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Le don de la pluie – Tan Twan Eng

Traduction de l’anglais (Malaisie) par Philippe Giraudon

Cette période de l’année me paraît toujours très longue et rien de tel qu’un peu d’exotisme et de tropiques pour la faire passer plus vite. Pour un dépaysement sans émission carbone, j’ai pioché chez Sunalee une idée lecture qui m’a conduite en Malaisie, un pays dont j’ignorais à peu près tout. Le don de la pluie était le roman parfait pour le découvrir !

Penang est une île de Malaisie qui faisait partie, avec Singapour et Malacca, des « Établissements des détroits » (Straits Settlements) sous la férule de l’Empire britannique jusqu’à leur dissolution en 1946. C’est là que vit le jeune Philip Hutton, fils d’un riche entrepreneur anglais et orphelin d’une mère chinoise.

Le récit commence en 1939. Alors qu’il est seul pendant plusieurs mois et quelque peu désœuvré, Philip fait la connaissance d’un Japonais d’âge mûr, locataire d’une île sur la propriété familiale des Hutton. Une relation de maître à élève (et plus ?? 🤔…) se tisse : Endo-san forme Philip à l’aïkido et à la méditation zazen, tandis que Philip joue les guides pour son sensei et lui fait découvrir toutes les merveilles (et lieux stratégiques) de son île. Deux ans plus tard, le Japon envahit la Malaisie et Philip choisit de collaborer avec l’ennemi. Est-il le jouet de sa destinée, celle qui lui a été prédite avant même sa naissance ? Aurait-il pu faire un autre choix ? Jusqu’où est-on prêt à aller par amour, par patriotisme ? Telles sont les questions que l’auteur et son personnage ne cessent de se poser. Autant le dire tout de suite : ce n’est pas l’aspect que j’ai trouvé le plus intéressant, ni le plus convaincant. À vrai dire, cela m’a même barbée, tout comme certaines pseudo-explications karmiques.

Khoo Kongsi, temple familial de la diaspora chinoise de Penang – Photo de Tracey Wong sur Pixabay

Ce qui m’a beaucoup plu, c’est la plongée dans cette société cosmopolite où se côtoient Malais (assez minoritaires d’ailleurs), Britanniques, Indiens, Chinois et Japonais. Certains peuples sont venus à Penang en conquérants, d’autres y ont été déportés, et d’autres encore y ont trouvé refuge après avoir fui des bouleversements politiques ou la guerre. Ils se côtoient, mais se mélangent peu malgré des apparences de coexistence. Lorsqu’il y a une véritable fusion, cela ne se passe pas sans heurts comme en témoigne l’histoire de Philip. Lui qui est métis n’arrive pas à se situer et personne ne semble savoir quoi faire de lui non plus. La période est particulièrement intéressante également : l’Empire britannique commence à vaciller, le communisme s’étend en Asie, le Japon envahit la Chine puis le reste de l’Asie …

L’auteur prend son temps pour décrire l’île, ses communautés (bourgeoisie britannique, triades chinoises…), ses temples, ses rues et ses collines, sans oublier sa cuisine qui met littéralement l’eau à la bouche. Si la fusion se fait quelque part, c’est clairement dans l’architecture et dans l’assiette ! On a l’impression de déambuler dans l’île, de sentir les parfums des fleurs et des épices, et c’est très plaisant. À quelques reprises, je me suis quand même fait la réflexion que cela frôlait le guide touristique… Heureusement, il y a un peu de tension aussi (je ne parlerais pas d’action même s’il y a quelques scènes de bagarres et d’exécutions). Et s’il y a quelques vrais méchants, la plupart des personnages ont plusieurs facettes, quels que soient leur origine et le camp dans lequel ils se trouvent. La notion de destin est très présente et pèse sur les personnages, sans que cela les empêche de s’interroger sur le chemin à prendre. J’ai trouvé leur psychologie plutôt fine.

Trop stylée, la tenue des aïkidoka ! Photo d’Andrzej sur Pixabay

En résumé, s’il n’évite pas quelques longueurs et effets dramatiques légèrement sirupeux, Le don de la pluie est un roman très agréable à lire, dépaysant et instructif (sur la Malaisie, mais aussi sur l’aïkido, art martial qui m’a toujours fascinée). Petite cerise sur le gâteau me concernant : il a un grand-père shaolin !

Une bien jolie et très accessible porte d’entrée dans la littérature du Sud-Est asiatique.

PS : Fanja a lu ce roman elle aussi et nos avis se rejoignent en bonne partie 😊.