Traduction de l’anglais (Afrique du Sud) par Estelle Flory – Tropismes éditions
Grâce au Mois africain proposé par Jostein, j’ai découvert l’an dernier la jeune autrice sud-africaine Futhi Ntshingila dont le nouveau roman vient de paraître. Enrage contre la mort de la lumière m’avait beaucoup plu malgré quelques défauts « de jeunesse » et Alors toi aussi ne m’a pas déçue !
Une fois encore, Futhi Ntshingila s’empare des traumatismes de son pays sans tomber dans le pathos. Elle met en scène la rencontre de Hans, un vieil homme, ancien militaire et policier afrikaner, et de Zoe, une infirmière noire qui a vu ses amis mourir et disparaître à cause du racisme et de la répression. Ils vont se raconter leur histoire, sans jugement et je dirai même avec bienveillance alors qu’ils appartenaient clairement à des camps opposés.
« Je sais qu’on ne peut tuer autrui sans tuer au passage des parties de soi. Nous sommes nombreux, zombies ambulants, à avoir certes échappé à la loi et la Commission Vérité et Réconciliation, mais aujourd’hui prisonniers de la boucle torturante de notre propre jour sans fin. »
En Afrique du Sud, le passé est lourd, c’est le moins que l’on puisse dire. Saviez-vous par exemple qu’en 1901 très précisément, les Anglais ont pratiqué la politique de la terre brûlée dans le pays et enfermé Boers et Africains noirs dans des camps de concentration dans lesquels on estime qu’entre 32 000 et 47 000 personnes sont mortes ? Au passage, j’ai appris aussi que les Boers n’étaient pas tous originaires des Pays-Bas comme je le pensais, mais aussi d’Allemagne et de France. À ce sujet, une mini-série (hélas pas terrible malgré son sujet prometteur et une Anna Mouglalis impériale) – actuellement diffusée sur Arte – parle justement de ces huguenots français qui fuyaient devant les Anglais (au cours de ce qu’on a appelé « le grand trek »).
« Il m’a fallu du temps pour reconnaître la malédiction de ma génération pourrissante. Ayant grandi en tant qu’homme blanc sous le régime d’apartheid, j’avais un sens aveugle et faussé de mon bon droit à diriger des gens. (…) On peut régenter les gens jusqu’à contrôler qui ils baisent et quand, mais là où ça se complique, c’est lorsqu’il s’agit de ce qu’ils pensent. Alors notre impuissance nous apparaît nue. »
En revenant sur cet épisode ancien de l’histoire du pays et de la famille de Hans, et surtout sur des événements beaucoup plus récents, Futhi Ntshingila fait preuve d’une objectivité assez impressionnante. Elle n’occulte aucun crime, et surtout aucune ambiguïté, tout en délivrant un message de réconciliation et d’optimisme. Un autre monde est possible, elle en est persuadée et son roman dégage plein d’ondes positives alors que clairement, le point de départ est très sombre.
Si ce roman a un défaut, c’est peut-être sa tendance à vouloir que tout finisse bien (la toute fin en particulier est un peu trop belle pour être vraie, défaut qu’avait déjà Enrage contre la mort de la lumière). Mais cette écrivaine a un talent fou pour nous immerger dans ses histoires et ce serait dommage de s’en priver. Et puis, un peu d’espoir dans l’avenir, ça ne fait pas de mal !
D’autres avis chez Temps de lecture et Jostein.