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Le plongeur – Minos Efstathiadis

Traduction du grec par Lucile Arnoux-Farnoux – Actes Sud

Voilà un polar qui commence de manière plutôt classique, et même en clin d’œil aux romans noirs, avec un détective au bord de la faillite et pas mal alcoolique auquel il ne manque qu’un imperméable et un chapeau de feutre. Le vent, le froid et la pluie sont aussi de la partie : nous ne sommes certes pas à Chicago ou New-York, mais la météo à Hambourg en plein mois de janvier n’est pas clémente non plus.

Chris Papas (dont l’assistante est une certaine Mme Queneau) se voit confier une mission de surveillance a priori banale, et l’enquête comme le roman démarrent plutôt doucement. Mais les choses vont s’accélérer avec la mort soudaine du client de Papas. Ce dernier retourne alors dans son Péloponnèse natal en espérant fuir les questions de la police allemande et retrouver l’objet de sa filature. Là, les événements s’enchaînent à toute allure, l’auteur tissant sa toile avec une grande habileté jusqu’aux révélations finales aussi atroces que passionnantes.

Au-delà de l’enquête, ce portrait d’une Grèce du début des années 2000 en proie à la crise financière et malmenée par ses partenaires européens, l’Allemagne en tête, est extrêmement intéressant. Minos Efstathiadis évoque habilement les relations complexes entre la Grèce et l’Allemagne, notamment grâce à plusieurs de ses personnages ayant un pied dans chaque pays, à l’image de son détective binational, mais aussi en revenant sur l’histoire tourmentée de ces deux pays, en particulier pendant la Seconde Guerre mondiale.

Carole Raddato (CC BY-SA)

La tragédie grecque est un autre fil rouge de ce roman. De manière explicite avec des références à l’Agamemnon d’Eschyle et un dilemme moral central dans les événements abordés, et de façon plus subtile avec une évocation à double sens de la « Maison de la vérité ».

Autant dire que ce roman est riche, en action comme en réflexion, malgré ses quelque 200 pages seulement.

Une idée piochée chez Doudoumatous dont vous trouverez l’avis ici.

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Récit des temps perdus – Aris Fakinos

Traduction du grec par Roselyne Majesté-Larrouy – Éditions Points

Aris Fakinos est né en Grèce en 1935 et a fui la dictature des colonels en 1967. C’est à Paris qu’il a trouvé refuge et, à en croire son éditeur, « il a fortement contribué à la diffusion de la culture grecque en France où il est mort en 1998. » Ce Récit des temps perdus, écrit dans sa langue maternelle, est l’histoire de son grand-père, rapportée à la manière d’une épopée qui se déroulerait à pied et en charrette.

Image par Dimitris Vetsikas de Pixabay


« En 1970, à l’âge de cent trois ans, mon grand-père Vanguélis jugea qu’il avait assez vécu. Un dimanche d’avril, il se leva, fit sa toilette, changea de linge de corps, revêtit ses beaux habits, soigna son rosier bien-aimé, puis il fit appeler ses neuf enfants.
Lorsqu’ils furent tous rassemblés, mon grand-père s’assit sur le lit :
– Aujourd’hui je vais mourir, annonça-t-il. Pardonnez-moi et que Dieu vous pardonne. »

Vanguélis est un simple journalier. Il croise le regard de la belle Sophia, la fille du seigneur qui l’emploie, et leur destin est aussitôt scellé. Ils s’enfuient, se marient et vivront ensemble une longue vie marquée par la misère, des guerres et l’évolution de leur pays où les terres serviront de plus en plus à la construction immobilière et de moins en moins à l’agriculture.

La première partie est celle que j’ai préférée : rebelles, Vanguélis et Sophia sont prêts à affronter le monde et le récit de leur fuite et de leur installation ne manque pas de panache et de romanesque. Sophia a un caractère bien trempé, ne reculant pas devant la rudesse de sa nouvelle vie, elle qui était pourtant destinée à l’oisiveté et à une certaine opulence.

On a l’impression de lire un conte, d’autant que les superstitions sont monnaie courante dans cette région rurale. Quelques épisodes ne sont pas non plus sans rappeler le périple de héros grecs mythiques, recueillis par de superbes créatures qui jouent ensuite de leurs charmes pour les empêcher de repartir (la magie a de tout temps été une bonne excuse pour justifier des infidélités !). Et il y a même un puisatier aveugle qui verra souvent plus clair que son entourage. Toute ressemblance avec le fameux Tirésias n’est sûrement pas fortuite 😉. Je suppose que ce roman contient tout un tas d’autres références aux classiques grecs, mais je suis loin d’être une spécialiste et je ne les ai donc pas repérées.

Peut-être que cette méconnaissance a joué dans la baisse de mon intérêt dans la seconde partie du roman, plus contemplative et un peu répétitive à mon goût. J’ai aussi trouvé le personnage de Vanguélis bien faible devant les autres femmes alors que Sophia – impériale, fidèle et d’un courage immense – reste au second plan. Cette héroïne aurait mérité selon moi d’être plus centrale dans le récit. Mais j’ai sans doute un regard un peu trop post-#MeToo parfois 😆. On parle ici de la fin du 19e et d’avant 1968, le roman est donc de son époque. J’en suis bien consciente, ce qui ne m’a pas empêchée de lever les yeux au ciel à plusieurs reprises.

Image par Thomas G. de Pixabay

Même si j’ai été moins intéressée par la fin du roman, j’ai apprécié ce retour sur un siècle dans une Grèce secouée par de nombreux événements majeurs (tremblements de terre, guerres, dictature). Aris Fakinos a un style que je qualifierai de classique, sans être désuet, et très agréable à lire. Sans être particulièrement palpitante, cette lecture s’est donc avérée plutôt plaisante.