysée. Livonie, Sémigalie, Latgalie, Rzeczpospolita polono-lituanienne, que de noms exotiques (pour vous, je ne sais pas, mais pour moi indéniablement) ! Nous sommes en 1727 : Sur son lit de mort, une impératrice se repasse le film de sa vie (désolée pour cet anachronisme) et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle a été mouvementée.

En suivant Marta Helena Skowrońska, née dans une famille lituanienne mais dans une ville du sud de la Lettonie actuelle, on rencontre d’éminentes personnalités de son temps dont je n’avais jamais entendu parler (ce qui ne veut pas dire grand-chose, mes connaissances historiques concernant la Russie et les pays baltes étant très limitées). Parmi pléthore de personnages, on côtoie brièvement ou longuement le pasteur allemand Johann Ernst Glück, qui fut le premier à traduire la Bible en letton, Alexandre Danilovitch Menchikov, favori et éminence grise du tsar Pierre Ier, le tsar lui-même, souverain épileptique soucieux de moderniser son pays tout en étant incapable de se défaire de ses habitudes rustres et excessives en tout.

Après avoir subi de nombreuses ignominies, Marta devient Catherine, maîtresse de Menchikov puis du tsar Pierre Le Grand, futur empereur (je ne divulgâche rien, c’est dit très tôt dans le roman). Elle est restée dans l’Histoire l’impératrice Catherine de Russie, moins célèbre que la Grande Catherine (II) malgré son destin assez incroyable (et forcément romancé car les sources manquent sur la première partie de sa vie en particulier). Son regard d’Européenne sur cette Russie arriérée et violente des 17e et 18e siècles est très intéressant et j’ai lu ce roman avec autant de facilité que de plaisir malgré mes lacunes en Histoire. Je me suis surprise à naviguer ensuite d’une page de Wikipedia à une autre pour en savoir plus sur les différents personnages, les régions évoquées, les conflits mentionnés car le sujet a beaucoup attisé ma curiosité. Ces incursions en milieu encyclopédique n’ont cependant pas été nécessaires en cours de lecture, le roman se suffit à lui-même et il offre une fresque passionnante qui éclaire le raisonnement d’alors, et sans doute d’aujourd’hui, de nombreux dirigeants russes.

« À l’en croire, toutes les terres qu’il convoitait étaient russes « depuis des temps immémoriaux » – qu’elles soient finlandaises, estoniennes, livoniennes, courlandaises, tatares, ou même les khanats musulmans. À côté de ça, il négligeait les coins les plus reculés de son propre royaume. »

Le tome 2 de L’impératrice de pierre a paru en octobre dernier et j’ai bien l’intention de le lire très bientôt. Fabienne et Ally ont d’ailleurs un temps d’avance sur moi puisqu’elles ont déjà chroniqué les tome 1 et 2 de cet excellent roman historique.