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Il pleuvait des oiseaux – Jocelyne Saucier

Éditions Denoël

Le hasard (ou pas) a fait que j’ai enchaîné deux lectures canadiennes, dans de grands espaces presque inhabités. Et cette fois encore, je me suis régalée.

Il pleuvait des oiseaux est un magnifique roman sur la liberté, la vie et l’amour. Dit comme ça, c’est ronflant et cul-cul-la-praline alors que ce roman est tout sauf ça. Et pourtant, c’est pour moi la manière la plus juste de le résumer.

Tout commence avec une photographe à la recherche des derniers survivants des grands feux qui ont ravagé plusieurs villes de l’Ontario au début du 20e siècle. Au fil de ses pérégrinations, elle va rencontrer un petit groupe hétéroclite, et pourtant soudé, qui vit en marge de la société. Un groupe qui va vivre de grands bouleversements.

« Elle en était venue à les aimer plus qu’elle n’aurait cru. Elle aimait leurs voix usées, leurs visages ravagés, elle aimait leurs gestes lents, leurs hésitations devant un mot qui fuit, un souvenir qui se refuse, elle aimait les voir se laisser dériver dans les courants de leur pensée et puis, au milieu d’une phrase, s’assoupir. Le grand âge lui apparaissait comme l’ultime refuge de la liberté, là où on se défait de ses attaches et où on laisse son esprit aller où il veut. »

Jocelyne Saucier a un talent de conteuse hors pair. En 200 pages seulement, elle fait naître tout un monde, celui de vieillards qui ont décidé de quitter la société des hommes, et fait surgir devant nous les images de ces incendies terriblement meurtriers. On passe d’une époque à l’autre avec fluidité, et on côtoie des personnages âgées comme on en croise rarement en littérature. L’émotion affleure, nous prend parfois à la gorge, mais il n’y a aucun pathos et, au contraire, de la joie pure. Une réussite !

Bien d’autres ont lu et aimé ce roman avant moi : Aifelle, Cath L, Jostein, Luocine, Manou, Sylire

PS : Ce roman, qui date de 2011, a été adapté au cinéma mais on a visiblement fait le choix de rajeunir sensiblement les personnages, ce que je trouve extrêmement regrettable !

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Marzahn, mon amour – Katja Oskamp

Traduction de l’allemand par Valentin René-Jean – Éditions Zulma

Paru en 2021 en Allemagne, Marzahn, mon amour fait partie de la rentrée littéraire 2023 des éditions Zulma qui tapent une nouvelle fois dans le mille avec ce formidable petit livre.

Katja Oskamp est une autrice née en ex-Allemagne de l’Est. Au milieu de la quarantaine, cette période « où la rive que l’on a quittée n’est plus en vue et où la destination a tendance à se rapprocher bien trop vite » (citation libre car j’ai lu ce livre en VO et n’ai pas consulté sa traduction), elle constate qu’elle ne peut pas vivre de sa plume et décide d’exercer un tout autre métier.

Elle commence donc une formation où elle côtoie d’autres femmes elles aussi autour de la cinquantaine qui rencontrent des difficultés personnelles ou financières et entament une reconversion plus ou moins choisie. Katja Oskamp devient ainsi pédicure et c’est dans un salon de beauté du quartier berlinois de Marzahn qu’elle exerce, aux côtés d’une masseuse et d’une manucure. En plus d’un métier qui l’épanouit, elle trouve là une source d’inspiration pour d’émouvants portraits de gens simples, dignes, courageux ou exaspérants.

Le sous-titre allemand Histoires d’une pédicure, qui a disparu dans la version française, donne d’emblée le ton : Chaque chapitre nous présente un(e) autre client(e) dont Katja Oskamp ausculte et soigne les pieds, écoute les récits de vie, les récriminations, les confessions ou même les propositions indécentes. À Marzahn, les client(e)s du salon sont pour la plupart des personnages âgées qui vivent chichement dans les gigantesques immeubles en cages à lapin érigés dans les années 1980 par la RDA pour donner une image de modernité. On est loin du Berlin des clubs branchés qui attire la jeunesse.

Katja Oskamp lance ici un cri d’amour à ce quartier mal-aimé et à ses habitant(e)s. Elle nous livre un récit plein d’humanité et de tendresse. Difficile de rester insensible aux portraits du touchant M. Paulke, de Mme Noll (dont on aimerait pouvoir faire taire la fille une fois pour toutes !), de la fougueuse Mme Blumeier ou de Mme Bronkat, elle qui fut une « réfugiée de l’intérieur ». J’ai été très touchée par ces destins (pas si) banals qui nous font découvrir la vie au quotidien en ex-RDA et dans l’Allemagne d’aujourd’hui. Et j’ai beaucoup souri aussi car Katja Oskamp a un indéniable sens de l’humour qu’elle sait parfaitement doser pour ne pas verser dans la sensiblerie. Autrement dit, c’est une lecture que je vous recommande chaudement !

PS : Le hasard a voulu que je chronique deux romans allemands en ce début septembre. Pas d’inquiétude : Je garde en réserve une ribambelle de titres pour le rendez-vous des Feuilles allemandes chez Eva & Patrice en novembre 😀