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Le départ du professeur Martens – Jaan Kross

Traduction de l’estonien par Jean-Luc Moreau – Pavillons poche Robert Laffont

Quelle grâce, quelle élégance dans l’écriture de Jaan Kross ! Sans doute par la période qu’il aborde mais aussi par sa plume, cet auteur estonien m’a beaucoup rappelé le plaisir que j’ai toujours à lire Stefan Zweig, avec une bonne dose d’ironie en plus. Si Zweig est un auteur que vous appréciez, vous aimerez donc sans aucun doute Jaan Kross.

« Comment réagir à sa remarque sur la modestie européenne et l’hypocrisie asiatique ? Fallait-il commencer par lui dire que je n’étais pas russe ? Ni allemand ? Que mes ancêtres avaient vécu en Europe depuis au moins deux mille ans ? Que ma modestie n’était pas pour autant celle d’un Européen, mais celle, bien plutôt – de qui ? – sans doute d’un enfant des grandes forêts. Il m’était déjà arrivé, à l’occasion, d’expliquer à mon sujet quelque chose de semblable. Pas toujours. Rarement. Mais tout de même. Pourtant ici, maintenant – je veux dire là-bas, à ce moment-là – à quoi bon ? »

Le départ du professeur Martens est un passionnant monologue qui se poursuit pendant deux jours, le temps d’un trajet en train de Pärnu, en Estonie, à Saint-Pétersbourg. Polyglotte, le professeur Martens est un brillant négociateur qui a arbitré nombre de conflits et concocté des traités internationaux sous pas moins de trois souverains russes. Il est reconnu par ses pairs de par le monde, mais au cours de ce voyage où il oscille entre rêves, rencontres bien réelles et méditations, il constate combien son action aura souvent été vaine. Entre autres choses, il déplore amèrement que le Prix Nobel ne lui ait pas été attribué, la Russie étant peu en faveur auprès de la communauté internationale :

« Alors que mes collègues suisses, par exemple, couraient sur le gazon bien tondu d’une vieille tradition internationaliste, je devais, moi, patauger jusqu’à mi-jambe dans le bourbier de l’absolutisme. »

Rusé, ambitieux et assez imbu de lui-même, ce personnage n’a pas que des facettes attachantes. Au fur et à mesure de son périple ferroviaire et de ses réflexions, la façade se fissure pourtant et on découvre un véritable self-made man pétri de regrets et de doutes, qui restera toute sa vie en butte aux humiliations dues à ses origines modestes, et estoniennes qui plus est. C’est fin, érudit tout en étant très accessible et on ne s’ennuie pas une minute. Et vous l’avez compris, j’ai été éblouie par la plume de l’auteur (et sa traduction limpide) !

C’était une première lecture de Jaan Kross pour moi, et ce ne sera sûrement pas la dernière. De lui, Patrice a déjà recommandé Le fou du tzar, et La barmaid aux lettres avait beaucoup aimé Le vol immobile. Je n’ai donc plus que l’embarras du choix.

Un grand merci à Patrice d’avoir proposé cette lecture commune autour de cet immense écrivain estonien !

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